La maison – Emma Becker

Je crois que c’est la première expérience littéraire de la sorte que je fais : j’ai passé une vingtaine de jours dans deux maisons closes de Berlin, le temps de lire les 450 pages de ce livre. La maison n’est pas un livre qui s’avale d’une traite et c’est presque une victoire quand on le termine.

Emma Becker, à travers cette autofiction nous fait passer la porte des maisons closes. Fascinée depuis longtemps par l’image de la pute véhiculée en France par des écrivains comme Maupassant,  et s’interrogeant sur sa relation aux hommes,  notamment ce Stéphane, homme  marié qui a le double de son âge,  avec qui elle entretient une relation purement sexuelle, elle se dit que pour écrire un livre sur la prostitution féminine, il faut franchir le cap, à la fois pour avoir les témoignages les plus sincères des prostituées que pour pouvoir retranscrire sa propre expérience. 

Contrairement à la France, les maisons closes sont légales en Allemagne (comme aux Pays-Bas d’ailleurs et je ne me suis jamais penchée sur la question pour les autres pays européens). Bon, une fois que j’ai dit ça,  qu’est-ce que je peux dire sur cette lecture particulière où j’ai alterné avec des sentiments contradictoires.  Parfois l’écoeurement,  parfois l’étonnement,  parfois la frayeur et le dégoût. De la colère.  Mais aussi  – un peu – du rire. Parfois presque de l’admiration. Mais à un moment donné, je me suis posé des questions sur la motivation initiale de l’autrice. Je n’ai pas encore les idées claires et tranchées sur le sujet mais peu importe car le livre n’est pas – officiellement  du moins – un plaidoyer pour la prostitution ni un plaidoyer contre. Et encore moins livre sur le désir féminin, comme indiqué sous la plume de Busnel, sur la couverture de l’édition de poche.

Emma Becker fréquente successivement deux maisons closes différentes. Le Manège où elle fait ses premières armes. Puis le quitte. Le bordel est tenu par une espèce de mafia locale, les femmes sont obligées de se « déguiser  » et pas autorisée à porter des chaussures plates. Les talons sont obligatoires. Elle fait une expérience traumatisante avec un type détraqué sans que la direction de la maison ne s’en émeuve. Elle a un quota, elle ne peut pas refuser. Le décor est luxueux comme pour mieux cacher la maltraitance qui s’y exerce. Elle continue avec La Maison, plus petite,  plus humaine, dont la hausedame est elle-même une ancienne prostituée. Les filles s’habillent comme elles le souhaitent, peuvent refuser des hommes et si violence il y a, ils sont interdits de cité. A La Maison, comme  au Manège,  la direction de l’établissement perçoit un pourcentage sur  les passes faites par les filles. Donc, on en vient directement au problème qui me dérange : la prostitution, qu’elle soit voulue ou subie, sur le trottoir ou dans un établissement dédié, ou ailleurs, reste un business avec traite humaine. Rien à voir avec la liberté sexuelle à mon sens.

Le principal intérêt de ce livre est de casser le cliché de la pute qu’on peut avoir : ce n’est pas forcément quelqu’un qui ne fait que ça, ce ne sont pas forcément des femmes sans autres solutions, sans papiers ou marginales. La plupart sont bien insérées dans la société. Il y en a un certain nombre qui ont acquis un train de vie de luxe et ne peuvent plus décrocher. Certaines disparaissent après un certain temps, en prévenant – ou pas. Les collègues d’Emma sont des femmes qui ont une autre vie, une vie « normale » et un travail et ne viennent à la Maison qu’à temps partiel, sous un pseudonyme, comme toutes les prostituées. Emma officie sous le nom de « Justine », en référence à Sade. Et le fait d’être française lui attire une clientèle qui fantasme là-dessus. Le cliché de la Française…🙄

L’écriture est très crue, les scènes de sexe nombreuses et détaillées. Ça finit par filer la nausée.  Les hommes, c’est, sans surprise, de Monsieur Toulemonde aux pires détraqués, en passant par ceux qui veulent approfondir une expérience voire qui n’en n’ont aucune, où ceux qui n’osent pas avec leur femme,  ou encore des spectateurs. L’image masculine n’en sort pas vraiment grandie mais par instants il y a vraiment des séances décrites avec humour.

Emma Becker ne fait pas dans le larmoyant ni ne passe sous silence la maltraitance parfois subie. Elle tente dénonce un certain puritanisme hypocrite en France où les bordels avec pignon sur rue n’existent plus (officiellement). En Allemagne, les prostituées sont reconnues comme travailleuses du sexe et paient des impôts (à partir d’un certain plafond).

Je ne pense pas que ce livre vous fera forcément changer d’avis sur la prostitution. Il a néanmoins le mérite de susciter le débat. Emma Becker réhabilite l’image estropiée de la pute de façon brillante. Qu’on soit d’accord ou non avec ses propos.

« Le bordel est la part d’humilité inexorable de la société, l’homme et la femme réduits à leur plus stricte vérité (…) »

A propos Maeve

Blogueuse littéraire depuis 2009, lectrice compulsive depuis l'âge de 6 ans ^_^ .
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4 commentaires pour La maison – Emma Becker

  1. Ingannmic dit :

    Une lecture qui m’attend depuis longtemps, et que j’ai tendance à repousser, malgré ma curiosité !! Je l’ai offert à ma fille qui l’a trouvé « spécial mais intéressant »… sur le thème d’une prostitution parfois « choisie », j’ai apprécié, dernièrement le film « Une femme du monde » avec Laure Calamy dans le rôle d’une prostituée (et il y a d’ailleurs un passage où elle exerce dans une maison close allemande).

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  2. alexmotmots dit :

    Une lecture qui propose un autre point de vue que j’avais apprécié.

    Aimé par 1 personne

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