
Je le dis tout de suite : ce roman a une couverture et un titre hideux. Je ne comprends pas. Je ne comprends pas d’autant plus qu’il s’agit d’une pépite irlandaise ! Le titre est ridicule et n’a aucun sens. The butchers, (titre original) soit « les bouchers », en français est au coeur du sujet. Alors pourquoi chercher midi à quatorze heures autre chose complètement hurluberlu ?🤔 La plupart des gens n’ouvriront pas une page, ne toucheront même pas cet objet livre si raté alors que c’est une belle surprise irlandaise !!!
L’essentiel de l’intrigue se déroule en 1996 dans deux comtés ruraux irlandais et frontaliers de l’Irlande du Nord : celui de Cavan et celui de Monaghan. Un prologue, un interlude et un épilogue nous transportent en 2018 à New-York. On ne comprend pourquoi qu’à la fin de l’histoire – qui nous amène à relire le prologue. Un homme mort, une photo qui a rendu célèbre son auteur. Un rituel irlandais qui s’éteint pour combattre ce que certains pensent une superstition : la Malédiction de la veuve du fermier. Une épidémie de vaches folles britanniques sur fond de farines animales, des envies de boom du « boeuf celtique « . Un secret de famille. Deux adolescents qui se cherchent. Un photographe qui veut sortir du lot.Voilà pour les principaux ingrédients.
En 1996. Úna est une jeune fille de douze ans, qui vit dans le comté de Cavan avec sa mère, Grá, en pleine crise de la quarantaine. Cúch, le père d’Úna est souvent sur les routes avec sept autres bouchers , pour abattre les boeufs selon une tradition ancestrale pour préserver le pays de la famine : selon la malédiction de la veuve du fermier, aucun homme ne peut être seul pour abattre le bétail, sept doivent se tenir à ses côtés pour empêcher la famine de s’abattre sur le pays et pour honorer la mémoire du fermier mort pendant la Grande Famine. Au collège, Úna est ostracisée à cause de ce rituel dont certains considèrent que c’est une superstition. Celles de culs terreux d’un autre âge. Dans le comté voisin de Monaghan, Davey va passer son bac de lettres classiques et rêve d’intégrer l’université de Dublin, un moyen de s’éloigner de son père, Fionn. Celui-ci a dû vendre une partie de sa ferme suite à des soucis et il parvient à peine à respecter les quotas laitiers pour obtenir des subventions. Eileenn, son épouse aux yeux verts, est atteinte d’un cancer du cerveau. La chimio et autres médocs la rendent aussi malade que la maladie. Alors, quand le roi de la bidoche en Irlande, surnommé le « Taureau » a une idée, Fionn voit là un moyen de se sortir de la mouise.
On suit le quotidien de ces deux familles dans ce roman choral. A priori étrangères l’un à l’autre. Sauf que… (lire le livre pour savoir de quoi il en retourne !)
Et puis il y a Ronan Monk, le photographe prêt à tout… Il apparaît peu. Paradoxalement.
On met un petit moment à comprendre ce qui relie les personnages les uns aux autres, mais les fils se tissent de plus en plus intensément les uns aux autres dans ce récit envoûtant. Un roman à la croisée des chemins entre le thriller, le roman d’apprentissage, un chouïa de roman social et de féminisme. Un beau portrait de l’Irlande en pleine mutation à fin des années 90 : autorisation du divorce, dépénalisation de l’homosexualité, les prémices d’un décollage économique, et des accords de paix.
Ruth Gilligan offre également un beau trio de femmes fortes, qui, chacune à leur façon ont dit non à la société irlandaise patriarcale. Davey s’interroge sur son attirance pour Conor. Avec Úna, ils parviennent à se défaire des derniers fils qui les empêchaient d’être eux-mêmes et de se faire respecter.
Par ailleurs, forcément, on pense à Cúchulainn, l’un personnage les plus importants de la mythologie irlandaise : mi-homme, mi-dieu, à la force légendaire, à travers le personnage du « Taureau » qui fait régner sa loi sur l’économie du boeuf irlandais. Il est fait référence à plusieurs reprises à Taín Bó Cúlainge (La razzia des vaches de Cooley) : la « prise d’assault de l’Ulster par la reine du Connacht (Maeve), qui essayait de mettre le grappin sur le beau taureau de Daíre mac Fiachna« .
La fin est celle d’un thriller qui m’a surprise.
Bref, vous avez là un de mes coups de coeur irlandais de l’année 2023 !💚 Il y aurait encore beaucoup à dire. En tout cas, un livre qui a quelque chose de sorcier !🧙♀️
C’est le cinquième roman de Ruth Gilligan. Il était temps qu’on la découvre en France. The Butchers a obtenu le très littéraire ESL Ondaatje Prize en 2021. Vous aurez compris pourquoi elle arrive enfin en France ! Elle est la plus jeune autrice classée dans la liste des best-sellers en Irlande. Sally Rooney n’a plus qu’à bien se tenir, c’est nettement un calibre au-dessus tant du point de vue de l’écriture que des thématiques.
Et pour conclure, Colum McCann dit de ce roman qu’il est « sauvage, mythique » et « absolument captivant » ! Plus aucune raison de ne pas le découvrir, donc !
Heureusement que c est un coup de cœur et que tu le fais savoir parce que la couverture craint vraiment
J’aimeAimé par 1 personne
Oui, pas jojo ! Il faut passer outre mais comme c’est la première chose qu’un lecteur potentiel voit, il faut vraiment être motivé. Vu le prix , aussi. J’ai eu la chance de le trouver d’occasion. Bref, un éditeur qui ne voudrait pas de vendre son livre ne s’y prendrait pas autrement. Plus rien ne m’étonne (surtout en ce moment !)😉
J’aimeJ’aime
je note, je note!! tu as vu que sort en salles un film réalisé en gaélique??
J’aimeAimé par 1 personne
Oui, The Quiet Girl, tiré du roman de Claire Keegan Les Trois Lumières (que j’ai lu à sa sortie, d’ailleurs il y a bien longtemps). Malheureusement il ne passe pas vers chez moi. Je ne comprends pas, pour un film autant primé.
J’aimeJ’aime
Que de suspens dans ton billet. Et je suis curieuse, alors je note ton coup de coeur.
J’aimeAimé par 1 personne
Un roman qui sort de l’ordinaire : ça fait du bien !
J’aimeAimé par 1 personne