Le chant du prophète – Paul Lynch

Traduit par Marina Boraso

Mon année littéraire commence de manière fracassante avec la lecture d’un chef d’œuvre, le terme n’est pas trop fort et je n’ai pas du tout été influencée par le bandeau de couverture.😊 J’ai terminé hier le monumental Chant du prophète de Paul Lynch et je me sens orpheline. Tout ce que j’ai lu avant est comme balayé. Juste avant j’avais lu Un dimanche du souvenir de Darragh McKeon : ciao, je me rappelle à peine de quoi ça parle (j’exagère à peine). En tout cas, je sais que je me rappelerai du Chant du prophète, et c’est exactement pareil pour Apeirogon de Colum McCann, lu il y a plusieurs années. Bref, depuis ce matin, je tourne comme une âme en peine devant bibliothèque : je prends un livre, je lis quelques pages et je le repose ; j’en prends un autre et rebelote. Bref (bis), la différence entre un bon livre, un excellent livre et un chef d’œuvre dans une vie de lecteur, c’est qu’un chef d’œuvre a la capacité de s’incruster dans votre cerveau pour à peu près toujours (sauf problème de santé affectant la mémoire).

Résumé succinct car tout est dans l’expérience immersive de ce roman : à Dublin, Eilish mère de famille de 4 enfants, voit un jour débarquer deux hommes qui s’avèrent travailler pour un équivalent des renseignements intérieurs (une nouvelle sorte de police secrète,  GNSB). Ils veulent parler à son époux, enseignant et syndicaliste, mais comme il est absent, ils demandent à ce qu’il passe au commissariat. Larry s’y rend le lendemain et se volatilise. Eilish se retrouve seule avec 4 enfants dont l’aîné va passer ses examens universitaires et le plus jeune est encore un bébé. Sans oublier son père qui perd peu à peu la boule. Accaparée par le quotidien, elle ne se rend pas compte que le monde extérieur tel qu’elle l’a connu du moins l’Irlande, s’écroule,  que le pays bascule dans un régime totalitaire.

Paul Lynch vous fait vivre de l’intérieur et en direct cette expérience terrifiante 293 pages d’une écriture dense où l’espace pour respirer est absent, des dialogues incarcérés dans la narration, sans repères, qui vous déstabilisent – au début. Vous plongez dans cette atmosphère suffocante et vertigineuse. De surcroît, la force de Paul Lynch est d’arriver à rendre son texte agréable à lire. On ne s’ennuie pas un instant. La logique du monde bascule cul par dessus tête, Eilish se demande si elle n’est pas en train de tomber dingue mais c’est plutôt le monde qui devient fou. Son père finit par être atteint de quelque chose qui ressemble à la maladie d’Alzheimer. Son fils cadet parle de Ver. L’auteur semble tester toutes les formes de folies qui peuvent s’abattre sur l’humanité à plusieurs échelles.

J’ai lu un peu partout des articles qui parlaient de dystopie. Je ne suis pas d’accord ! Si l’action se déroule dans une Irlande fictionnelle certes, il n’y quand même qu’à regarder le monde d’aujourd’hui pour s’apercevoir que ce que vit Eilish se déroule tous les jours : en Ukraine,  à Gaza,   en Syrie… et j’en passe. Il suffit de regarder l’Italie avec son gouvernement d’extrême droite où des droits fondamentaux sont remis en question (notamment pour les migrants, mais aussi le droit à l’avortement). Je me souviens des premières images de la guerre en Ukraine, où l’on voyait des gens qui s’étaient réfugiés dans le métro avec leur smartphone, qui ne se rendaient pas vraiment compte de ce qu’il leur arrivait. Et que doit-on penser de la situation politique de la France en ce moment, des États-Unis avec le retour du Brutus Peroxydé ?… Bref, on croit toujours que cela se passe dans des pays sous-développés, que la liberté du monde occidental est acquise pour toujours. Pourtant, on a réussi à nous mettre sous clé pendant la crise du Covid. Paul Lynch a débuté son roman pendant cette période, inspirante,  c’est sûr !😅

Je vous rassure,  ce n’est pas un roman politique en soi. On voit toute cette histoire à la hauteur d’une mère de famille,  bien installée socialement. Elle nous ressemble, avec nos vies débordées. Tellement débordée que je n’ai pas encore eu le temps de faire un saut en librairie pour acheter les dernières nouveautés irlandaises et autres qui me font envie. 🤯

Le titre m’intriguait car il n’y a pas de prophète dans cette histoire et, chose rare, c’est l’auteur qui a trouvé le titre (Prophet Song). J’ai eu la chance de pouvoir l’écouter lors d’une des rares rencontres organisées en France,  à la Librairie Millepages de Vincennes : il a expliqué que c’est grâce au titre du groupe Queen qu’il a eu la révélation du titre pour son roman🤘auquel s’ajoute aussi la dimension mythologique et métaphysique. Ne pas chercher du religieux, les gars, ouf !

Je suis Paul Lynch depuis ses débuts,  du moins depuis qu’il est publié en France,  j’ai lu tous ses romans. Je confirme qu’avec Le Chant du prophète, il a franchi un cap supplémentaire ! Le Booker Prize, le plus prestigieux prix littéraire dans le monde anglophone, est largement mérité, ce n’a rien d’un simple effet d’annonce.

Ma seule interrogation est : pourquoi la couverture est si moche ?😅 C’est la même couverture que l’édition VO : faut faire quelque chose, c’est pas très attirant.

Ah puis si, j’ai encore une question ! Quel sera le prochain roman (le sixième) après un tel livre ? J’ai oublié de poser la question. 🫢

Je vous conseille vivement ce livre qui est mon premier coup  de cœur ❤️  de l’année !

Paul Lynch et Dominique Chevallier (interprète) à la Librairie Millepages
le 9 janvier 2025
Avatar de Inconnu

About Maeve

Blogueuse littéraire depuis 2009, lectrice compulsive depuis l'âge de 6 ans ^_^ .
Cet article, publié dans Littérature irlandaise, Rencontres littéraires, est tagué . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

2 Responses to Le chant du prophète – Paul Lynch

  1. Avatar de alexmotamots alexmotamots dit :

    Une lecture immersive : dès les premières phrases, nous sommes projetés dans les problèmes.

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire