Indian Creek – Pete Fromm

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Traduit par Denis Lagae-Devoldère

Il fait chaud et vous avez besoin de vous évader ? J’ai trouvé un roman autobiographique absolument formidable : Indian Creek, au hasard de mes pérégrinations livresques et repéré au dernier Festival America, parmi les centaines de roman Nature Writing. Suivez-moi à la frontière de l’Idaho et du Montana, dans les Rocheuses, en hiver, dans un coin paumé coupé du monde dit « civilisé ».

Dans les années 70, Pete sort du lycée, n’a pas grande idée sur sa destinée universitaire. Un jour, un papier glisse d’une pile de brochures qu’un ami lui a apporté. « En haut de la feuille se dressait fièrement un mouflon, symbole éloquent de liberté et de grands espaces. En dessous, apparaissaient les mots obscurs de Biologie animale et Université du Montana« . Il envoie sa candidature alors qu’il ne connaît rien à ce domaine de biologie marine. Ce n’est pas une motivation scientifique qui l’anime, mais plutôt « une promesse de traînasseries sans fin ».  Trois mois plus tard, il atterrit à Missoula, dont il ne sait pas vraiment comment se prononce le nom de cette ville, pour entrer en première année de biologie. Il s’ennuie pendant deux ans, se voit attribuer une bourse d’études, qui reste pour lui le seul motif officiel de sa présence dans le Montana. Son coloc est un mec de l’Idaho, chasseur et rat de bibliothèque dont les livres de prédilection sont les romans de trappeurs. Lorsque Rader lit ces livres, il éclate de rire ou siffle d’admiration. Il n’en faut guère plus à Pete pour se plonger à son tour dans ces bouquins, lui qui ne lit pas beaucoup. Il découvre Lord Grizzly de Hugh Glass, The Big Sky de A. B. Guthrie, etc. Il ne lui en faut guère plus non plus pour s’imaginer en nouveau Boone Caudill, tout en se disant que tout de même, ces trappeurs avaient dû en baver.
En 1978, pendant sa troisième année à l’université du Montana, une fille avec qui il a randonné jusqu’aux Tetons (heu, c’est une chaîne de montagnes, je précise 😉 ) lui raconte son été dans un refuge perdu de l’Idaho, ses longues marches à la Passe des Nez Percés.

Dans la conversation arrive une histoire de boulot qui consiste à garder des oeufs de saumon pendant l’hiver, au milieu de la nature, le tout pour un salaire de deux cents dollars par mois. L’idée fait son chemin dans la tête de Pete et le voilà qui postule, pour ce job atypique. De mi-octobre à mi-juin,  il va vivre sous une tente, au croisement de deux rivières, la Selway et Indian Creek en plein coeur du parc naturel de la Selway-Bitterroot.
Débute ainsi une nouvelle vie pour Pete et surtout de rocambolesques aventures, avec quelques visites humaines de chasseurs de fauves mais surtout une vacuité absolue : « En acceptant de venir ici, j’avais dans la tête une vague idée de liberté : n’obéir à personne, ne faire que ce que je voulais. Il me semblait maintenant avoir négligé le tout simple fait que, même si je pouvais faire tout ce qui me chantait, et à n’importe quel moment, il n’y avait rien à faire. Cette impression était aussi angoissante que cette bûche sur ma poitrine qui m’avait coupé le souffle. »

Pete va faire son expérience dans ce roman d’apprentissage en pleine nature. Entre chasse à l’élan, au lynx, aux grousses, à l’écureuil, voire au raton-laveur qui se trouvait là au mauvais endroit au mauvais moment, mal dégourdi au début, quand il se retrouve avec une carcasse d’élan à dépecer et surtout à conserver pour pouvoir se nourrir de sa viande pendant les longs mois d’hiver ; il prend au fil des pages de l’assurance, grâce à la bande de chasseurs qu’il rencontre. Le tout avec une peur bleue d’un certain garde chasse qu’on lui décrit comme le plus terrible des terribles s’il le prend avec tous ces cadavres d’animaux. Le voilà en train de traîner sa bidoche d’un coin à un autre pour essayer de la cacher, le tout le plus discrètement possible. Sauf que dommage, même mort, les animaux semblent lui jouer des tours…

Les oeufs de saumon ? Il en est évidemment bien peu de question.
J’ai beaucoup souri avec ce roman magnifique qui décrit avec poésie ce coin paumé et coupé de tout. Une retraite en pleine nature, c’est tout à fait ce qu’il me fallait en matière de lecture.

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Une littérature vivifiante par -40 degrés, qui fait qu’on se balade en t-shirt dès qu’il fait zéro. Un livre que j’ai englouti, qui m’a vraiment emporté très loin, même lorsque j’étais entassée au milieu d’une foule gluante. On a beaucoup de mal à lâcher ce roman, je l’ai traîné partout avec moi, même en allant voir Anne Enright au Centre culturel irlandais, il est venu aussi avec moi au jardin du Luxembourg, et à la campagne sous les cerisiers. Je me suis cachée avec une petite lampe pour le terminer de nuit. Bref, je n’étais là pour presque personne dès que j’étais plongée dans cette lecture. La déconnexion complète du monde qui vous entoure. J’ai presque écrasé une petite larme à la fin, à cause de Boone, la petite chienne qui accompagne Pete depuis le début dans cette aventure. Devant retourner à la « civilisation », il a le courage de ne pas lui infliger ça, elle qui a toujours vécu là, dans les montagnes. « (…) Je laissai derrière moi Boone, mon printemps et mes saumons. J’étais venu ici pour avoir une histoire à raconter, mais il se passa un certain temps avant que je ne trouve quelque chose à dire ». On les laisse tous les deux avec regret. Comme de bons amis dont on n’a pas envie de se séparer après de belles vacances passées ensemble. Un bel ode au monde sauvage.

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Je découvre avec bonheur que Pete Fromm a écrit plusieurs romans après celui-ci qui date de 1993 : Lucky in the sky , le dernier publié en France m’inspire rien que par le titre.

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A propos Maeve

Blogueuse littéraire depuis 2009, lectrice compulsive depuis l'âge de 6 ans ^_^ .
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3 commentaires pour Indian Creek – Pete Fromm

  1. lilyn dit :

    J’adore ! C’est exactement ce qu’il me faut en ce moment, de la nature et des animaux !

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  2. alexmotamots dit :

    On sent que tu as eu du mal à le lâcher, au propre comme au figuré.

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