Retour sur mes lectures irlandaises de septembre et octobre : « Pauvre » de Katriona O’Sullivan, « Le garçon venu de la mer » de Garrett Carr ; « Croke Park » de Sylvain Gâche et Richard Guérineau

Pas trop présente dans le coin depuis la dernière chronique mais comme les fois précédentes, cela ne veut pas dire que je n’ai pas lu. J’ai même dévoré. Nouveau départ en Irlande dans quelques jours, donc c’est maintenant ou jamais pour faire une retour sur mes dernières lectures irlandaises !

J’ai lu Le garçon venu de la mer de Garrett Carr (traduit par Pierre Bondil) et j’ai beaucoup aimé ce roman qui prend son temps . Il y a-t-il une mode du roman irlandais qui se passe dans le Donegal ? C’est par ailleurs la question que je me pose ! A la fois saga familiale et roman d’apprentissage et roman de la mer, nous suivons la vie d’une famille sur deux générations. Tout débute quand en 1973, un bébé est retrouvé dans un tonneau sur la plage par un pêcheur d’une petite bourgade du Donegal. Cet événement bouscule le quotidien tranquille des habitants. Qui est ce gamin, d’où vient-il ? Christine et Ambrose décident de l’adopter, ce qui provoque un brin de jalousie de leur fils aîné. Ils l’appelleront Brendan, comme le Saint surnommé « le navigateur » ou le prophète de l’Irlande….

Ce petit garçon ne parle pas beaucoup mais il intrigue pas mal les habitants. On le sent différent. Du moins au début. Comment s’intégrer dans une société aussi fermée que celle de ce bout du monde ? Un monde de pêcheurs. Son comportement est étrange et interpelle. Il bénit tous ceux qui lui demandent. Puis, on le trouve souvent avec des marginaux. En toile de fonde de cette histoire, on trouve une pêche irlandaise qui se transforme, des normes européennes qui bouleverse la vie des marins, des achats de bateau plus gros, des endettements et des ratages. Le manque d’argent qui pousse les femmes à aller travailler à l’usine de poisson. J’ai aimé m’immerger dans la vie de cette famille irlandaise, ses histoires et secrets de famille. J’ai aimé vivre dans cette communauté du bout de l’Irlande dans un monde qui se transforme, pas forcément pour le meilleur. Une vague allusion au problème écologique que pose la pêche moderne que j’aurais voulu plus approfondi, mais je comprends que ce n’est pas le sujet des années 80-90. Si vous aimez le Donegal et l’océan, ce roman vous plaira. Les parents adoptifs portent des prénoms peu communs, en Irlande, c’est aussi une remarque que je me suis faite. La plume de l’auteur est magnifique, à la fois douce et âpre.

Incipit : « Nous étions un peuple résilient, nous avions grandi face à l’Atlantique. Quelques milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui s’accrochaient à la côte et essayaient de ne pas se faire mouiller. Notre ville n’était pas juste notre ville, c’est une logique et un destin. Nous n’ignorions pas qu’il y avait des lieux plus cléments et agréables, nous les voyions à la télévision, mais ils semblaient mièvres en comparaison. Chacune des mouettes du soir tournoyait au-dessus des chalutiers qui rentraient au port, et le soleil d’un orange ardaent s’enfonçait dans la mer, nous permettant de comprendre notre place sur cette terre ronde. Nous aimions ce sentiment, nous le savourions, mais nous ne nous étendions pas dessus. Les vents de l’Atlantique avaient chassé nos mots, et nous avions appris à nous en passer. »

Ensuite j’ai dévoré Pauvre de Katriona O’Sullivan, (traduit par Simon Baril). Ce n’est pas un roman, c’est le parcours de vie de l’autrice. Je savais que ce ne serait pas dans le registre misérabiliste qui fait chouiner car publier par une éditrice qui me déçoit rarement par le choix de ses textes, pour ne pas dire jamais, mais je n’ai pas lu tout son catalogue ! 🙂 Katriona à Birmingham avec des parents à la fois, junkies et alcooliques, qui vivent d’allocs dans une HLM pourri, entourée de leurs nombreux enfants dont ils sont évidemment incapables de s’occuper, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne les aiment pas, mais c’est un peu « spécial ». Quand on vit dans un tel univers, il est difficile de savoir qu’il existe une autre vie, avec d’autres repères. L’autrice décrit sa vie sans fard mais sans voyeurisme non plus. Si à l’âge de six ans, elle sauve son père d’une overdose, ce qui le sauvera, elle, c’est d’avoir croisé une personne en Irlande et une rage pour s’en sortir, en dépit d’un chemin qui est encore semé d’embûches, parce que le système des sociétés dans lesquelles on vit ne laisse que peu de chance à ceux qui ne sont pas issus d’une classe favorisée. Katriona O’Sullivan ne mâche pas ses mots sur le système éducatif irlandais. Si t’es riche, tu iras à Trinty même si tu es stupide. Si tu es intelligent mais pauvre, ce sera une bataille acharnée pour t’en sortir. Tous ceux qui n’ont pas eu un parcours tout tracé peuvent se reconnaître dans ses mots, même en France où l’apologie des maths fait sa loi et celle des écoles internationales et autres lycées « côtés » font le tri pour l’accès à l’université aujourd’hui et aux formations prestigieuses. Ensuite Katriona O’Sullivan explique très bien qu’elle était elle-même son propre obstacle. Le syndrome de l’imposteur, le manque de confiance en soi, le sentiment de trahir sa classe sociale. J’ai aimé son style sans fioriture. J’ai pensé au parcours d’Emilie Pine ou d’Annie Ernaux (qui vient tout de même d’un milieu social un chouia au-dessus). L’autrice est aujourd’hui maître de conférences et docteur en psychologie. Je me suis retrouvée en train de chialer comme une petite fille sur les pages de la remise du diplôme du doctorat par Mary Robinson présidente de la République d’Irlande. Ce n’était sans doute pas le but de l’autrice de me faire pleurer sur cette page mais l’aboutissement d’un parcours dingue. 🙂

« Il y avait quelque chose dans son imagination, dans sa manière de me regarder – j’ai senti qu’elle me voyait vraiment.
Pas une gosse de junkies.
Pas une fille-mère.
Pas une mère indigne.
Pas une femme de ménage.
Moi.
Mary Robinson me regardait moi. La vraie Katriona. Celle que moi-même je n’avais fait qu’entrapercevoir. Elle regardait la gamine qui s’était accrochée, celle qui, ne pouvant pas manger à sa faim, avait quand même lu, dansé, chanté. C’était comme si elle pouvait voir toutes les étapes que j’avais franchies pour parvenir ici – comme si elle voyait mon âme. »

(…)
« Rien n’a changé depuis mon enfance. Je vois des gens comme moi qui luttent encore pour joindre les deux bouts, essayant de survivre en tirant parti au mieux du système. Je sais que j’ai eu de la chance – j’ai atterri dans une ville en plein essor, à une époque où l’on finançait des programmes destinés à sortir les gens de la pauvreté. Et je n’ignore pas que, dès la fin du boom économique, on s’est empressé de réduire ces programmes à peau de chagrin ou de les supprimer carrément. Le gouffre entre les riches et les pauvres grandit ; aujourd’hui, il est beaucoup plus difficile pour les pauvres d’accéder à l’éducation de que j’ai reçue. Les gens comme moi doivent de nouveau se montrer extrêmement reconnaissant si on daigne mettre à leur portée le moindre marchepied. La plupart des services dont j’ai pu profiter ont disparu.« 

J’ai enfin lu la « mythique » BD Croke Park, 21 novembre 1920 : dimanche sanglant à Dublin de l’auteur français Sylvain Gâche et du dessinateur Richard Guérineau. Cet album nous replonge parfaitement dans l’ambiance irlandaise des années 20 et de ses agents infiltrés. On retrouve Michael Collins. La fin est particulièrement violente, comme on s’en doute, mais les auteurs nous la font revivre vraiment, dans toute son injustice. Je n’ai pas eu le temps que faire quelques photos des images où on retrouve Dublin bien dessiné, même la fameuse Pepper Pot Church ! Seul bémol et je ne sais pas si c’est fait exprès, mais tous les personnages se ressemblent les uns les autres. Cela ne gêne pas la lecture mais ça m’a perturbée. A un moment j’ai cru voir Michael Collins, mais c’était un autre qui lui ressemblait comme une goutte d’eau. Pourtant, il est bien dans la BD aussi.

Mis à part, une belle restitution du premier Bloody Sunday
A lire !

J’ai lu également trois autres bouquins pas du tout irlandais dont je vous parlerai la prochaine fois.

En attendant, j’ai hâte d’aller prendre un peu de repos dans mon pays préféré, pour cette période d’Halloween.

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About Maeve

Blogueuse littéraire depuis 2009, lectrice compulsive depuis l'âge de 6 ans ^_^ .
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2 Responses to Retour sur mes lectures irlandaises de septembre et octobre : « Pauvre » de Katriona O’Sullivan, « Le garçon venu de la mer » de Garrett Carr ; « Croke Park » de Sylvain Gâche et Richard Guérineau

  1. Avatar de Cath L Cath L dit :

    Le garçon venu de la mer pourrait me plaire… à noter !

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