Traduit par Michel Pétris
4e de couverture : « A la fin des années 20, Orwell tombe brusquement dans la misère. À Paris puis à Londres, il découvre le quotidien des petits ouvriers et des laissés-pour-compte, tenaillés par la faim et rongés par l’alcool. Sans voyeurisme ni complaisance, il dresse un portrait vivant de ces habitués du mont-de-piété où l’espoir et l’infortune se livrent un duel épique. »
C’est par ce roman méconnu que j’ai entamé une « partie de lectures » londonienne, en prélude à un petit séjour dans la capitale britannique.
George Orwell est avant tout connu comme l’auteur de 1984 (1949), et de La ferme aux animaux (1945). Pourtant, cet auteur issu d’une famille anglo-indienne (il est né au Bengale en 1903), ayant étudié à Eton aurait pu, sans doute, s’assurer un avenir confortable s’il était resté dans les rangs de la police indienne impériale de Birmanie. Du moins c’est ce qu’on imagine. Cependant, il décide de quitter ce job pour se consacrer pleinement à l’écriture.
Mais, le chemin fut parsemé d’embûches. Avant de devenir le célèbre auteur de 1984, notre cher George a connu quelques galères. C’est ce qu’il raconte Dans la dèche à Paris et à Londres, après un séjour dans la patrie de Molière qui ne fait pas rêver et un retour au pays de Sa Majesté qui vaut aussi son pesant de cacahuètes. Ce texte a été publié en 1933 et nous raconte le Paris et le Londres des années folles chez les laissés-pour-compte.
A Paris, George crèche d’abord Rue du Coq-d’Or . « Prise de bec, plainte rituelle des marchands ambulants, cris aigus des enfants pourchassant des peaux d’oranges sur le pavé et, à la nuit tombée, l’odeur âcre des poubelles. » Voilà pour l’ambiance dans cette « rue très étroite, un sorte de gorge encaissé entre de hautes maisons aux façades lépreuses ». Il vit dans un hôtel, bien sûr. Celui des immigrés, Arabes, Italiens, qui se tapent dessus dès qu’ils ont trop bu. Cela fait déjà un an que George habite là. Jusque à présent, il donnait des leçons d’anglais pour 36 F hebdomadaires. Mais cela se met à ne plus suffire. Il envisage alors de « louer ses services à un agence de tourisme, comme guide ». Mais le sort va en décider autrement, le jour où un Italien cambriole l’hôtel et lui vole ses économies. C’est de le début d’une rocambolesque aventure, où il doit subsister avec 6 F par jour. Sur sa route, il rencontre un Russe, Boris, le genre Monsieur la Bricole, qui a toujours les plans les plus foireux possibles. Mais bon, grâce à lui, c’est finalement dans le monde de l’hôtellerie-restauration que George va faire carrière à Paris. C’est mieux que rien !
Je ne vais pas en dire plus sur sa vie parisienne, si ce n’est citer quelques passages. George n’y va pas par quatre chemins pour décrire ce monde, mais c’est avec beaucoup d’humour qu’il conte ses aventures. Le récit ne donne pas trop envie de faire carrière dans le milieu… :
« A première vue, rien ne paraît plus facile à effectuer que ce stupide travail d’employé de cuisine, mais on en mesure toute la difficulté dès qu’il s’agit de l’exécuter en tant pressé par le temps. Il faut sauter sans arrêt d’une occupation urgente à une autre tout aussi urgente (…). Vous êtes, par exemple, en train de griller des toasts quand soudain arrive – brrang ! – un monte-plats où l’on vous demande du thé, des pains au lait et trois variétés différentes de confiture ; et en même temps – brrang ! – en voilà un autre qui vous somme de fournir des oeufs brouillés, du café et des pamplemousses. Vous vous précipitez à la cuisine pour les oeufs, puis à la salle à manger pour les fruits, filant à la vitesse de l’éclair afin d’être de retour avant que vos toasts ne soient brûlés, sans cesser de penser au thé et au café et à la demi-douzaine de commandes qui attendent encore d’être satisfaites. (…) Entre huit heures et dix heures et demie, on vivait donc dans une sorte de perpétuel délire. »
« (…)Ce n’est pas une figure de style mais l’énoncé d’un fait vrai que de dire qu’un cuisinier français n’hésitera pas à cracher dans la soupe – à moins, bien sûr, qu’il ne compte en manger lui-même. »
« La règle voulait que les employés paient toute marchandise gâchée par leur faute. En conséquence, on ne jetait presque jamais rien. Un jour, le garçon du troisième étage laissa tomber un poulet rôti à travers le puits du monte-plats. Le poulet alla échouer sur la couche de débris de pain, de vieux papiers et autres déchets qui tapissaient le fond. On se contenta de l’essuyer avec un torchon avant de lui faire reprendre le chemin de la salle à manger. » Et tout ça, dans des grands hôtels parisiens ! C’est du propre !
A vous de découvrir tous les passages savoureux de ce récit, mâtinés aussi de quelque réflexions sociales bien vues :
« (…) il semble aberrant que, dans une grande ville moderne, des milliers de personnes puissent passer toutes leurs heures de veille à laver des assiettes dans de sombres souterrains surchauffés. Les questions que je pose sont alors les suivantes : comment un tel mode de vie peut-il se perpétuer ? Quel but sert-il ? Qui souhaite le perpétuer, et pourquoi ? (…) Il faut, je crois, commencer par souligner que le plongeur est un des esclaves du monde moderne ».
Finalement dégoûté de Paris, notre George décide de retourner au pays des sujets de sa Majesté, avec à l’esprit de retourner au Paradis après avoir mangé de la vache enragée en France :
« L’Angleterre offre, c’est un fait, un certain nombre d’agréments qui font qu’on a plaisir à la retrouver : les salles de bains, les fauteuils, la confiture d’orange, les pommes de terre nouvelles cuites à point, le pain bis, la sauce à la menthe, la bière faite avec des houblons véritables. » 🙂
Et là, Orwell vous trimballe dans les lodging-house, des dortoirs payant qui appartiennent à des riches. Un genre de foyer pour pauvres, où il règne une certaine solidarité entre les résidents, qui partagent leur nourriture. George vous traîne dans l’East End. Ici, les gens partagent, dit-il, alors que le Français est individualiste et ivrogne. 🙂 « Il y avait moins d’ivrognerie, moins de saleté, moins de querelles, et davantage de désoeuvrement. On apercevait à tous les coins de rue des grappes d’hommes qui n’avaient pas l’air de manger tous les jours à leur faim, mais qui subsistaient vaille que vaille grâce au thé-deux-tartines que le Londonien avale toutes les deux heures. (…) C’était ici le pays de la théière et de la Bourse du travail, de même que Paris est celui du bistrot et de l’exploitation forcenée de la sueur. »
Pendant qu’il chante la beauté de l’East End, où les femmes sont jolies, il fait la connaissance d’un vagabond irlandais, Paddy, un trimardeur qui loge à l’asile de Romton. Si à Paris vous avez pu découvrir les hôtels, auberges et restaurants, ici, vous allez traîner dans le monde des asiles londoniens, avec « des alignements de petites fenêtres garnies de barreaux ».
Dans toute cette partie du récit, on pense inévitablement au Peuple d’en-bas de Jack London, sur l’East End de 1905 (qu’il faut absolument que je relise !), d’autant qu’Orwell y fait brièvement référence.
Dans la dèche à Paris et à Londres était sur mes étagères depuis quelques années. J’ai visité une partie de l’East End (Spitafields et Brik Lane), quartiers en pleine métamorphose. Ce fut à la fois émouvant, drôle, truculent de découvrir les lignes de George Orwell, qui sont un précieux témoignage sur le Paris et le Londres de l’époque. Un regard amusant et acerbe d’un citoyen britannique sur les pays des Droits de l’homme, un George Orwell qu’on sent profondément attaché à son pays, mais qui n’hésite pas non plus à mettre quelques coups de griffes là où ça fait mal, dénonçant les préjugés et les abus d’un système :
« Je voudrais consigner ici quelques remarques générales sur les chemineaux [heu, ceux qui cheminent, les vagabonds, pas les employés de la SNCF, hein ! 🙂 ] Quand on y pense, ces hommes constituent une sorte de monstruosité qui mérite d’être étudiée de plus près. Il est assez monstrueux de voir une tribu forte de plusieurs dizaines de milliers d’individus contrainte de sillonner sans relâche l’Angleterre, du nord au sud et du sud au nord (…) ».
Il dénonce une certaine hypocrisie des tenanciers de lodging-house, qui font mine de faire la charité en abritant des SDF : « Les tenanciers de lodging-houses devraient êtres tenus de fournir de draps convenables et des couvertures en quantité suffisantes, de meilleurs matelas et surtout diviser les dortoirs en boxes individuels. »
« Voilà le monde qui vous attend si vous vous trouvez un jour sans le sou. »
Nous sommes en pleine rentrée littéraire, mais ce récit de 1933 est à [re]découvrir.
Un petit bémol pour la traduction, qui fait un peu « vieillotte » et mériterait peut-être d’être dépoussiérée.
Je vais prochainement continuer avec quelques chroniques « londoniennes » puisque je suis en train de lire Virginia d’Emmanuelle Favier, mais aussi Salaam London de Tarquin Hall (sur Brick Lane !) et aussi Shadowplay de Joseph O’Connor. Oui, tout ça en même temps : je suis un peu bordélique dans mes lectures en ce moment, mais c’était pour aussi pour en savoir le plus sur tout un tas de choses non mentionnées dans les guides touristiques sur Londres… Evidemment, ça ne se passe jamais tout à fait comme on l’imagine quand on est une flâneuse qui enchaîne les pas sans compter, juste guidée par ce qui l’inspire au moment M. Mais ce fut quand même une belle réussite littéraire, entre autres.
Oui je partage votre enthousiasme, c’est un des livres qui m’a le plus marqué depuis que j’ai entrepris de partager mes lectures essentielles sur un blog. Quelle puissance d’évocation !
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La portée de ce texte est toujours actuelle, malheureusement.
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Dommage pour la traduction un peu datée.
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Oui. Je veux bien que le texte ne soit pas tout récent mais sa portée « universelle » mériterait un petit dépoussiérage. Chemineau, c’est un peu daté.
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