Traduit par Jacques Chabert
Tarquin Hall, journaliste, rentre à Londres après de nombreuses années à l’étranger. Il se met à la recherche d’un logement et déchante tout de suite : il est devenu impossible de se loger décemment à Londres, même si on a une situation professionnelle correcte. Le seul logement qu’il peut s’offrir est une mansarde dans laquelle il ne peut se tenir debout qu’en étant au milieu. Le logement est vendu comme » studio vie-travail spacieux ». Les toilettes sont à l’étage, partagées entre plusieurs locataires. Le propriétaire est un Bangladais, Mr Ali, qui possède un magasin de vestes de cuir et parle avec un accent « d’un séjour de quatorze ans au Bangladesh suvi d’un autre de vingt-neuf ans dans l’East End de Londres ». Nous ne sommes pas dans les quartiers cossus de Chelsea ou Nothing Hill, mais à Brick Lane.
Ce mal logement va être l’occasion pour Tarquin Hall de faire connaissance avec ses voisins. Du Bangladais au Pakistanais, en passant par la vieille femme juive ou les Kosovars, c’est toute l’histoire de l’East End et Brick Lane qui défile sous nos yeux. Le titre original est Salaam Brick Lane – A year in the New East End. Une galerie de portraits savoureuse qui serait peut-être fastidieuse de décrire dans le détail, d’autant qu’il y a de nombreux personnages hauts en couleurs. Tarquin Hall est fiancé à une journaliste indienne, qui est allée vivre aux Etats-Unis, histoire de respirer, de mettre de la distance avec sa famille un tantinet étouffante. Quand Tarquin débarque à Londres, il n’a pas le courage de lui dire où il vit réellement de peur de ne jamais la revoir. Pourtant, il se trouve bien contraint de lui avouer. Cela dit, si la jeune femme est surprise, voire déboussolée par le quartier, le logement et Londres, c’est sans doute de trouver un gang de tantes qui la surveille de près, du genre à vouloir lui trouver le mari idéal, indien, évidemment, puis de faire la soupe à la grimace quand elle annonce qu’elle est fiancé à un Anglais blanc. Mais qu’à ne cela ne tienne, une fois la pilule avalée, le gang de tantes ont dans l’idée de s’occuper de leur mariage. Vous voyez le genre ? Ce sont des pages qui m’ont pas mal amusée ainsi que celle avec vieille juive, Sadie Cohen : la mémoire du quartier à elle toute seule. Son appartement est dans son jus des années 50. Elle fait partie des derniers juifs à habiter l’East End. Les premiers immigrants venus de Russie, pour échapper au pogrom, après les Huguenots français au XVIIIe siècle.
Ce récit est un formidable guide si vous visitez l’East End. J’en ai commencé la lecture dans l’Eurostar et je le lisais le soir, pendant mon séjour londonien, ayant l’intention d’aller à Brick Lane et Spitafields. C’est un bon pavé de presque 500 pages, alors j’étais loin de l’avoir terminé sur place, mais il m’a donné quelques repères, comme l’histoire de cette partie de Londres, qui est historiquement des plus miséreuses. En lisant les premières pages, je me faisais toute petite dans mon siège parce qu’il y a quelques descriptions pas très engageantes au début, qui reflètent l’angoisse de l’auteur y débarquant. Son dépaysement. Ce fut amusant de voir citer Dans la dèche à Paris et à Londres, d’Orwell, que j’ai lu juste avant. Mais aussi Jack London qui est venu dans ce coin et en a tiré Le peuple d’en bas. Je fus scotchée de tomber sur la boulangerie à Beigel citée dans le livre.
Ce fut amusant d’emboîter le pas à Tarquin Hall et je me suis promenée avec ravissement dans l’East End, tant littérairement que physiquement, même si je ne suis pas allée jusqu’à Whitechapel, mes jambes n’en pouvant plus ! Ce livre date de 2005 et la fin reflète tout à fait ce que j’ai ressenti en débarquant là-bas, par la station Liverpool Street. Vous tombez direct sur les tours de la City, qui semble grignoter petit à petit les quartiers populaires. Ca vous saute aux yeux, ce fut ma première pensée. En sortant du métro, vous tombez sur un quartier rutilant, plein de yuppies et de bobos. Il faut marcher un petit moment pour arriver sur Spitafields. Je suis partie à la recherche des maisons huguenottes mais surtout du fameux Old Market. Je cherchais mais tout ce que je voyais était rutilant. Il n’y a plus que certains murs du Old Market, au bout de Bishopgate. Et à l’intérieur, ce ne sont plus que des achalandages d’artistes ou marchands de babioles, majoritaires sur les étalages réservés à l’alimentation.
C’était vraiment nikel chrome. Il a fallu que je marche encore, que je tourne et vire dans quelques ruelles, après quelques infos prises auprès d’un habitant qui m’a vue regarder mon plan (merci à lui pour son aide !) pour que le paysage urbain change. Enfin, j’ai débouché sur Brick Lane par une rue perpendiculaire et là, ce fut un voyage ! Street Art, échoppes vendant des plats asiatiques, des « currys », ou des beigels. Je ne connais pas le Brick Lane de 2005, mais bien sûr, j’ai vu que la fabrique de bières était transformée en autre chose, un truc qui rapporte de l’argent…
La fin du livre est éloquente et reflète vraiment mon ressenti : « (…) le visage de Brick Lane changeait de façon spectaculaire. Plusieurs boutiques de vêtements de cuir avaient disparu. L’une après l’autre, les maisons mitoyennes délabrées de la fin du XIXe siècle étaient restaurées. On parlait d’un programme de plusieurs millions de livres pour refaire la chaussée de la rue avec des pavés.
En même temps, Spitafields changeait. On projetait d’abattre la moitié du marché et d’y bâtir des bureaux municipaux. La cour de marchandises de Bishopgate était elle aussi menacée d’une démolition imminente. La profusion des panneaux « A VENDRE » sur les anciennes propriétés huguenotes dans les rues entourant l’église du Christ marquait la fin d’une époque. Les familles bangladaises qui avaient habité dans ces bâtiments depuis les années 1960 partaient et étaient remplacées par une vague de yuppies et de bobos. Des voix s’élevaient contre cette nouvelle invasion qui menaçait l’esprit même de l’East End, contre cet embourgeoisement progressif qui allait le transformer pour toujours. » Tarquin Hall souligne tout de même que ce sont ces mêmes voix qui se plaignaient des conséquence de la misère. C’est bien la même chose en France (il n’y a qu’à voir Montreuil, et pas que).
L’East End grignoté par la Finance (c)

Les maisons huguenotes du 18e Spitafields (c)

Ce qu’il reste du Old Market (c) …
Le nouveau Old Market (c) 😦

Les rues sont effectivement pavées
Brick Lane
Brick Lane – version « Brocolis Lane », comme je l’ai vu écrit au-dessus d’une fresque 🙂
(c)
Salaam London parle d’identité britannique, et de son pendant, le racisme et le communautarisme. On en apprend un rayon sur tout ce qu’on croit purement britannique (voire purement anglais) et qui ne l’est pas. Cf. le fish & chips. C’est l’expérience que fera un journaliste britannique-bengali qui reproche aux Anglais d’avoir trop assimilé d’autres cultures. « (…) vous, les Anglais, c’est différent, continua-t-ill. Vous êtes uniques, en ce sens que vous pillez des éléments d’autres cultures et que vous les faites vôtres, que vous les anglicisez. Et ce faisant, vous vous persuadez vous-mêmes que ce que vous absorbez de la sorte, quoi que ce soit était anglais à l’origine. »
Seul bémol pour ce livre : peut-être quelques longueurs. Aurait été encore meilleur s’il avait été plus court car on n’échappe pas à quelques répétitions. Mais c’est vraiment très instructif. Je me suis tout de même régalée.
A lire absolument si vous comptez visiter l’East End !
Crédits photos : Mille et une lectures de Maeve (C)
Une lecture « en situation ». Merci pour tes photos qui donnent envie de retourner dans cette ville.
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Il faut, effectivement ! Livre instructif, de surcroit, ce qui ne gâche rien !
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