Bad Girl – Nancy Huston

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Bad Girl « Classes de littératures » est un récit à la lisière invisible entre la fiction et l’autobiographie. Le lecteur qui connaît l’oeuvre de Nancy Huston s’aperçoit rapidement que le narrateur qui apostrophe une petite Dorrit n’est en fait qu’une seule et même personne : l’auteure qui s’adresse à son moi même pas encore née.

« Toi, c’est toi. Dorrit. Celle qui écrit. Toi à tous les âges, et même avant d’avoir un âge, avant d’écrire, avant d’être un soi. Celle qui écrit et donc aussi, parfois, on espère celui/celle qui lit.
Un personnage. »

Nancy Huston choisit un point de vue original en s’adressant au foetus qu’elle a été, ce bébé non désiré dont il a été question de se débarrasser. Mais qui s’accroche. Tout ce qu’elle peut. « S’accrocher, Dorrit, sera l’histoire de ta vie. »

Avec beaucoup d’humour, Nancy Huston raconte l’histoire improbable de la rencontre de ceux qui seront ses parents. Elle remonte l’arbre généalogique pour tenter de cerner ce qui a pu faire d’elle ce qu’elle elle devenue. La relation difficile à sa mère, qui l’abandonne à l’âge de six ans, un père largué et adultère, un  grand frère, Stephen qui sera son modèle, sa bouée de sauvetage, celui qui lui apprendra à lire à 4 ans et par là ouvrira la grande histoire de sa vie : la littérature. Le divorce de ses parents quand elle a dix ans. Le remariage de son père, fils de méthodiste, à une Allemande catholique romaine. Le déracinement d’une enfant trimbalée partout par les déménagements successifs à travers le Canada et à l’étranger. La littérature comme point de repères. La folie dans une famille de barrés. Le trauma de la prime enfance qu’on se trimballe toute sa vie. L’envie d’écrire pour être entendue. Puisqu’on ne l’écoute pas.

« Te fera immanquablement disjoncter le fait de n’être pas entendue lorsque tu parles (…)

Te rendront capable de meurtre (ou presque ces employés de la poste, de la banque, de n’importe quelle entreprise ou administration, qui t’ignorent ou te répondent comme des automates (…) ».

Les phrases s’alignent, brèves, incisives, poétiques, cash, crues, percutantes, moqueuses. Les évocations se succèdent sans souci de chronologie, (ben oui, quand on n’est pas née, le temps n’a finalement pas d’importance, on sera mais on n’est pas encore).

« Tu liras matin et midi, soir et nuit. Tu liras en marchant, en mangeant et en allant aux toilettes, tu liras avec une torche électrique en te cachant sous ton lit, tu liras dans le bus, dans le train, et sur le siège de la voiture, si tu pouvais lire en dormant et en jouant au piano tu le ferais aussi. »

Basel Van der Kolk, psychologue néerlandais « dit que le trauma vous conduit à perdre toute motivation, donc tout affect, et vous paralyse. (…) Il dit que le but de l’émotion est la motion, le mouvement : nous rapprocher ou nous éloigner les uns des autres. » Il dit que contrairement à la notion freudienne selon laquelle parler de son trauma aiderait à le surmonter (…) sont plus efficaces (…) la danse, le théâtre, le rolling et le yoga. Des trucs de corps ».

« Oui les femmes devenaient barjos plus souvent que les hommes, mais certains hommes devenaient barjos aussi. Le grand-père d’Alison, par exemple (fils de la dame qui hurlait à la lune). Totalement barjo.
Peut-être sa mère sorcière était elle-même devenue Barjo avant de venir au Canada, voire née barjo, et avait-elle transmis à son fils les gènes de sa barjoterie ? Peut-être as-tu hérité toi aussi, Dorrit, un peu de cette barjoterie de son arrière-arrière-grand-mère ? (Avoue-le : dans ton for intérieur, n’as-tu pas toujours eu un peu envie de hurler à la lune ?) »

Comme tous les autres livres de Nancy Huston lus jusqu’à présent (ça doit être mon 4e), j’ai vraiment beaucoup aimé. C’est original, intelligent, intellectuel certes, mais ça fait sens sans donner mal à la tête. On se laisse embarquer par sa prose avec un plaisir non dissimulé. J’ai beaucoup souri, signe d’une lecture réussie !

Ce livre date de 2014.
J’espère quand même un jour arriver à aller l’écouter parler de son oeuvre !

 

 

 

 

 

 

A propos Maeve

Blogueuse littéraire depuis 2009, lectrice compulsive depuis l'âge de 6 ans ^_^ .
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2 commentaires pour Bad Girl – Nancy Huston

  1. alexmotamots dit :

    Me voilà tentée, parce que c’était pas gagné (se parler à soi fœtus ?!)

    Aimé par 1 personne

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