Traduit par Catherine de Palaminy
Après vous avoir fait grelotté il y a quelques jours dans un coin perdu des montagnes Rocheuses, vous allez vous prendre un coup de chaud avec ce ce roman de l’Américain Howard Fast : La dernière frontière. Ecrit en 1941, il figure parmi les classiques de la littérature dédiée à la cause indienne aux Etats-Unis. Les éditions Gallmeister ont réédité en 2014, au format poche, cet excellent ouvrage d’abord paru chez 10/18.
En postface, Howard Fast explique comment lui est venu l’idée de ce livre, lui, connu comme un grand défenseur de la question indienne dans son pays. En lisant Powder River, de Struthers Burt : « Un paragraphe de ce livre me permit de soupçonner, ce qui avait peut-être été, de toute l’histoire de l’humanité, le plus grand des combats contre l’adversité, et me révéla aussi cette épopée ».
Nous sommes en juillet 1878 quand débute le récit. Il fait une chaleur accablante et poussiéreuse dans ce coin des Grandes Plaines que l’on appelle aujourd’hui Oklahoma, où ont été parqués les Cheyennes. La météo habituelle d’un plein été, où la terre est cuite par le soleil, les rivières asséchées, l’herbe jaunie, les pins rabougris. Les Texans se sont appropriés les riches vallées du Wyoming, plus au Nord, le territoire natal d’une partie de la nation cheyenne (qui se divisent en 2 groupes, dont une vit plus au sud). Ce que l’on nomme aujourd’hui l’Oklahoma était réputé pour être « le plus ingrat de tous les pays des plaines ». Le Congrès réserva ce lieu si accueillant… aux Cheyennes qu’il déportèrent là-bas et le dénomma « Territoire indien ». On voudrait se débarrasser d’indigènes encombrants qu’on ne s’y prendrait pas autrement, n’est-ce pas ?
Les Cheyennes n’ont pas le droit de sortir de ce territoire. Eux qui était un peuple de chasseurs de bison et de cultivateur, se voient en prison à ciel ouvert, sur cette terre hostile, dont ils ne supportent pas le climat, tombent malades de la malaria et crèvent de faim.
Pourtant, par une chaude journée, où « le soleil en fusion paraissait vouloir se laisser tomber du ciel métallique et sans nuages », où « la terre s’envolaient en petites bouffées de fine poussières rouge », 300 Cheyennes décident de rentrer chez eux, dans les Blacks Hills du Wyoming. Panique à l’agence (sorte de structure qui est chargée de veiller sur la réserve). Au début, les agents en charge de l’agence pensent avoir affaire à un mirage dû à la chaleur. « Ils avaient à peu près terminé leur repas lorsque Miles, qui était assis en face de la fenêtre, vit des Indiens à cheval qui s’approchaient de la maison. Il eut d’abord l’impression que ses yeux le trompaient, qu’il était dupe d’un mirage. Une vingtaine d’Indiens à demi nus et peinturlurés, sur des poneys squelettiques et dont la maigreur allait de pair avec celle de leurs cavaliers, s’avançaient au milieu de vagues de poussière saturées de soleil ; les poneys paraissaient flotter sur le ventre au-dessus d’un nuage route. » « Serger reconnut les deux vieux chefs qui les conduisaient : Dull Knife [à gauche ci-dessous] et Little Wolf [ à droite]. »
Les deux vieux chefs cheyennes, expliquent sans animosité qu’ils rentrent chez eux, dans les Black Hills et pourquoi : « Combien de temps devons-nous rester ici ? disait Little Wolf d’un ton monocorde, sans jamais élever la voix. Jusqu’à ce que nous soyons tous morts ? Vous vous moquez de mes hommes qui restent sous leurs huttes, mais que voulez-vous qu’ils fassent ? Travailler ? La chasse est notre travail; nous avons toujours vécu ainsi et n’avons jamais eu faim. Aussi loin que les hommes peuvent se souvenir, nous avons habité un pays qui était le nôtre, un pays de prairies, de montagnes et de forêts de grands pins. Il n’y avait pas de maladies et peu mouraient. Depuis que nous sommes ici, nous avons tous été malades et beaucoup sont morts. Nous avons souffert de la famine et nous avons vu les os de nos enfants percer leur peau. Est-ce donc si affreux qu’un homme veuille retourner chez lui ? Si vous ne pouvez nous donner la permission de partir, laissez quelques-uns d’entre-nous aller à Washington dire ce que nous endurons. »
Bien évidemment, personne ne les écoute et c’est tout un mécanisme qui se met en place. Les agents de la réserve préviennent les soldats et c’est le début d’une course poursuite qui s’achèvera en avril 1879. De manière tragique, vous vous doutez bien. 3000 Cheyennes affamés et affaiblis contre 14 000 soldats. Rien de moins. La chose qui fait sourire, c’est que malgré leur nombre largement supérieur, les soldats auront bien du mal à repérer les traces des Indiens.
Le pouvoir tentera d’effacer cette bavure en modifiant les faits lors de l’interview accordé par le général Sherman aux représentants du New York Herald. Mais heureusement que, même à cette époque, il y avait quelques Blancs dévoués à la cause indienne, en particulier un journaliste du Daily Herald d’Ohama, dans le Nebraska, pour écrire, dans l’éditorial du 17 janvier 1879 que « cette affaire cheyennes est dans la ligne de toute la politique du Bureau des Affaires indiennes. C’est une honte pour les Etats-Unis ». Malheureusement, tout fut assez vite oublié, comme toute chose encombrante pour un pouvoir en place. On peut remercier Howard Fast d’avoir romancé cette histoire vraie pour faire ressurgir la vérité à travers une enquête qu’il a mené lui-même, malgré les difficultés qui se sont dressées, en particulier la barrière du langage : « Les très vieux Indiens qui se souvenaient de l’évasion vers le nord n’avaient jamais appris à s’exprimer correctement en anglais. Ils parlaient encore leur langue complexe et merveilleusement musicale, mais je ne rencontrai personne ou presque capable de m’aider à la traduire clairement. »
J’ai appris beaucoup de choses que j’ignorais. Je m’intéresse à la cause indienne depuis un moment, mais malgré cela je reste ignorante car je ne lis pas assez de romans de ce type, à la fois instructif et divertissant, pour dénoncer une ignominie qui perdure. Les nations indiennes vivent toujours dans des réserves aux Etats-Unis. Au Canada, c’est un peu différent mais guère plus car elles sont discriminées et jalousées (à cause de quelques maigres avantages fiscaux). Bref, le racisme n’est pas mort, malheureusement.
En 2005, j’ai passé quelques jours de vacances dans un camp en plein air avec une tribu indienne québécoise (qui parlait français, bien sûr, leur deuxième langue maternelle). Un classique que peut faire n’importe quelle personne se rendant au Québec car les Indiens sont reconvertis dans le tourisme, mais de manière intelligente. En tout cas, dans ce camp, ce n’était pas du Disney, mais un coin sympa pour se reposer, faire du sport et se cultiver. Un moyen pour les Indiens de faire passer un message… Le chef, (Gervais) un sacré conteur, mais aussi un intellectuel qui vient souvent à Paris pour faire entendre la cause de son peuple. Choc culturel, étonnement, révélation que ces minorités font partie de notre Histoire, à nous, les « maudits Français » mais dont aucun livre scolaire ne nous apprend l’existence. Il faut avoir la chance de pouvoir voyager pour la découvrir (ou celle de s’intéresser à cette littérature dédiée, (une pensée pour Le dernier des Mohicans, dévoré quand j’étais ado).
Et puis, une pensée aussi pour nos Amérindiens français de Guyane !! Il y a quelques semaines, un reportage pendant les grèves a accordé quelques minutes de paroles à cette minorité qui a déclaré qu’elle se sentait oubliée de Paris….
Et que dire de nos ghettos à « minorité visibles » qui ne disent pas leur nom…
Pour revenir à Howard Fast et à La dernière frontière : un roman qui vous embarque, avec une foule de personnages du côté des Blancs (on s’y perd un peu mais c’est pas grave car on suit le fil de la cavalcade tout de même). Instructif et divertissant. Un bel hommage à la question indienne. On aurait presque envie d’apprendre le cheyenne en terminant ce roman. Une lecture qui, je pense, va rester ancrer dans mon esprit.
Sympathique la ligne éditoriale de Galleimester dont c’est le deuxième roman qui garnit ma bibliothèque ! 🙂
PS : question de traduction, je n’ai pas compris le pourquoi de la graphie « whiskey ». Je ne peux qu’imaginer que c’était l’orthographe de la VO. On n’est pas en Irlande donc c’est étonnant.
On sent que le sujet te tient à coeur.
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Effectivement.
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