Traduit par Catherine Richard-Mas
Ma première lecture irlandaise de la rentrée littéraire. Cork, je connais. C’est tout mignon. Mais ici, Lisa McInerney choisit de vous emmener visiter la face sombre de la ville : l’underground. Le Cork des paumés, de ceux qui vivent de petites et grosses magouilles entre amis, qui ne sont jamais tout à fait des amis. Méfiez-vous aussi des petites mamies…
Ca commence par un meurtre commis par inadvertance. Une vieille dame, Maureen, assomme un type qui s’est introduit dans sa maison. Un cambrioleur, ou quelque chose du genre. Sauf qu’elle n’a pas fait que l’assommer : elle l’a dézingué. C’est ballot. Avec quoi ? Un bâton ?… Meuh nan, ce serait trop banal ! Je vais vous le dire parce que vous ne devinerez jamais : une bondieuserie, « une sainte caillasse » ! Le genre de truc qu’on achète à Lourdes. Le miracle ne s’est pas produit : le mec n’a pas ressuscité, il est bel et bien raide mort, sur le carrelage de sa cuisine, qu’il a copieusement massacré au passage, avec tout le sang qui a giclé. Sérieux, les joins sont foutus ! Maureen, rudement embêtée tout de même par l’ampleur des dégâts, et cette chose encombrante qu’est un cadavre, appelle son fils Jimmy à la rescousse. Jimmy, le parrain local, pas fou, touche pas à ce genre de truc : il fait appel à une connaissance pour faire le boulot : Tony Cusak. Tony, père isolé à la tête d’une marmaille de 6 enfants, alcoolo à ses heures perdues, chômeur professionnel, n’est pas franchement enthousiaste, mais bon, faut bien vivre ! Et dire non à Jimmy, c’est courir davantage de risques que de faire disparaître un cadavre et refaire un carrelage…
Sauf qu’un cadavre, avant d’être un cadavre, c’était quelqu’un. Avec une histoire. Il se trouve que Georgie, une ado qui a fugué de chez elle, a fait la connaissance du cadavre, quelques années auparavant. Il s’appelle Robbie O’Donovan. Son premier amour. « La trentaine. Rouquin. Un grand dépendeur d’andouilles ». Qui l’a mise sur le trottoir. Le parfait gentleman, quoi 🙂 . N’empêche, Georgie cherche depuis quelque temps Robbie. Pendant ce temps, l’aîné de Tony Cusak, Ryan, 15 ans, est amoureux de Karine, une fille canon, de la bourgeoisie locale. Amour partagé, sauf que Karine en bave avec Ryan qui penche du mauvais côté : il deale. Il se fait virer du lycée. Il se trouve qu’il est le pourvoyeur en drogue de… Georgie, la camée à « la mine de crevarde ». Pourtant, le deal de Ryan est de ne surtout pas vouloir ressembler à son père…
A son âge, on a les hormones qui travaillent. Il suffit qu’on ait comme voisine, une nana à la masse comme Tara Duane pour que ça dérape encore un peu plus, surtout quand on a un père comme Tony Cusak : il ressemble peut-être à « un type déglingué », mais si une femme touche à son fils mineur, c’est lui qui déglingue. « »Tara Duane », fit Tony (…) Chaque fois que j’entends le nom de cette connasse, ça me bouffe mon espérance de vie ». Sauf que cette Tara Duane est aussi la voisine de Jimmy à qui elle se plaint quand Tony descend la fenêtre de son salon à coup de cross de hurling. Jimmy se demande ce qui a bien pu mettre ce grand déglingué de Tony, un zeste couillon, dans une rage pareille si ce n’est une histoire de fesses : « Pour quelle autre raison est-ce qu’un type irait massacrer ta maison ? Tu t’es gourée d’étiquettes sur les poubelles ? Tu as gueulé toute la nuit en écoutant ABBA à fond ? »
N’empêche que fracasser la maison de sa voisine à coup de cross de hurling, alors qu’on est déjà alcoolo et au chômage, c’est pas fait pour arranger la garde de vos enfants… C’est la preuve que vous êtes fêlé ! Même si ladite voisine est une « méga-fouteuse de merde en personne », que « ça fout les jetons », que « cette gonzesse est complètement déchiquetée » (sérieux, ça fait envie !) Le juge voit une agression, c’est tout. On se retrouve rapidement dans une « chierie d’enfer et putréfaction totale ». Comme si ça ne suffisait pas, mamie Maureen touche aux allumettes…
J’avais pu goûter au sens de l’humour de Lisa McInerney au mois de mars, au festival franco-irlandais mais je n’avais pas encore lu son livre…
Ce roman est complètement dingue, fou, barré. J’ai rigolé comme une bossue, je me suis planquée x fois derrière ma lecture pour cacher mon fou rire dans les transports en commun. Lisa McInerney a une imagination débordante, un style sans fioritures : elle enlève tous les filtres, une b**e c’est une b**e (je n’écris volontairement pas le mot pour ne pas avoir des pervers qui atterrissent sur ce blog – Lol !). Les bondieuseries et tout ce qui va avec, en prennent pour leur grade, et pas qu’un peu ! Ce n’est pas un roman pour vierges effarouchées ni sainte-Nitouche. Et encore moins pour les grenouilles de bénitier. 🙂 C’est complètement immoral et amoral mais délicieux.
Si j’ai beaucoup ri, c’est pourtant une histoire dramatique et même sordide. Mais l’humour ravageur et corrosif de Lisa McInerney est d’une efficacité redoutable. C’est plein de morts vivants, de walking dead pas du tout catholiques… Tous les personnages sont incapables de se sortir du pétrin dans lequel ils sont parce que de toute façon, le « pays est niqué » : le choix qui s’offrent à eux, c’est « l’aéroport et la file d’attente du chômage ».
On s’attache davantage à Ryan qu’aux autres personnages parce que c’est un révolté qui ne veut pas ressembler à son père mais il ne sait pas comment se sortir du guêpier dans lequel il s’est mis. Il dit même à Georgie qu’elle a gravement une sale tronche, à force de se shooter, ce à quoi elle rétorque : « Misère de moi ! Un dealer qui me conseille d’arrêter la drogue ! » 🙂 Il ne prend pas le bon chemin, même avec Karine qu’il aime vraiment. Il en a conscience, mais son environnement social fait qu’il ne peut pas agir autrement : c’est un engrenage infernal. Comble de l’ironie, Karine fait des études d’infirmières, « parce qu’il faut bien que quelqu’un retape tout ce monde ». Il est clair qu’elle a du boulot !
La fin est émouvante. Je sais qu’il y a une suite (le deuxième roman de Lisa McInerney), centré sur le personnage de Ryan, justement.
J’ai souvent eu l’impression que ça tournait au cartoon, entre Maureen qui ressemble à un « épouvantail congelé » et un « gusse » qui « saute sur scène comme s’il avait des frelons dans le caleçon » ! Et j’en passe… Un roman très vivant, c’est certain, ça saute et ça rebondit dans tous les sens.
Une plume au langage châtié et truculent, qui a dû être une gageure à traduire en français.
On ne sort pas indemne d’un tel roman, qui, s’il fait rire, n’en est pas moins fracassant. Une lecture marquante, c’est certain !
Un roman à découvrir pour les amateurs de sensation et d’humour caustique !
Le livre a été primé deux fois en 2016 : il a été récompensé par le Baileys Women’s Prize for Fiction et le Desmond Elliott Prize . Il va être adapté en série TV.
Lisa McInerney était aussi blogueuse ; elle se consacre maintenant à l’écriture de fiction.
#rentreelittéraire 2017
Ce livre est pour moi, je le sens !
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