Traduit par Ludivine Bouton-Kelly
Bernard est jarvey dans la petite ville de Killarney, en Irlande, dans le comté du Kerry. Si vous connaissez Killarney, vous avez sûrement rencontré ces conducteurs de calèche qui promènent toute la journée les nombreux touristes. Pourtant Bernard est mis au ban de la bourgade : il est considéré un peu comme l’idiot du village. On découvre qu’il aurait peut-être une forme d’autisme Asperger (mais cela reste une supposition). Cet homme a une passion : le blues. Dès qu’il peut, il gratte sa guitare et chante (mais chez lui). Il est incollable sur tous les bluesmen américains. Une passion que lui a transmise son père, décédé. Bernard est amoureux depuis son adolescence de Marian, à qui il envoie régulièrement des cassettes de ses enregistrements.
Quand s’ouvre le récit, Bernard se fait rosser par des hommes, à la sortie d’un pub. On ne sait pas pourquoi. Des coups de poings, des coups de pieds. Ils le laissent à demi-inconscients. Bernard a peur : moins de se prendre encore une nouvelle raclée que de perdre l’audition : allongé sur le sol, encore sonné, sa préoccupation est de savoir s’il entend encore. Ouf ! Ce ne sera pas encore pour cette fois qu’il s’arrêtera de jouer du blues : hormis une dent en moins et des contusions, ses doigts et ses oreilles ont réchappé du massacre. D’emblée, on comprend que Bernard est un homme particulier et passionné.
Nous faisons la connaissance de Marian, et de ses deux copines avec qui elle fait régulièrement du shopping le samedi. Leur « QG » est un café de Killarney. Marian se fait charrier par Mags et Cathy à propos de l’obsession que Bernard nourrit pour elle. Cependant, Marian a du répondant, et même si Bernard l’indiffère, elle n’hésite pas à balancer à ses amies, trentenaires qui se comportent comme des ados, la petitesse de leur vie : « Honnêtement, les chansons sont assez pourries. Mais c’est bien d’avoir un hobby. C’est mieux que vous deux. Qui passez votre temps à faire du shopping. Et qui dépensez l’argent que vous avez durement gagné. » Et bim, dans les dents ! 🙂
Nous faisons également la rencontre de Jack Moriaty, un mec qui se la joue gros dur, footballeur au club de la ville quand il ne travaille pas au garage. Un ami d’enfance de Bernard. A présent, il considère le jarvey comme un boulet qui le saoule dès qu’il vient entamer la conversation avec lui au pub. Il fait tout pour l’éviter. Il n’aime pas qu’on le voit avec lui, sa « réputation » pourrait en prendre un coup. D’emblée, on déteste ce Jack-le-macho-qui-roule-des-mécaniques. On le déteste encore plus quand on apprend qu’il sort simultanément avec Mags et Cathy. Ces deux filles apparaissent de plus en plus comme deux bécasses superficielles. On va s’en prendre plein la face, à leur instar.
Le premier roman noir de l’Irlandais Colin O’Sullivan, qui est un acteur de théâtre converti à l’écriture. Il vit actuellement au Japon (un autre pays qui me fascine) où il enseigne l’anglais. Un livre de la rentrée littéraire dont on ne voit pas la pub sur les réseaux sociaux, et encore moins de chroniques sur les blogs et c’est vraiment dommage. Il sort le 21 septembre, me semble-t-il mais c’est silence radio. Je l’ai acheté en version électronique et je ne sais pour quelle raison, il m’était immédiatement disponible à la lecture sous ce format.
Je lui ai trouvé un petit défaut tout de même qui est la répétition de certains éléments au cours du récit, un peu comme si c’était pour combler un vide. Mais à par cela, c’est vraiment un roman noir qu’on ne peut plus lâcher une fois entamé !
Collin O’Sullivan aborde quelques thématiques de l’Irlande contemporaine, notamment la condition féminine : en Irlande, une femme qui n’est pas mariée à 30 ans est presque une anomalie. Société machiste, c’est hélas une vérité. Ainsi beaucoup de ces Irlandaises n’ont qu’une obsession : se trouver un mec, le faire tomber de son arbre pour le mettre dans le nid etc., comme on dit. Le but de leur vie. Les personnages de Cathy et Mags en sont emblématiques. Deux gourdes dont l’auteur semble se moquer. Je dirai même qu’il les accable! Elles sont capables de faire l’abstraction de la maltraitance que peut avoir envers elles ce Jack Moriaty et même bien pire (mais je ne vous dis pas pourquoi pour ne pas spoiler l’histoire). Quand elles se rendent compte de leur erreur, c’est trop tard. Le machisme, l’amour, l’amitié et d’autres thèmes plus noirs que je ne révèle pas volontairement sont abordés dans ce roman.
Les personnages gagnent en profondeur au fil du récit, on découvre leur histoire personnelle, leur héritage, qui, si certains l’ignorent, s’apparentent à l’âme du blues : « Le blues parle de la souffrance. Et les Irlandais en connaissent un rayon là-dessus. » Pour Bernard, comme pour son père, « le blues lui parlait, c’étaient des chants crus et grossiers, ils sortaient du plus profonds des puits, tout au fond, là où il faisait si noir qu’on n’y voyait rien ».
La souffrance, le tourment, est bien le fil ténu entre les personnages. C’est un roman noir, effectivement, mais aussi une histoire d’amour. Un droit à la différence. Un roman mélancolique mais dont l’humour n’est pas absent. Tous les fans de l’Irlande connaissent la propension des Irlandais à se moquer d’eux-mêmes, ce roman n’y échappe pas. 🙂
Une plume au diapason du blues, avec une touche irlandaise en plus. Je suis passée du sourire aux presque larmes. On s’attache même à Ninny, la jument de Bernard en bout de course, au nom ridicule. J’ai aimé la fin de cette histoire. Après la tempête, il y a le soleil. Une belle humanité dans la plume de cet auteur. A découvrir !
Killarney et l’un de ses lacs qui font la réputation de la région
(C)

Un jarvey, personnage emblématique de Killarney (C)
#rentreelitteraire2017
Noté, merci !
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De rien, tout le plaisir est pour moi ! Ca change de tous ces bouquins qu’on nous présente jusqu’à l’overdose alors que d’autres beaux romans restent invisibles. 🙂 Concernant la littérature irlandaise pour cette rentrée littéraire, on ne voit quasiment que « Vera » sur la blogo alors que les deux autres sont sublimes aussi (« Hérésies glorieuses » de Lisa McInnerney et celui-ci).
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Ton billet me donne envie de me plonger fissa dans ce roman.
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Eh bien une fois de plus, fonce et j’irai lire ton avis ! 🙂
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A reblogué ceci sur Betimes Bookset a ajouté:
A wonderful review of the French edition of Colin O’Sullivan’s KILLARNEY BLUES!
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Un grand merci à vous pour le partage. 🙂
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