Début décembre, j’ai appris que Paul Auster venait à Paris pour la promotion de son nouveau roman, 4 3 2 1, après un silence de sept ans. J’ai d’abord vu un « événement » sur Facebook à la librairie Mille Pages de Vincennes mais c’était un jour où je n’étais pas disponible. Mais miracle, quelques jours plus tard, j’apprends que le théâtre du Rond-Point organise une interview de l’auteur menée par François Busnel, qui connaît bien son oeuvre. Rencontre payante mais bon, c’était ça où rien et je me disais que ça allait être plutôt « chaud » en librairie pour écouter l’écrivain, sans réservation, compte tenu des foules qu’il déplace au regard de sa notoriété. Un autre événement était organisé dans une FNAC parisienne mais sur invitation (ce qui veut tout dire). Les rencontres en librairie se sont vite avérées de simples dédicaces : intérêt moindre en ce qui me concerne car j’aime toujours écouter un auteur parler de son nouveau roman. Donc voilà, je réserve deux places au théâtre du Rond Point et hier on fonce, impatients comme des enfants. On se programme une heure d’avance pour être bien placés et c’était bien vu !
Paul Auster, je n’en n’avais jamais entendu parler jusqu’à mes études de lettres à la fin des années 90. Je ne peux que remercier un enseignant de littérature générale et comparée d’avoir eu l’idée de nous faire lire, ce qu’on appelle aujourd’hui « La trilogie new-yorkaise », en particulier, La Cité de verre qui m’avait alors emballée. C’était il y a longtemps maintenant, mais ce livre et cet auteur ont effacé tout le reste du programme du module dans mon souvenir. Je me rappelle que le prof nous avait alors enjoint de connaître Paul Auster cinéaste, avec Smoke. Que je n’ai toujours pas vu. J’ai lu, avant la création du blog, quelques autres romans : L’invention de la solitude et Brooklyn Follies. Autant dire presque rien, mais le peu m’a convaincue depuis longtemps. Mais vous savez comment c’est quand on lit beaucoup…
Et puis ce fut un long silence de l’écrivain. Sept ans c’est énorme. Je ne sais pas pourquoi ce silence, mais on peut dire qu’il s’est bien rattrapé puisque, avec 4 3 2 1, il nous offre une brique de plus de 1000 pages qui pèse pas loin d’1,5 kilo. 🙂 Encore pas lu mais j’ai bien l’intention de le faire et depuis hier je suis encore plus motivée !
Voici les quelques propos recueillis hier (que j’espère pas trop déformés !), suite aux questions posées par François Busnel. Aucun besoin d’un interprète puisque Paul Auster est parfaitement francophone et francophile, à tel point qu’on oublie qu’il est américain…
Le roman repose sur le principe vertigineux suivant : Qu’est-ce qu’on aurait fait si, qu’est-ce qui serait arrivé si… ?
Paul Auster a imaginé 4 fois la vie de son personnage principal, Archibald Ferguson.
Paul Auster n’a pas voulu écrire sa vie de ce personnage de la naissance à la mort racontée quatre fois. Il évoque les vingt premières années (l’enfance, l’adolescence et la jeunesse) parce que c’est à ce moment-là qu’on se façonne et qu’on fait des choix qui feront ce qu’on est.
François Busnel lui fait remarquer que Ferguson 1 ressemble étrangement à son auteur, il est né en 1947, comme lui, habite Brooklyn, il est journaliste d’abord pour le canard de son université. On voit ce qui le mène à l’écriture.
Paul Auster explique que chaque roman contient une part d’autobiographie, qu’on le veuille ou non, car on est coincé par ses propres expériences. On ne peut pas parler de ce que l’on ne connaît pas. Son roman se passe à New York parce qu’il y vit. Il ne pourrait pas écrire des romans qui se passent en Russie. Pour construire ses personnages, on doit puiser en soi les expériences vécues, explorer ses émotions, quitte à les imaginer poussée à l’extrême. Paul Auster évoque la colère, par exemple, qui, si elle est poussée à l’extrême peut, dans certains cas pousser au meurtre. Ferguson partage sa chronologie et sa géographie avec son créateur car ce sont des périodes que celui-ci connaît bien.
Ferguson 1 est le seul des personnages à s’intéresser à la politique. Mais être écrivain l’empêche de devenir activiste, car écrire lui prend toute son énergie, son être tout entier est accaparé.
Evidemment, on en vient à parler un peu politique, en particulier de la situation actuelle des Etats-Unis, avec Trump au pouvoir. Pour Paul Auster, 25% des Américains sont des gens dérangés. Et ce n’est pas nouveau . Il évoque aussi l’erreur monumentale des Américains quand ils se sont engagés dans la guerre du Vietnam .
Il explique que la lutte actuelle contre le terrorisme depuis le 11 septembre 2001 n’est pas une guerre mais une action policière et qu’il ne faut pas se tromper de terme.
Dans son livre, à travers Ferguson 4 est évoquée la question raciale, qui est encore taboue aux Etats-Unis.
Quand on lui demande : « Qu’est-ce que la littérature », il répond que personne jusqu’à présent n’a donné de vraie réponse à cette question. Et ça, c’est bien vrai !
« Manies » d’écrivain : il ne peut écrire que dans un lieu fermé, pas dans un café ou un lieu public car sinon il est distrait par ce qui se passe autour de lui. Oui, ça je comprends aussi tout à fait ! 🙂
Il n’écrit pas à l’ordinateur car les touches sont trop souples. Il préfère la machine à écrire qui permet de se muscler les doigts mais il écrit à l’ancienne, c’est-à-dire avec un stylo !
On trouve dans son livre des passages sur un Paris disparu, notamment celui du Quartier Latin, avec Ferguson 4 et son amie qui ne peuvent pas s’empêcher d’acheter des livres, partout ! Eh, les blogueurs et autres grands lecteurs, vous n’êtes pas les seuls à avoir cette manie ! 😉 Ouf, on déculpabilise !
La vie est une question de choix, de route, mais il ne faut rien regretter si on n’a pas pris les bons chemins. Souvent, c’est l’amour au détriment du reste qui prend le pas.
On a eu plusieurs petits extraits lus en anglais par Paul Auster et en français par François Busnel. L’ouvrage est traduit par Gérard Meudal.

Lecture en duo
On aurait pu l’écouter parler encore des heures. Une heure trente d’entretien qui est passée à une allure folle. Ici c’est juste un minuscule résumé.
Une chose rigolote fut de reconnaître Siri Hustvedt (dont j’ai adoré Tout ce que j’aimais, lu il y a des années !) qui allait s’asseoir dans le public. C’était sympa ce sourire de connivence (enfin, c’est moi qui m’imagine ça car elle a dû croiser mon regard mais aussi celui de tous les autres au même moment !).
Seul regret : la foule compacte qui attendait pour se faire dédicacer le roman m’a découragée. Je voulais prendre le roman en version papier, mais si je veux le lire, un aspect pratique s’impose : comment se traîner un roman de plus d’un kilo dans les transports sans se démonter l’épaule ? Comment lire un livre de plus d’un kilo sans se faire un accident de lit ? J’ai décidé finalement de le lire en ebook et de me le procurer en version papier sans doute ensuite.
En attendant, je suis plongée dans un sacré bon bouquin irlandais, qui sera suivi par la lecture du dernier roman de mon chouchou Sebastian Barry… Et il faut aussi que je vous parle de Sam Millar. Moi être lectrice débordée d’enthousiasme, ce qui m’amène à être débordée tout court ! Mais j’assume mes choix. 😉