Parfois il se passe de choses étranges dans la vie des lecteurs : tu regardes en replay une émission que tu ne regardes jamais (en l’occurrence Télématin) et tu te cales juste sur les reportages littéraires de l’été d’Anne-Marie Revol sur les Best seller. Comme ça, parce que tu es intriguée. Et bim !, sans savoir pourquoi, tu te retrouves avec un pavé de plus de 500 pages dans les mains ! Toi qui ne lis pas tant que ça de best seller, encore qu’en y réfléchissant, il y en a quand même pas mal dans ta bibliothèque… Bref, l’un des reportages évoquait Manderley for ever de Tatiana de Rosnay, avec l’interview de l’auteure. J’ai vite été convaincue, d’autant que Tatiana de Rosnay disait que ce livre a été un tournant dans sa vie d’écrivain.
Manderley for ever est un roman-biographie sur Daphné du Maurier, auteure trop trop célèbre Rebecca et L’Auberge de la Jamaïque lu dévoré quand étais ado. Et puis, j’ai lu il y a quelques semaines Le monde infernal de Branwell Brontë de Daphné du Maurier, justement, réédité par les éditions de La Table Ronde, biographie sur le frère maudit de la famille.
Daphné est d’un milieu très bourgeois, tendance grande bourgeoisie. Elle a vécu au milieu de gouvernantes et servantes etc. Son grand-père paternel (Georges du Maurier, surnommé « Kiki ») était français, artiste-écrivain fantasque et connu. Son père, Gerald est un acteur archi connu. Daphné, née en 1907, vit à Londres, avec ses parents. Et ses deux soeurs.
Très tôt elle se sent garçon dans un corps de fille. Une dualité qui la hantera toute sa vie, l’amenant à une bisexualité, même si elle se marie à Frederick Browning, anoblit par la reine. Elle devient donc une lady mais s’en contrefiche. Elle est d’une timidité maladive, parler en public ce n’est pas pour elle. Daphné déteste les réceptions, mais elle est obligée de suivre son militaire de mari à l’étranger, en Egypte, notamment, avant que n’éclate la Seconde Guerre mondiale. Son mari monte les échelons gradés, a de plus en plus de responsabilités qui l’oblige à s’absenter longuement. Avec lui, Daphné aura trois enfants : deux filles et un garçon.
Daphné était la préférée de son père qui entretenait avec sa fille une relation particulière. Il était très possessif et elle a dû se battre mentalement pour s’arracher à son emprise, se révolter même si ça ne l’empêcher pas de l’aimer. Garçon dans un corps de fille, fille à son papa contre son gré, elle rêve de mettre au monde un garçon. Une fois ce voeu réalisé, son fils sera à son tour son préféré. J’ignorais tout de cet aspect de l’écrivain. Tout cela, sa dualité, sa part d’ombre vont être source d’inspiration.
L’écrivain est passionnée par les vieilles demeures. Si elle aime ses proches, elle aime encore plus ses maisons, en particulier Menabilly dont elle ne sera jamais propriétaire mais locataire. Elle va retaper cette vieille baraque magnifique, même si pour céder à son caprice, sa famille doit vivre sans chauffage ni eau courante pendant le terrible hiver 1954. La mémoire des murs est quelque chose qui la passionne et c’est là qu’elle laisse « infuser » (idée d’un roman). Daphné a aussi un langage codé, dont on retrouve les termes, dont le sens est expliqué en annexe du livre. C’est parfois imagé et parlant, parfois complètement déroutant…
Elle développe une passion pour la France, à cause de son grand-père Kiki qui l’intrigue jusqu’à l’obsession. Source d’inspiration, lui aussi !
Daphné est en effet une obsessionnelle. Quand elle a une idée en tête, elle fait tout pour y arriver. Son autre obsession grandissante : écrire. Elle est incapable de s’occuper de tout ce qui est logistique et matériel (à part faire retaper les vieilles maisons). Elle a du caractère et sait ce qu’elle veut. Elle devient célèbre très tôt et l’on suit tout sa carrière littéraire. Il y a un personnage épouvantable qui apparaît parfois dans ce roman : c’est sa traductrice en France : la toute puissante Mme Butler qui publiait sous son nom de jeune fille, Denise Van Moppès, capable de convaincre l’éditeur (Albin Michel) de retirer des nouvelles d’un recueil parce qu’elle les trouve « peu crédibles » ou « ennuyeuses », ce qui ne l’empêche pas de se planter complètement en matière de traduction, parfois ! Rebecca a longtemps été tronqué à cause de cette charmante madame ! Grande fut ma surprise quand j’ai constaté que Rebecca a été retraduit il y a peu de temps, en 2015, par Anouk Neuhoff ! La vilaine madame est décédée en 1968 et c’est un autre traducteur qui a pris le relais pour les derniers livres de Daphné du Maurier : Maurice-André Endèbe. Pas trop sympa avec elle non plus. Cet aspect « traduction » m’a bien amusée ! Je me suis demandé si tous les autres livres sont toujours avec la version de « l’affreuse »… Je ne manquerai pas de vérifier en librairie. 🙂
Mis à part sa traductrice française, Daphné aura à souffrir toute sa vie d’être considérée par certains critiques comme un auteur de romans à l’eau de rose, de la romance etc., alors que c’est tout le contraire ! Ce qu’elle écrit n’est pas franchement rose, mais bien noir, gothique et d’un suspense infernal. Moi qui déteste les romances bluettes depuis toujours, je n’aurais pas dévoré ses deux romans les plus connus vers 12-13 ans. C’est le suspense, le côté alambiqué de ses personnages qui me tenait en haleine. On lui reprochait d’être populaire, vendeuse de best seller comme si c’était synonyme de mauvais écrivain. Ce qui est faux, bien sûr : il y a de tout parmi les auteurs et les romans » best seller », comme pour les autres qui n’ont pas cette chance.
J’ai dévoré le roman en une semaine à peine : j’ai beaucoup aimé. C’est un roman fouillé, Tatiana s’est vraiment documentée, elle est partie sur les traces de cette écrivain qui est sa préférée, si j’ai bien compris. L’édition du Livre de Poche est agrémentée de photos.
J’ai peut-être un peu moins accrochée pour la période à partir de 1969.
Une invitation à approfondir la connaissance de son oeuvre et un bel hommage à l’écrivain.
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire mais je vous laisse découvrir…
Même si je n’apprécie pas particulièrement Tatiana, ce que tu dis de ce livre sur Daphné me tente.
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Un livre comme je les aime : à la fois divertissant et instructif.
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J’ai vérifié, deux de mes livres sont de Van Moppès (mais je n’ai plus mes livres de « Rebecca » et de « L’auberge de la Jamaïque ») et un de la seconde. Les autres sont d’autres traducteurs, pourtant ce sont de vieux poches puants aussi…
La vie de Daphné Du Maurier a l’air passionnante, mais je déteste les livres de Tatiana de Rosnay alors je freine des quatre fers.
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J’avais un avis mitigé sur « Elle s’appelait Sarah » et je n’en avais pas lu d’autres. Celui-ci m’a convaincue. Comme quoi…
Sinon, je ne sais pas où sont passés mes livres de Daphné du Maurier (peut-être restés chez mes parents) mais je suis curieuse de voir quels sont les traducteurs (ca doit être comme toi, car ils ne sont pas neufs).
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