Traduit par Christine Raguet
Je vais commencer par une petite présentation de l’auteur : Richard Wagamese est canadien et amérindien né en 1955 en Ontario. Il a été journaliste, mais aussi producteur à la radio et à la télévision. Il est le premier amérindien a obtenir un prix de journalisme. C’est absolument par hasard que j’ai découvert ce livre, au détour d’une déambulation livresque, en septembre dernier. Jeu blanc est son 2e roman, sorti au Canada en 2012 et traduit en français aux éditions Zoé en 2017. Il est fortement inspiré de sa propre histoire. Son premier roman, Les étoiles s’éteignent à l’aube est paru et disponible également chez 10/18. Je viens de le commander car il n’était pas en stock chez le libraire. Un troisième roman sortira à la rentrée littéraire (merci à L’atelier de Ramette de me l’avoir signalé !), posthume. En effet, Richard Wagamese est décédé en 2017 en Colombie Britannique, ce que j’ignorais jusque-là.
Il a écrit 13 romans ! Trop peu son encore disponibles en français ! Mais qu’est-ce qu’on attend ?
Cet auteur appartient à la nation des Ojibwé, ceux du nord ouest de l’Ontario, province limitrophe du Québec mais aussi de celle du Manitoba. Je vous renvoie pour plus de détails sur le wikipédia en anglais consacré à Richard Wagamese ICI .
Ceux qui me suivent depuis longtemps, savent que je ne suis pas insensible à la question amérindienne. Que trop peu d’auteurs arrivent jusqu’à nous, deviennent « visibles » parmi les forêts de livres, pas du tout mis en avant, d’une manière générale (à part les très connus comme Joseph Boyden ou Louise Erdrich – pour cette dernière, je crois que ma dernière tentative m’a fait tomber le livre des mains ; pour le premier, je viens d’acheter celui qui me paraît le meilleur pour une première approche : Les saisons de la solitude. Je l’avais écouté et découvert au Festival America de 2016 où des auteurs amérindiens sont à chaque fois invités.
Revenons à Jeu blanc.
4e de couverture : « Il faut que Saul Indian Horse raconte son histoire, qu’il se remémore son enfance dans les montagnes du Canada, bercée par les légendes et les traditions ojibwées ; son exil à huit ans avec sa grand-mère ; son adolescence, passée dans un internat où les Blancs se sont efforcés d’effacer en lui toute trace d’indianité. C’est pourtant au coeur de cet enfer que Saul trouve son salut, grâce au hockey sur glace. Joueur surdoué, il entame une carrière parmi les meilleurs du pays. Mais c’est sans compter le racisme qui règne dans le Canda des années 1970, même au sein du sport national. »
La famille de Saul est issue « du Clan des Poissons des Ojibwés du Nord, les Anishinabés« . « Nous avons élu domicile sur les territoires bordant la rivière Winnipeg, là où elle s’élargit avant d’entrer dans le Manitoba (…). On dit que nos pommettes ont été taillées dans ces chaînes granitiques qui s’élèvent au-dessus de notre patrie. On dit que le brun profond de nos yeux a suinté de la terre féconde autour des lacs et des marécages. Les Anciens disent que nos longs cheveux raides viennent des herbes ondulantes qui tapissent les rives des baies. »
La plume minérale de Richard Wagamese dans la première partie du roman vous immerge dans la nation Ojibwée et leur malheur. Nous sommes en 1957 et c’est d’autant plus choquant de voir qu’à cette époque, les « Zhaunagush », c’est-à-dire les Blancs, viennent encore s’en prendre aux Amérindiens ! Je faisais des bons sur mon siège, en lisant qu’ils venaient enlever les enfants, les arracher à leur tribu pour les embarquer de force dans des écoles qui visaient à les couper de leur culture, à les lobotomiser à coups de mauvais traitements, de sévices effroyables, où les morts ne se comptent pas sur les doigts d’une main. Je me suis un peu renseignée : il a fallu attendre 2015 pour que le 1er Ministre canadien, Justin Trudeau, soit le premier à présenter ses excuses aux nations amérindiennes pour le sort réservé aux leurs dans ces écoles qui n’étaient autre que des camps de concentration, finalement. Je ne pense pas que ce soit trop fort de le dire.
Ces écoles sont dénoncées en partie Jeu Blanc, quand Benjamin, le frère aîné de Saul, est enlevé à sa famille, se sauve, et sort un jour de la forêt, couverts de piqûres d’insectes mais surtout avec la tuberculose, qui lui sera fatale. Puis, ce sera le tour de Saul. Quelque chose d’imprévu va le sauver : sa découverte du hockey sur glace, grâce à un homme d’église qui a priori a l’air un peu plus humain que tous les sadiques qui sévissent dans cette école. Le hockey deviendra son échappatoire. Mais on va apprendre une vérité tue à la fin du roman .
Même sorti de cette école, Saul va découvrir le racisme qui règne dans le milieu du hockey sur glace. Il finit par fuir le milieu : il s’achète une guimbarde et trace la route, et retourne là où tout a commencé : le lac de Gods.
Richard Wagamese n’hésite pas à rappeler tous les méfaits qui ont découlé du contact des Ojibwés avec les Blancs, : ce sont eux qui ont apporté l’alcoolisme, avec le whiskey, « la boisson des Zhaunagush » par excellence. « Mes deux parents s’étaient mis à consommer la boisson des Zhaunagush ». Pourtant ces mêmes Zhaunagush ont bien été contents de trouver des Ojibwés, devenus ceux qui exécutaient les travaux qu’aucun blanc ne voulait ou n’était capable de faire. « Nous suivions le whiskey jusqu’au camp provisoire des sang mêlés qui se rassemblaient sur les terres abandonnées autour des villes d’industrie du sciage, dans l’attente de petits travaux qu’on voulait bien leur concéder. Du travail d’Indien. C’est ainsi que les gens des moulins à papier l’appelaient. » Ces Ojibwés sont devenus « les gens du bois-brisé »
Le malheur de la nation objiwbé est dénoncé, entre autres, par la beauté de la mystique indienne qui habite Richard Wagamese et vous enchante, grâce au personnage de la grand-mère de Saul, dernière survivante de la tradition des Anciens, tradition qu’elle inculque à son petit-fils, pendant que la mère se laisse emporter par la dépression. « Nous partîmes à la pagaie jusqu’au lac de Gods, au plus profond de la forêt. Grand-mère connaissait la contrée et elle nous guida (…) ». Elle raconte l’histoire du lieu où ils vont, explique pourquoi ce lieu est le leur. C’est un pur enchantement de lecture ! « Dans le temps d’autrefois, avant les Zhaunagush, un jour de la fin d’automne, un groupe de chasseurs partit en quête d’orignaux. (…) Ils prirent la même voie que celle que nous suivons, et ils n’avaient jamais vu une telle force dans la nature. Les rochers semblaient chanter pour eux.
En ce temps-là, notre peuple s’en remettait à l’intuition – le grand pouvoir spirituel de la pensée -, et les chasseurs trouvèrent un portage en un endroit plat, pas très éloigné de là où nous sommes actuellement. Il conduisait à un pays entrecoupé de crêtes. Il était très difficile d’y marcher, mais ils suivirent un petit ruisseau qui s’écoulait dans une brèche jusqu’au moment où ils eurent l’impression que les terres se refermaient derrière eux comme le rabat d’un wigam. Ils sentaient la sérénité dans leurs os, et certains d’entre eux avaient peur. (…)
Finalement, le ruisseau les conduisit à un lac caché. La berge était étroite et la courbure de la cuvette du lac était raide, à l’exception d’un section qui descendait en pente douce depuis une tourbière de mélèzes. (…) L’eau de ce lac était noire et calme, pourtant le silence qui les entourait les rendaient nerveux. Les chasseurs éprouvaient la sensation d’être surveillés depuis les arbres. (…)
Alors qu’ils commençaient à décharger, les chasseurs entendirent des rires provenant des arbres et le roulement profond de voix s’exprimant dans la Langue ancestrale, la langue des origines, jamais parlée sauf pendant les cérémonies.(…) » Petit extrait 🙂
Un roman instructif, qui dénonce avec force le racisme, le génocide d’une nation par les Blancs, hier et aujourd’hui. Malgré la noirceur du sujet, c’est un roman qui n’est pas dénué de poésie et d’esprit chamanique. Un bel hommage qui emporte le lecteur dans les temps immémoriaux de la Nature Mère. Seuls les passages consacrés aux techniques du hockey sur glace m’ont un peu ennuyée.
Un auteur peu connu à lire, absolument !
Une lecture qui m’avait marquée. Son second roman traduit en français est tout aussi passionnant. J’attends avec impatience les autres traductions.
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Contente que tu connaisses cet auteur.
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