Traduit par Eric Boury
1963 en Islande. Hekla porte le nom d’un volcan. Elle a 21 ans. Elle sait ce qu’elle veut faire de sa vie : écrivain. Elle est en route pour Reykjavík depuis sa terre natale, celle de la Saga des Gens du Val-au-Saumon. Dans l’autocar, elle déchiffre Ulysse de Joyce, avec dans l’idée de chercher la librairie anglophone de Reykjavík. Elle trouve un emploi de serveuse dans un hôtel-restaurant, afin de subvenir à ses besoins et trouver un logement, qu’elle partage avec un jeune homme homosexuel : David Jón John Stefansson Johnsson. Elle se rend à la bibliothèque et sympathise avec le bibliothécaire, Starkadur, qui est aussi poète. Celui-ci fréquente le Mokka, le café qui sert de QG aux poètes. Hekla le trouve bien sympathique, elle est attirée par lui car il fréquente un milieu littéraire. Elle déménage et ils s’installent ensemble dans une mansarde, plus près du fameux café. Hekla a également beaucoup d’affection pour Jón John qui fut aussi sa « première fois », quand ils étaient adolescents. Jón John est très tourmenté et vit très mal son homosexualité. Il se fuit en s’embarquant sur des navires avant de revenir, il est se bat, il boit, il est roué de coups. Les gens assimilent homosexualité avec pédophilie ! Hekla est le rayon de soleil du jeune homme. Derrière elle Hekla a laissé sa meilleure amie, Ísey. Celle-ci est déjà mère d’une enfant, malgré son jeune âge et bientôt enceinte du second à son grand désespoir. Elle admire la liberté d’Hekla et lui confie son désarroi d’avoir un avenir tout tracé : femme au foyer, rien d’autre. Comme toutes les femmes d’Islande. Pourtant elle aussi écrit, en cachette. La banalité du quotidien se transforme sous sa plume. L’écriture est son échappatoire. Hekla n’a pourtant pas la vie tout à fait rose : au restaurant, les clients masculins ont la main baladeuse et l’un d’eux la harcèle d’une drôle de façon : il veut qu’elle participe au concours de Miss Islande, ce qu’elle refuse catégoriquement. Pendant son temps libre, elle écrit avec, mais en cachette de Starkadur. Le jeune homme s’avère être un poète raté, qui ne voit pas autre chose dans une femme que quelqu’un qui peut lui servir de bonne. Une femme ne peut pas être poète, voyons ! Hekla encaisse un certain temps…
Hekla, Ísey et Jón John sont trois personnages très attachants ; j’ai eu beaucoup plus de mal avec Starkadur, assez imbu de sa petite personne, un peu jaloux quand il découvre que son amoureuse est douée pour l’écriture. Ce n’est pas le type foncièrement méchant mais il est agaçant. A l’instar de ce que pensent les autres hommes du pays, les femmes ne sont pas censés écrire. A ce titre, la fin du roman est un sacré pied de nez ! Ísey est le double de Hekla, ou plutôt ce qu’elle serait si elle n’était pas partie.
Auður Ava Ólafsdóttir évoque la condition des femmes dans l’Islande des années 60, un pays encore très isolé et conservateur. Elle peint deux personnages eux-mêmes isolés, qui débordent du cadre de vie qu’on voudrait leur assigner. Deux êtres humains libres et qui feront tout pour vivre comme ils l’entendent. Même s’il faut utiliser des subterfuges…
Hekla est libre comme un volcan : elle fait ce qu’elle veut. Il y a d’ailleurs beaucoup de volcans dans cette histoire (il y a certes beaucoup de volcans en Islande) et on assiste à la naissance de ceux des îles Vestmann, qui modifient le paysage… Il y a aussi des aigles (je ne sais pas trop quoi en faire, j’avoue), de la bouffe (j’adore !), des noms de rue, du vent, de la pluie, du soleil, des montagnes, de la neige, du verglas et des poètes !
« Toi, tu mets des pantalons et tu traces la route, Hekla. » Parce que pour vivre libre, il faut parfois partir.
La plume de l’auteure est à la fois poétique, piquante et non dépourvue d’humour. « Les mots m’évitent, dès qu’ils me voient, ils prennent la fuite comme un banc de nuages noirs poussés par un vent propice », se plaint Starkadur !
« Ils ont dépecé cinq cents cachalots cet été. Ce n’est pas un hasard si, quand ça pue la merde, les Islandais disent que ça sent le pognon. »
Une histoire de liberté, d’isolement, de création littéraire. Un roman féministe, aussi, évidemment.
C’est le troisième roman que je lis d’Auður Ava Ólafsdóttir (après Rosa Candida et Le rouge vif de la rhubarbe). Je crois bien que Miss Islande a détrôné, dans mon panthéon de l’auteure, Rosa Candida !
Je termine très bien mon année littéraire avec ce roman qui est encore un coup de coeur. 🙂
(et ma énième lecture de la rentrée littéraire, je ne sais plus la numéro combien !)