
et Joëlle Rostkowski
« Autrefois, j’étais si petite que je pouvais à peine voir au-dessus de la banquette arrière de la Cadillac noire que mon père avait achetée avec l’argent du pétrole extrait en terre indienne. (…) C’est vers cette période que j’ai appris à parler. C’est alors que quelque chose a changé ma relation avec la rotation de la Terre. Et chamboulé la façon que j’avais de regarder le soleil. »
Ce livre n’est pas un roman mais la première partie de l’autobiographie de la poétesse amérindienne Crazy Brave (Joy Harjo) qui divise son récit à travers les quatre point cardinaux : Est, Nord, Ouest, Sud. A partir du moment où elle a commencé à parler, le temps s’est aboli ; portée par les mélodies de Miles Davis, bercée par un tournillon d’étoiles, son âme s’est envolée plus haut, vers l’univers de ses ancêtres.
Joy Harjo, de père creek et de mère cherokee, a grandi dans les années 50, dans la petite ville creek de Tulsa, sur la rivière Arkansas. La musique y est partout. Comme pour conjurer le sort de la déportation des Creeks, « chassés du Sud au XIXe siècle. En arrivant sur ces terres nouvelles, ils y avaient apporté leur feu sacré. (…) Chaque âme porte en elle un chant. ( …) Tulsa porte un chant qui monte de la rivière Arkansas vers la tombée du jour. »
Nous suivons la vie incroyablement compliquée de l’autrice, qui a subi la tyrannie de son beau-père, après le divorce de ses parents. Homme violent, alcoolique, il terrorisait toute la famille. Pour fuir cette univers invivable, elle demande a être inscrite dans un internat amérindien pour le lycée. Ainsi, elle part à Santa Fe, au Nouveau-Mexique . Une nouvelle vie s’ouvre à elle : elle se forge progressivement une âme d’artiste au contact d’autres communautés indiennes. De nouvelles amitiés se créent. « Nous formions une génération unie de jeunes artistes, ce qui ne nous empêchaient pas d’avoir à affronter nos différences tribales et historiques. Les étudiants sioux restaient entre eux. Les Pawnees, qui étaient leurs ennemis traditionnels, les évitaient autant que possible, jusqu’au jour où ils se retrouvaient à devoir partager un chambre ou à travailler à une oeuvre côte à côte dans le même atelier. »
Le lecteur est immergé dans le monde amérindien contemporain, pétri de misère et de son lot d’alcool et donc de déchéance et de violence. Joy Harjo devient mère très jeune, à 17 ans. Elle se retrouve enfermée dans des tâches ménagères et se rend très vite compte que ce n’est pas la vie qu’elle souhaite. Elle n’a pas de boulot. Le père de son fils travaille dans une pizzeria. Il est cheerokee et vit avec sa mère, qui ne voit pas d’un très bon oeil l’arrivée de Joy. Et c’est un cercle de violence qui se reproduit . Elle trouve un petit boulot dans une station-service et se barre, travaille dans un hôpital, reprend des études à l’université, rencontre le père de sa fille. Le quitte.
Joy Harjo raconte comment l’art, finalement, l’a sauvé de la misère, psychologique, comment il lui a permis de survivre en tant qu’Amérindienne, dans un monde où les hommes sont violents. Comment il lui a permis de s’engager pour le changement de la condition féminine.
Au début, j’ai eu un peu de mal à entrer dans le récit, entrecoupé de poèmes, habité par l’esprit chamanique de l’autrice. Mais plus j’ai avancé dans cette histoire personnelle, plus j’étais captivée. Je l’ai déjà dit, je m’intéresse à la condition et à l’histoire amérindienne. C’est un truc qui me fascine. J’ai eu cette chance de rencontrer lors de deux voyages au Canada, à l’Est et à l’Ouest, plusieurs communautés, complètement inconnues de nous en Europe, surtout à l’Ouest, en Colombie Britannique. Je lirai sûrement la suite de l’autobiographie de l’autrice, qui vient de paraître aux éditions du Globe.
Une belle découverte que je vous conseille.
Joy Harjo enseigne aujourd’hui l’écriture créative à l’université du Tennessee. Quel parcours !
Un roman qui a l’air fort.
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Comme je l’ai écrit, ce n’est pas un roman.
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