Je triche un peu, je n’ai pas passé un été complet en Irlande avec Yeats. Mais je reviens de 9 jours entre Dublin et Sligo, sac au dos et chaussures de marche aux pieds, sous des températures exceptionnelles et 3 minutes de pluie ! 🙂 J’avais décidé tout cela en janvier, alors que nous étions dans la énième vague de restrictions covidesques. Partir à Sligo quelque jours, petite ville où je suis passée il y longtemps, en 2004, en coup de vent. J’avais un souvenir assez flou : la statue de Yeats, la Garavogue qui traverse la ville.J’y suis allée pour les mythiques paysages, évoqués par l’homme de lettres. Mais je ne pensais pas qu’il m’emboiterait le pas à ce point !
Arrivée à Dublin avant de partir pour Sligo, je passe devant la National Library of Ireland et je vois… une immense affiche sur un exposition sur Yeats ! 🙂 Je sortais tout juste d’une géniale expo sur Seamus Heaney à la Bank of Ireland (également non prévue), poète dont je connais très mal l’oeuvre mais qui a en commun avec Yeats d’être Prix Nobel de Littérature. Heaney a acheté une lampe ayant appartenu à Yeats. Ce dernier a inspiré en partie son oeuvre. Ce jour-là, à Dublin, la température est exceptionnellement élevée : 27 degrés d’une humidité qui rend l’atmosphère particulière. Je n’ai jamais connu la capitale irlandaise accablée pas la chaleur (même pas en 2003 où il a pourtant fait très chaud). Je tombe en plus sur deux expositions qui se répondent comme un écho ! Il y a quelque chose de magique dans l’air ! Toutes les expositions nationales sont gratuites. Le bâtiment est magnifique. Gros moment d’émotion de voir l’original du Crépuscule celte, de voir un pop-up d’artiste illustrant The Stolen Child, d’entendre la voie de Yeats, de voir Maud Gonne et sa fille Iseult, une reconstitution de la bibliothèque du poète, beaucoup d’anciennes éditions de ses livres….
Le lendemain, direction Sligo en train. Près de la gare, on est accueilli par le poète. Le voyageur en quête du centre-ville lui tourne le dose. Retournez-vous pour l’apercevoir, avec Maud, un peu plus loin.


Je trouve Maud un peu ratée, mais le street art n’en est pas moins impressionnant par sa dimension.
Devant l’Ulster Bank, je tombe sur la fameuse statue en bronze; bien différente dans mon souvenir où je la voyais plus grande et en meilleur état. Je la trouve petite, délavée et poussiéreuse, presque abandonnée. Dans un dépliant de l’office du tourisme, j’apprends que la statue a été érigée devant la banque parce que lorsque Yeats a reçu le Prix Nobel, il a dit du bâtiment où il était qu’il lui rappelait l’admirable architecture de l’Ulster Bank de Sligo.
Je visite le Sligo County Museum, petit musée municipal, totalement gratuit une fois encore, qui m’a fait penser au Little Museum of Dublin. Il y a beaucoup d’objets locaux légués par les gens. Et il y a aussi beaucoup de choses sur W. B. Et quelques photos de lui qu’on n’a pas l’habitude de voir.



J’ai renoncé à aller à la « Societé Yeats » : le premier jour, c’était fermé ; le 2e jour, les bénévoles (?) avaient apparemment d’autres préoccupations que de recevoir les visiteurs. J’ai horreur d’avoir l’impression de déranger !
Je pars plutôt à Drumcliff au pied du mythique Ben Bulben, à une dizaine de kilomètres de Sligo par la N15. Plusieurs bus desservent le lieu, mais faites attention aux horaires : on est à la campagne, ils sont souvent en retard ou en avance, ou ne passent pas ! Ne pas miser sur le dernier bus donc ! Prendre plutôt un bus public (National Transport for Ireland – NTI : 2,50€ one way (1 aller) contre 4€ pour la même chose avec un dépôt à la gare routière et non en centre ville !). Vous pouvez prendre le bus public juste au coin de l’Ulster Bank sur Markievicz Road. Autre détail : à la campagne, le nom de l’arrêt est rarement mentionné dans le bus : n’hésitez pas à demander au chauffeur de vous signaler le vôtre, c’est plus prudent !! Après quelques minutes de bus, vous arrivez au site monastique du VIe siècle, où est enterré Yeats (ou pas, cf. le roman totalement « vrai » de Maylis Besserie, Les amours dispersées, chroniqué ici même). Cela doit faire 3 fois que je viens sur ce site. J’ai observé les cars de touristes déposés à la va-vite et remontant au pas de course, alors que le lieu, d’un romantisme échevelé et d’un calme absolu dès qu’on s’éloigne de la N15, invite au contraire à ralentir le rythme. C’est tellement beau. Il y a un mini-balade à faire près de la rivière, évoquée par Yeats dans un poème.









Au pied du Ben Bulben
(….)
Sous la cime nue de Ben Bulben
Au cimetière de Drumcliff Yeats repose.
Un de ses ancêtres y fut jadis recteur,
Près de là une église,
Au bord du chemin une vieille croix.
Nul marbre, ni banale inscription ;
Dans le calcaire d’une carrière voisine
Selon sa volonté, ces mots sont graves:
Jette un froid regard
Sur la vie, sur la mort
Cavalier, passe ton chemin !
4 septembre 1938
(Traduction : Jean Briat)
Et nous, bougres d’imbéciles, nous faisons tout le contraire ! On vient le voir. Qu’il nous pardonne ! 🙂
Le lendemain, je pars pour un promenade à pied, direction le Lough Gill, près de la ville de Sligo. La Garavogue se jette dans le lac. Je pense pouvoir arriver jusqu’au lac, distant d’environ 8 kilomètres, en passant par Hazel Wood. Encore des lieux rendus célèbres par Yeats. L’occasion d’admirer les jeux de lumières infinis sur l’eau, de s’étonner de ces montagnes pas comme les autres et si proches l’une de l’autre. Le Benbulben, le Knocknarea, avec la tombe de la reine Maeve en guise de petit chapeau !
Malgré tout, je n’arrive pas jusqu’au lac. Le chemin s’arrête, il y a une route trop fréquenté à mon goût pour y marcher en toute sécurité. Il y a bien ce qui ressemble à un sentier de l’autre côté de la route, mais qui grimpe dans la colline, donc pas franchement au niveau du lac. Je reviens sur mes pas, ne me lassant pas du paysage féérique. J’ai vu un petit ponton à bateau indiquant en début d’après-midi chaque jour, une croisière d’une heure sur le Lough Gill, avec le Rose of Inisfree ! Je croise les doigts pour que ce ne soit pas une blague. C’est un peu le bout du monde ici, Sligo. Un tourisme local, aucun Français, pas de masse, pas de touristos débilos. Que des Irlandais du Nord ou du Sud en vacances. Je suis la seule francophone. Et c’est à moi qu’on vient demander des renseignements pour les tickets ! 🙂 Bonjour les accents … Ici, c’est pas de la tarte; je vous assure. A duck = a docks. Le canard n’est pas un dock. Bref, je me suis amusée pendant le temps d’attente. Et on a vu arriver le bateau. Smile sur tous les visages. Je pense qu’on avait tous des doutes sur la véracité de la chose, surtout quand à l’heure dire : rien ! Mais on est en Irlande. Etre en retard, c’est normal. Un super équipage de 2 personnes très sympathiques, même si je saisissais un mot sur douze. Une ambiance familiale. Des gens qui déclamaient les vers de Yeats. L’équipage qui passait aussi la poésie et des infos sur le poète. Et du soleil. Des capitaines de quelques minutes le temps d’une photo. Et des paysages….









Très chouette promenade. Comme un rêve réalisé.
The lake Isle of Inisfree
Allons, je vais partir, partir pour Inisfree.
Et y bâtir une petite hutte d’argile et de rameaux tressés :
J’aurais là-bas neuf rangs de fèves, une ruche pour
l’abeille à miel,
Je vivrai seul dans la clairière embourdonnée d’abeilles.
Là-bas, j’aurai un peu de paix, car la paix tombe
doucement
Des voiles du matin sur le chant du grillon ;
Là-bas minuit n’est que miroitement et midi y rougeoie
d’une pourpre lueur,
Là-bas le soir est plein des ailes de linottes
Allons je vais partir, car nuit et jour j’entends
L’eau du lac clapoter en murmures légers sur la rive ;
Arrêté sur la route ou sur les pavés gris,
Je l’entends dans le tréfonds du coeur.
(Traduction de Jean Briat)
Une petite ambiance à la Robinson, ou plutôt à la Walden de Thoreau. Ce n’est pas un hasard.

Il a pourtant bien fallu que je retourne à Dublin. Ce ne fut pas pour autant une punition, mais après 3 jours au calme d’une petite ville au bord de l’eau dans la campagne irlandaise, la foule des touristos et des mômes par centaines envoyés en pseudo-colo linguistiques fut assez difficile. On a fait avec. Un petit tour à la plus mignonne librairie de Dublin, The Winding Stair (j’ai découvert que le nom de cette librairie indépendante faisait aussi référence à un recueil de poèmes de Yeats, décidement !! 🙂 ) Il y a aussi un « Escalier en spirale » à Sligo, mais je n’ai pas eu le temps de le chercher.
Je me suis offert la biographie sur le poète que j’ai vu partout (5€ partout aussi). Je ne sais pas ce que ça vaut mais pour le prix, ça vaut le coup de tenter l’expérience;

Quelques jours plus tard, je me suis rendue à la magnifique Hugh Lane Gallery, musée de peinture de la ville de Dublin (free entrance une fois encore !). J’ai découvert, entre autres, un portrait de Yeats, peint par son père John.
Je rassure tout le monde : je n’ai pas fait un séjour monomaniaque !!! J’ai fait beaucoup d’autres choses que de me laisser entraîner par WB ! (Et même pas tout ce que j’aurais voulu encore faire). Mais c’est l’occasion de s’apercevoir, qu’à l’instar de Joyce, il est partout.
Bien entendu, j’avais emporté un peu de lecture : quoi de mieux que les Contes et légendes d’Irlande de Yeats (édition Amazon traduit par Sylvie Aubert). Il y a 2 volumes. J’ai lu le premier. C’est croquignolet à souhait ! J’ai adoré l’histoire de Teig O Cathan et le cadavre (d’après Douglas Hyde) et Les cages des âmes d’après T. Crofton Croker, qui met en scène une sirène mâle, c’est-à-dire un merrow. Un merrow, c’est très laid, raison pour laquelle, les sirènes femelles préfèrent les hommes ! Ils ont « les dents vertes, les cheveux verts, des yeux de cochons, et le nez rouge »….

Désolée pour les photos qui ne sont pas d’une qualité au top mais je n’avais que mon smartphone à tout faire. Je suis partie avec un sac cabine.Comme j’aime.
Un conseil si vous envisagez un séjour à Dublin : choisissez plutôt une Guesthouse car le petit-déjeuner est compris dans le prix ! Je suis tombée dans une très belle GH dans un quartier populaire qui a priori ne payait pas de mine. Mais l’intérieur était magnifique et le breakfast au top ! Si vous ne voulez pas vous ruiner, sachez aussi qu’il faut réserver tôt. Sinon, il vous restera les hébergements les plus chers. Même chose pour un billet d’avion.
Je refais mes valises. J’ai des chroniques en retard. J’espère me rattraper….
Carpe diem !