Traduit par Pierre Bondil
Cela faisait un bail que je n’étais pas allée faire un tour à Galway en compagnie de Jack Taylor, le détective privé dépressif de Ken Bruen, goûter son cynisme, son humour noir à la sauce whiskey. Samedi dernier la SNCF de ma ligne de RER (la plus pourrie de toute la région) a décidé que je ne pourrais pas aller voir l’expo sur Oscar Wilde parce qu’ils sont tellement abrutis déglingués incapables dans cette société, qu’en fait pour résoudre les problèmes électriques et autres pannes informatiques récurrents, il faudrait finalement revenir au train à vapeur. Bref, après une matinée en chemin de croix, je suis rentrée chez moi. Pour calmer mon agacement devant tant d’inertie, registre « débrouillez-vous les gens on peut rien faire pour vous, on s’en lave les mains », j’ai continué à ranger mes rayons de bibliothèque – c’est un truc qui ressemble aux douze travaux d’Hercule :). Et voilà que je (re)découvre ce titre de Ken Bruen, enfoui. Le titre correspondait totalement à ma matinée gâchée et j’aime beaucoup l’humour de son auteur. Hop, voilà une lecture parfaite. Me voici propulsée à Galway, une ville que je connais assez bien mais pas dans les recoins. 🙂
Chemins de croix est le 6e volume des aventures de Jack Taylor, un ancien garda (policier irlandais), viré pour alcoolisme et bavures. Il s’est reconverti comme détective privé. Il faut lire cette série dans l’ordre absolument. Sinon on passe à côté du personnage, hanté par son passé. J’ai chroniqué ici même La main droite du Diable, Le martyre des Magdalènes, et Le dramaturge.
Jack est un anti-héros par excellence. Harassé par ses fantômes, sa culpabilité envers la mort de ceux qu’il a aimés. Ici, celui qu’il estime être son fils par procuration, est mort par sa faute. Il pense connaître l’auteur du meurtre, qui serait une ancienne amie dont il n’a pas pu éviter la mort de sa fille. Ce serait une vengeance.
Jack, ancien alcoolique notoire et connu dans tout Galway pour ses cuites, ne boit plus que de l’eau de Galway – au mieux pétillante ! Slainte ! Même son ancienne collègue ban gardai, avec qui il entretient des relations orageuses, Ni Iomaire, dite Ridge en anglais (mais elle tient à ce qu’on l’appelle par son nom gaélique), lui trouve vraiment une petite mine et tente de le divertir, en lui parlant d’un meurtre qui ameute toute la ville : celui d’un jeune homme crucifié. Et d’un voleur de chiens. Elle a de l’humour… du moins surtout besoin d’aide et d’une épaule pour confier sa peine de coeur : sa petite amie l’a quittée (oui Ridge est gay). Et elle est inquiète d’une grosseur qu’elle s’est trouvée. Bref, le couple détonant est plutôt mal en point.
Du coup le récit aussi. Parce qu’en fait il n’y a quasiment pas d’intrigue. Je sais qu’avec Ken Bruen, l’intrigue n’est en général qu’un prétexte pour sonder la société irlandaise à travers les habitants de Galway. Je m’en accommode parfaitement parce qu’il me fait rire par son humour noir, son cynisme qui vise juste là où ça fait mal avec tellement de justesse. Mais j’avoue que là, c’est encore moins d’intrigue que d’habitude et aussi moins d’humour à mon goût (bon, j’ai quand même eu un bon fou rire, mais c’est tellement personnel que si je le raconte, je pense que ça tomberait à plat 🙂 ). Donc j’ai été déçue par ce 6e volume où je trouve que ça s’essouffle. Des chemins de croix pour Jack, mais finalement pour le lecteur aussi. Heureusement que ça se lit bien quand même, et qu’il reste quelques passages savoureux.
J’attends mieux de la suite, déjà publiée – j’ai plusieurs volumes de retard !
Extraits :
« Beaucoup de crimes figurent dans le lexique irlandais, des actes étranges qui, au Royaume-Uni, en mériteraient même pas une mention, mais qui, ici, frôlent l’impardonnable. Tout en haut de la liste, on trouve:
Le silence ou la réserve. Il faut être capable de parler de tout et de rien, de préférence sans désemparer. (…)
Ne pas payer sa tournée. On pourrait s’imaginer que personne ne s’en aperçoit, mais si.
S’y croire, se prendre pour ce qu’on n’est pas.
Négliger la tombe de sa famille.
Il y en a d’autres, comme avoir un accent britannique, ne pas aimer le hurling, regarder la BBC, mais ce sont des crimes d’amateur. On peut leur survivre tandis qu’avec les crimes de pro, c’est foutu. »
« Je pensai à Ridge, aussi. De la manière la plus bizarre qui soit, je l’aimais… merde, non pas que je sois disposé à l’admettre, ça, jamais. Elle m’agaçait souverainement et même plus, mais c’est quoi l’amour, sinon supporter tout ça et rester quand même ? Le fait qu’elle soit gay ne faisait que renforcer le mystère. »
« – A quel propos ?
– A propos des loups-garous. C’est après les chiens que nous courons. Révisez vos canidés.
Et je claquai la porte.
Puéril ?
Mais extrêmement satisfaisant. »
« – Chiures d’oignons.
C’est une allusion littéraire, l’expression favorite de James Joyce. Je ne vous raconte pas des conneries. »