L’herbe maudite – Anne Enright

 

 

Traduit par Isabelle Reinharez

Cela fait presque un mois que j’ai terminé ce roman et pourtant quand il s’agit d’en parler, d’écrire quelques mots dessus eh bien c’est compliqué ! C’est premier roman que je lis de l’Irlandaise Anne Enright. Et je l’ai absolument adoré! Il m’a laissée sans souffle ou presque même si je ne suis pas tout à fait sûre d’avoir tout tout tout compris, parce qu’il est vraiment riche. Donc je ne suis pas sûre d’écrire une chronique très pertinente et j’ai vraiment hâte d’en apprendre davantage lors de la venue d’Anne Enright au Centre culturel irlandais de Paris le 7 juin.

En 1980, dans le comté de Clare la jeune Hanna Madigan part chercher des médicaments pour sa mère dépressive, alitée depuis deux semaines : pensez-donc, son fils Dan lui a annoncé son intention de rentrer dans les ordres afin de devenir prêtre. Il est alors étudiant à l’université de Galway. La mère s’effondre donc devant ce choix. Emmet, le frère de Dan n’en revient pas, tout comme ses deux soeurs : Hanna et Constance. D’autant qu’il a une petite amie, « une tragédie en attente de se produire ».
Anne Enright nous embarque quelques années plus tard, en 1991, à Toronto où Dan a élu domicile. En guise d’embrasser la prêtrise, il est plutôt en train d’embrasser des garçons…
En 1995, Constance est toujours en Irlande,  mariée, des enfants et sans doute un cancer du sein…
En 2002 Emmet vit au Mali avec Alice. Les opérations humanitaires occupent tout son temps mais une histoire de chien brisera son couple. Emmet peine à s’en remettre.
En 2005 Rosaleen restée seule dans son domaine irlandais, décide d’envoyer une carte de voeux à son fils Dan. En post-scriptum elle lui demande de venir et lui annonce qu’elle a décidé de vendre la maison.
Tous les enfants de Rosaleen rappliquent en Irlande pour Noël. Entre temps, on apprend qu’Hanna est devenue actrice, et surtout maman depuis peu, avec dépression post-partum et alcoolisme en développement : rien de mieux que de cacher tout ça dans des bouteilles d’Innocent…

Anne Enright explore l’amour dans toutes ses dimensions (filial, homosexuel, familial, entre fratrie, caché…) ; les liens qui unissent une famille ou les défont.
Rosaleen incarne une mère accaparante et égoïste (du moins j’ai trouvé) qui n’accepte pas le chemin pris par son fils. Mais derrière cet aspect sévère, on découvre une femme brisée qui n’a pas psychologiquement survécu à la perte de son défunt mari, l’amour d’une vie qui la mènera sur la Green Road (le « chemin vert », celui de la Grande Famine) le jour de Noël. Un moment poignant du roman, comme un point zéro entre passé et présent, morts et vivants. Le lieu idéal pour mourir d’après Rosaleen.  Elle se fiche pas mal de l’inquiétude qu’elle a provoqué chez ses enfants, partis à sa recherche. Elle les trouve égoïstes. Elle trouve qu’elle est abandonnée. Oui, Rosaleen est une vraie irlandaise bien bornée qui m’a rappelé quelqu’un. 🙂
Chaque personnage est à un moment charnière de son existence, dans une passe délicate à négocier. Quel chemin prendre ? (Rosaleen en a choisi un, qui donne son titre au roman). Leur fragilité est touchante et suscite l’empathie. Malgré tous leurs défauts parfois agaçants.

Un roman marqué par une variété de ton et de style, magnifiquement écrit (et traduit) qui m’a vraiment bluffée tant par le contenu dense que par l’écriture. Anne Enright promène le lecteur à travers l’espace (Irlande, Canada, Mali…) et le temps dans un canevas savamment tissé. Elle nous plonge dans l’esprit des personnages, dans leurs réflexions intérieures avec délectation.

Mon petit plus personnel à cette lecture : en Irlande, je traîne souvent dans le comté de Clare, le comté de la famille Madigan dans le roman, le comté des vieux cailloux, des ruines, des légendes, des fées et du petit peuple qui se cachent sous les tumulus recouvert d’herbes, des fantômes. J’ai découvert que je m’étais déjà promenée sur la Green Road sans le savoir vraiment.  J’ai refait mes balades en forêt, où se cachent des fortins en ruines, dans lesquels il ne faut pas rentrer à cause de fées…

 

Quant au titre en français, qui est le choix de l’éditeur, j’avoue que je ne comprends pas trop. Le titre original est The Green Road, le fameux chemin vert de la Grande Famine. L’herbe maudite, en titre d’ouvrage a quelque chose de ridicule, à mon sens. Il y a bien une histoire d’herbe maudite, liée à une superstition irlandaise, dans le roman. Mais, en titre, désincarné de son contexte, ça n’a pas de sens, justement, mais une dimension comique. En revanche,  il y a beaucoup question de chemins, dans ce livre…
Enfin, la photo de la couverture du roman se trouve dans le comté de Mayo et pas du tout celui de Clare. Dommage mais pas grave.

Bref, à lire d’urgence si vous l’avez pas encore fait et une belle aubaine ensuite d’aller rencontrer Anne Enright le 7 juin au Centre culturel irlandais de Paris !

Ce roman a reçu l’Independent Bookshop Week Award en juin 2016 (le prix des libraires indépendants d’Irlande et du Royaume-Uni)

Extraits :
« Si on traversait le grand champ, on arrivait à une boreen, un sentier étroit qui, au-delà de la petite éminence, vous menait devant une vue des îles d’Aran, au large de la baie de Galway, et des falaises de Moher, tout aussi connues, loin au sud. Ce chemin débouchait sur la « green road » qui traversait le Burren et dominait la plage à Fanore. C’était le plus beau chemin du monde, sans exception, disait sa grand-mère – immortalisé en chansons et légendes – avec ses pierres qui s’assemblaient brièvement en murets avant de retomber dans le champ, ses petites prairies rocailleuses aux fleurs rares et suaves. »

« Hanna ne savait pas comment on pouvait casser une bouteille et en même temps tomber dessus, à moins d’être complètement beurrée. »

« Elle pourrait entrer dans ce petit cottage où avait sévi la disette et regarder les étoiles dans le ciel, il y en avait tant, mais elle devait d’abord traverser l’herbe maudite. Il n’y en n’avait pas beaucoup, juste quelques brins devant la porte (…). Bien sûr, après avoir traversé l’herbe maudite, elle aurait faim pour toujours. C’était l’effet de ce maléfice. »

« Il y avait une petite église en ruine là-bas, et un sort jeté à l’homme qui l’avait bâtie, trop atroce pour qu’on le prononce tout haut. Elle l’avait appris de Pat Madigan qui l’avait emmenée se promener sur ces hautes terres avec sa petite chienne, à la fin de l’été 1956. Il avait davantage parlé durant ces jours et ces semaines qu’il ne l’avait jamais fait ensuite, de malédictions, et de ce genre de choses, de pigseogs, des fées sur les tumulus de Croghateehaun et des gens perdus dans le sol traitre et broussailleux en dessous. »

« Et naturellement Ludo aimerait Constance, sa bêtise calculée et ses cheveux de supermarché. »

« Il n’y a pas de Noël sans choux de Bruxelles. » : ne riez pas, c’est véridique ! Tu mangeras tes choux de Bruxelles à Noël où alors tu n’es pas un(e) vrai(e) irlandais(e).

Edit du 10/06/2017 : Et voilà, plus de deux mois après avoir terminé ce roman, j’ai eu la chance de pouvoir assister à la rencontre avec Anne Enright. J’adore l’humour qu’elle a mis dans sa lecture, notamment à ce moment « fatidique » où Roseanne part se perdre sur la Green Road le jour de Noël. Un vrai casse-pied cette mère !

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(c) Mille et une lectures de Maeve

A propos Maeve

Blogueuse littéraire depuis 2009, lectrice compulsive depuis l'âge de 6 ans ^_^ .
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4 commentaires pour L’herbe maudite – Anne Enright

  1. lewerentz dit :

    Je l’ai réservé à la bibliothèque. Je comprends ta difficulté à en parler; Anne Enright produit toujours cet effet sur moi aussi.

    Aimé par 1 personne

  2. alexmotamots dit :

    Ah oui, tu traines souvent en Irlande ?

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