Mrs Hemingway – Naomi Wood

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Pause lecture au Jardin du Luxembourg à Paris où Hemingway aimait venir chasser le pigeon, dans les années 1920

Traduit par Karine Degliame-O’Keeffe

Mrs Hemingway. Un titre qui aiguise la curiosité. Ernest Hemingway n’est plus à présenter, tout le monde connaît au moins les titres de ses romans, à défaut de les avoir lus. J’avoue, je n’en ai lu qu’un, il y a très longtemps : Le vieil homme et la mer, qu’on m’avait offert. Je ne savais pas du tout qu’il était un homme à femmes, enchaînant conquêtes, mariages, maîtresses. Pourtant, il ne faut pas s’y tromper, Naomi Wood ne vous invite pas à un portrait moralisateur du grand écrivain, journaliste et baroudeur. Encore moins à une bluette sentimentale à l’eau de rose. Ce livre n’est pas de la veine de la romance. C’est même tout le contraire. Dans ce roman construit sur le point de vue successif des quatre femmes qu’il a épousées (Hadley Richardson, Fife, Martha Gellhorn et Mary Welsh), ce sont ces femmes de l’ombre qu’elle met en lumière, dans une sorte de portrait décalé, peu connu, qui nous plonge dans l’intimité de l’écrivain, sans voyeurisme mais également sans tabous. Ce n’est pas un portrait corrosif et vengeur non plus. Hadley, Fife, Martha et Mary ont toutes aimé Ernest et inversement. Quitte à composer parfois un ménage à trois, sans s’y empêtrer non plus. Ces femmes hors normes ont participé du mythe de l’écrivain mondialement connu, dont tout le monde savait qu’il était un « tombeur ».

Au fil des pages qui nous promène d’Antibes à Paris, de Cuba, à l’Espagne de la Floride à l’Arkansas ou l’Idaho, dans le désordre, se dessine le portrait fragile d’un colosse aux pieds d’argile : un homme fuyant la solitude, avec un besoin vital d’être entouré,  de femmes mais aussi de mots,  pour mieux oublier les démons qui viennent le hanter. Ecrire pour ne pas mourir ou devenir fou. « Parfois, lorsque Fife lui apportait un gin tonique dans son bureau en fin de journée, elle le surprenait les yeux empreints d’une tristesse immense, rivé sur sa page comme s’il avait devant lui le visage mort de son père. »
« Perdre sa capacité à écrire c’était perdre sa capacité à libérer son esprit de ses angoisses. Ecrire c’était entrer dans une maison magnifique : un lieu propre et éclairé où la lumière tombait en de grands faisceaux blancs sur de beaux parquets en bois. Ecrire c’était se sentir chez soi, c’était y voir clair. »

En public, Hemingway présente un ego imposant, pour mieux cacher une grande fragilité et sensibilité. C’est finalement ce qui fait un grand écrivain doté d’une bonne plume. « Elle ne serait pas surprise d’entendre dire qu’Ernest a libéré la ville Lumière à lui seul », dit Martha. « Dans ses articles, Martha s’intéresse à la petite histoire, aux choses qu’elle observe de près ; dans les reportages d’Ernest, il se met toujours en scène, lui, le grand écrivain, bien droit au milieu du récit comme un dictateur bedonnant haranguant les foules sur une place. »
C’était aussi quelqu’un d’assez insupportable à vivre. Provoquant parfois la rage et les affres de la jalousie chez celles qu’il avait épousées, en multipliant les conquêtes. Cela donne lieu à quelques scènes cocasses : « La robe bleue est suspendue dans l’armoire. Elle ira brûler son cadeau – dehors dans l’incinérateur d’ordures. » Sans parler des disques rayés parce que le couple se les balançait à la figure lors de disputes🙂

Je me suis surtout attachée au personnage de Martha, qui a eu le courage de le larguer et d’aller toquer sur l’épaule de celle qui était en voie de lui succéder au titre d’épouse, comme un petit arrangement entre amies, pour mieux retrouver sa liberté. La scène est croustillante. « Tout ce que je veux c’est me libérer de ce mariage, dit Martha, lentement. Je veux mon nom sur mon passeport. » Voilà ce qu’elle dit à Mary, pour se débarrasser d’Ernest ! 🙂  « La vie d’une femme d’écrivain n’était pas pour elle. Elle partait à la guerre. »
Mary Welsh, la pauvre qui aura certainement vécu le pire : ne pas pouvoir sauver Ernest. La fin est sincèrement émouvante.

Ce roman est également une belle plongée dans l’univers « journalistico-littéraire » des années 1920-1960. J’ai aimé me promener dans les rues de Paris, pour aller chez Shakespeare and Co,  qui était alors rue de l’Odéon, et trouver un libraire qui évoque Joyce !

Un bel hommage à Ernest Hemingway, dans un portrait décalé et sensible, qui met en lumière de manière brillante les femmes qui ont façonné son mythe.
Un roman donne envie de (re)lire l’oeuvre d’Ernest Hemingway. Mais aussi d’en savoir un peu plus sur ces femmes.
Je classe ce roman parmi mes coups de coeur 2017.

Mille mercis aux Editions de la Table Ronde pour la découverte en avant-première !

A propos Maeve

Blogueuse littéraire depuis 2009, lectrice compulsive depuis l'âge de 6 ans ^_^ .
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2 commentaires pour Mrs Hemingway – Naomi Wood

  1. alexmotamots dit :

    Si ils ne se lançaient à la figure que des disques rayés, ça va 😉

    Aimé par 1 personne

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