Gauguin l’Impertinent !

Depuis le 11 octobre et jusqu’au 22 janvier prochain, le Grand Palais met à l’honneur Paul Gauguin, avec l’exposition « Gauguin – L’Alchimiste ». Cette fin d’année 2017 sera décidément dédiée au peintre puisque les Editions de la Table Ronde rééditent au format poche deux livres en hommage à l’artiste : Avant et Après, écrit par Gauguin lui-même et Je, Gauguin, de Jean-Marie Dallet, autobiographie imaginaire mais non fantaisiste.

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Illustration des couvertures : Antoine Meurant

J’ignorais jusqu’à présent que Gauguin avait écrit un livre.  Curieuse, je me suis lancée dans la lecture de ses écrits. Avant et après a été débuté en décembre 1902 à Hivaoa, aux Iles Marquises, quand l’homme vieillissant et malade cesse totalement de peindre. Insomniaque il couche ses pensées, ses souvenirs, ses réflexions. Dans la préface du livre, Jean-Marie Dallet explique que Gauguin « veut voir ce livre publié au plus vite et qui est, selon lui, pleine de haine, de vengeance, de choses terribles« . Malheureusement, « Gauguin n’aura pas le bonheur de voir éditer ce texte », publié bien longtemps après sa mort : d’abord en 1918 en Allemagne, pour ne paraître en France qu’en 1923. Totalement seul, sans argent, l’artiste est mort dans sa Maison du Jouir le 8 mai 1903. Avant et après est aujourd’hui considéré comme le plus grand texte de l’artiste.
Tout au long du livre (car c’est pourtant bien un livre que vous avez entre les mains), Gauguin ne cessera de vous rappeler, à vous, lecteur, que « ceci n’est pas un livre » ! Alors, si ce n’est pas un livre, qu’est-ce que c’est ? C’est à vous de vous faire votre idée. L’art pour l’art a été le sacerdoce de Gauguin, qui n’aimait pas le réalisme (il détestait les romans de Zola où « les blanchisseuses comme les concierges parlent un français qui ne [l’]’enthousiasme pas », il haïssait George Sand, et ne cesse de s’excuser (enfin, « s’excuser » est un grand mot, connaissant Gauguin), de ne pas faire partie du sérail des écrivains. « Je voudrais écrire comme je fais mes tableaux, c’est-à-dire à ma fantaisie, selon la lune, et trouver le juste titre longtemps après. »  Pour ce qui est de la fantaisie, eh bien on n’est pas déçu du voyage ! Il y a un peu de tout, sans forcément de logique, il faut se laisser porter par les mots de l’artiste. Ou bien piocher à sa guise. Gauguin y verse sa conception de l’art, ses agacements, son enthousiasme, son amertume.

Je me suis amusée des traits d' »esprit » et des railleries, de l’humour grinçant. Je vous en propose quelques extraits :

« Rossini disait : « 
Je sais bien que ze ne souis pas un Bach, mais ze sais aussi que ze ne souis pas un Offenbach. »
Je suis le plus fort joueur de billard, dit-on, et je suis Français. Les Américains enragent et me proposent un match en Amérique. J’accepte. Des sommes énormes sont engagées.
Je prends le paquebot pour New York, tempête affreuse ; tous les passagers sont affolés. Je dîne parfaitement, je bâille et je m’endors. »

« Mais vos Japonais sont de rudes cochons !
Oui, mais dans le cochon tout est bon ! »

« Un jeune Hongrois me dit qu’il était élève de Bonnat. Mes compliments, lui-ai-je répondu, votre patron vient de remporter le prix au Concours du Timbre-Poste avec son tableau au salon.
Le compliment fit son chemin ; vous pensez si Bonnat fut content et le lendemain le jeune Hongrois faillit me battre. »

« Qui connaît Degas ? Personne, ce serait exagéré. Quelques-uns seulement. (…)
Degas est né… je ne sais pas, mais il y a si longtemps qu’il est vieux comme Mathusalem. »

« La pire des souffrances, c’est la dernière. »

« Ne vous avisez jamais de lire Edgar Poe autrement que dans un endroit très rassurant. » Il adorait se ficher la trouille à sa lecture !

Il y a presque un Oscar (Wilde) caché en Gauguin, qui raille sans pitié ni gêne ses contemporains écrivant sans vergogne ses frasques à leur encontre !  Avec un sentiment de supériorité certain…

« Les mathématiques, c’est fatalement juste. Que serait-ce si ce n’était pas fatalement ? »
L’écrit le plus émouvant est sans doute celui sur son séjour à Arles, avec Van Gogh, et le drame que tout le monde connaît (« la chair de poule » vous envahit à cette lecture). Ce séjour qui marquera la césure entre l’Avant et l’ Après.

Si Avant et après ne se lit pas comme un roman ou une banale autobiographie, en revanche, Je, Gauguin, de Jean-Marie Dallet se lit comme une fiction et permet de saisir le contexte social avec le recul historique. Pour bien comprendre l’artiste, sans doute faut-il commencer par lire le roman qui dévoile, entre autres, la face cachée du peintre. Vous apprendrez que sa grand-mère n’était autre que Flora Tristan (il en parle dans Avant et Après), que son père a dû fuir au Pérou les persécutions de Napoléon III, le Pérou où Paul vécut toute sa petite enfance jusqu’à l’âge de sept ans, avant de rejoindre Paris, une ville  qui ne lui conviendra jamais mais qu’il ne cessera de fuir pour y revenir maintes fois. Mariée à Mette, une Danoise, il pense trouver une vie plus facile et le succès à Copenhague. Une désillusion parmi tant d’autres, toutes celles qui ont jalonné la vie du peintre, dont les voyages – le Panama, Tahiti, les Iles Marquises pour ultime demeure, mais aussi bien avant, Rouen, Pont Aven, Arles – sont inscrits dans son oeuvre.

 

 

Avant gardiste au même titre que Huysmans, qui l’admire, et  Pissarro dont il se sent proche, il sera un perpétuel fauché après avoir quitté son emploi de courtier à la Bourse pour se consacrer entièrement à sa peinture, question de vie ou de mort : « J’en ai marre tout simplement. J’en ai assez de la vie boursière, du quotidien besogneux, je me veut peintre à part entière, et j’en étouffe. » Il veut aller plus loin que les impressionnistes, ses frères ennemis :  « (…) libérer l’oeil de ses contraintes séculaires, bravo ! mais libérer l’oeil et l’esprit ne serait-il pas encore mieux ? »
« Je me remonte le moral avec mes nouveaux compagnons de route, ni académiciens, ni impressionnistes ! Puvis de Chavannes avec ses fresques immobiles, Odile Redon avec ses rêves de mondes imaginaires, Gustave Moreau avec son travail de ciseleur, tous trois me font naviguer au-delà des apparences, dans les eaux profondes de l’inconscient, tout comme m’emportent loin du réel les Japonais que l’Europe vient de découvrir, Utamaro, Hokusai, Hiroshige, ces maîtres lointains qui, eux, comblent mon goût – jamais tari – d’exotisme. »

J’ai été emportée par cette autobiographie fictionnelle qui plonge à la fois dans la violence historique du Paris de l’époque et la vie artistique. On prend l’air également, avec tous les voyages de l’artiste. On ressent toute la pugnacité, le désespoir, le caractère entier et ombrageux de Paul Gauguin, toute sa vie vouée à sa conception de l’art. Une âme sauvage qui ne se laisse pas enfermer.
Jean-Marie Dallet a eu l’idée originale de faire parler Gauguin depuis sa dernière demeure : « Cinquante-cinq ans, ma vie et moi qui du fond de la mort ressasse tout en long et en couleur, une vie trop vite close en cette tombe du bout du monde où, bien allongé à plat sur ce qu’il me reste de dos, avec du sable noir des Marquises débordant de mes orbites fixées sur un ciel de terre, je peux revivre – privilège extrême, épreuve extrême qui me vaudront peut-être enfin l’éternel salut ? (…) ».
Immortel, c’est aujourd’hui quelque chose de certain ! Un bel hommage à l’artiste.

Deux ouvrages qui se complètent. On passe de l’autre côté des tableaux et ce fut un fantastique voyage dans le temps et dans l’esprit du peintre. Des livres à la fois instructifs et divertissants, dont on se souvient après avoir refermé les ouvrages.

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Gauguin en mode « selfie » 🙂

Merci aux éditions de la Table Ronde !

Edit du 21/10/2017 :

L’exposition « Gauguin – L’Alchimiste » au Grand Palais

J’emprunte l’introduction de Stéphane Guégan qui présente l’album de l’exposition « La peinture de Gauguin n’en épuise pas le génie. Estampe et céramique, sculpture et photographie lui ouvrirent d’autres domaines d’invention. Car cet hyperactif ne s’est jamais résolu à s’enfermer dans une pratique exclusive et étanche. Et sa plus grande originalité reste d’avoir multiplié les ponts entre les médiums (…). »

Enchantée par cette exposition qui est une vraie réussite. J’ai dû y passer plus de deux heures (et même peut-être davantage car le temps s’est arrêté un fois passé les murs). Après avoir lu les deux livres, c’est-à-dire avoir été dans l’esprit de l’artiste grâce à ses écrits et à l’autobiographie fictive Je, Gauguin  de Jean-Marie Dallet, c’était presque magique de découvrir son OEuvre (je mets volontairement une majuscule), dont on connaît davantage la peinture au détriment des autres éléments qui sont pourtant « un aspect majeur du processus créateur de Gauguin ». Juste quelques clichés pris pour illustrer ces lignes sur des éléments qui m’ont amusée mais il y en a beaucoup d’autres qui resteront dans ma mémoire…

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Une jolie canne (quand je dis que Gauguin est « impertinent » 🙂 …

 

 

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« Soyez mystérieuses« , 1890. Bois de tilleul partiellement polychrome On trouve cette « Ondine » dans le tableau « Les vagues » peint en 1889 et sur une gravure en chêne polychrome, la même année, intitulée Les Ondines

 

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Noa Noa, expérience immersive de ce qu’exhale Tahïti , un livre qui ne verra jamais le jour, contrairement à ce qu’aurait voulu Gauguin

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Beauté de la couverture

 

 

 


 

 

 

 

 

 

A propos Maeve

Blogueuse littéraire depuis 2009, lectrice compulsive depuis l'âge de 6 ans ^_^ .
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2 commentaires pour Gauguin l’Impertinent !

  1. alexmotamots dit :

    Voici un livre (oh pardon, ce n’en est pas un) qui me plairai, je pense.

    Aimé par 1 personne

    • Maeve dit :

      Lire les 2 et ensuite filer voir l’expo au Grand Palais (ce que j’ai l’intention de faire aujourd’hui) et pourquoi pas retourner voir les tableaux à Orsay (sauf si on a déménagé ceux-ci au GP pour l’occasion). 😊 Let’s go !

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