Traduit par Vincent Raynaud
Le livre s’ouvre sur une excuse, celle de l’auteur de 32 ans : « Je n’ai pas écrit ce livre parce que j’ai fait quoi que ce soit de remarquable. Au contraire, je l’ai fait après avoir réussi une chose assez commune qui, pourtant, n’arrive presque jamais à ceux qui ont grandi là où je suis né. Car, voyez-vous, je viens d’une famille pauvre de la Rust Belt, une ancienne région industrielle, ayant vécu dans une petite ville de l’Ohio où l’on produisait de l’acier et qui subit une récession et connaît une découragement croissant d’aussi loin que remontent mes souvenirs. »
J. D. Vance, qui est devenu avocat, raconte la vie de ses grand-parents, de ses parents et la sienne, dans les Appalaches, celle de l’Amérique profonde, pauvre et blanche. Un « hillbilly », c’est ainsi que se surnomment eux-mêmes les gens là-bas : le mot signifie « péquenot ». Autrement dit, « les péquenots des collines » ! Ce sont les descendants des Irlando-Ecossais qui ont émigrés aux Etats-Unis. Pas les chicos « WASP » « (white anglo protestant du Nord-Est). Bref, les hillbillies sont la classe ouvrière blanche, catholique et pauvre des Etats-Unis.
Mamaw, la grand-mère de l’auteur, enceinte à treize ans d’un garçon de seize, a dû fuir Jackson, sa ville d’origine, à cause des pressions familiales dues à son état. Elle prend la poudre d’escampette avec Jim, un bébé à naître, qui ne vivra que fort peu mais ne sera pas sans conséquences : « Toute la vie de Mamaw – et la trajectoire de notre famille – a peut-être été bouleversée par un bébé qui n’a vécu que six jours », remarque l’auteur ! Le couple atterrit à Middletown. Huit fausses couches en dix ans, voilà ce qui attend Mamaw avant de donner naissance à la mère de l’auteur, en 1961.
Pendant ce temps, Papaw trouve du travail chez Armco, une entreprise sidérurgique qui recrutait activement dans le bassin minier de l’est du Kentucky. « Il existait une véritable politique d’encouragement à l’émigration massive : les candidats qui avaient un parent chez Armco figuraient en tête de liste. » Les hommes d’Armco faisaient le tour des villes en promettant un avenir meilleur à ceux qui étaient prêts à déménager dans le nord et à travailler à l’usine. Des millions de gens empruntèrent ainsi la « Hillbilly Highway » (surnom donné par les habitants des villes qui virent arriver cette population dans les années 50. Ainsi, la population de l’Ohio a explosé dans les années 60. Toute une génération a pu se hisser au-dessus de sa condition et vivre décemment grâce à l’emploi massif dans l’industrie sidérurgique qui payait bien ses ouvriers, allié à une politique paternaliste de l’entreprise.
J. D. Vance décrit le choc culturel de ses grand-parents hillbilly avec l’autre population blanche de la ville, plus argentée et maniérée. Les hillbillies ne connaissent pas le concept de « vie privée » : tout s’étale dans la rue (sous le regard outragé des autres), ça gueule, ça se tape dessus, ça picole, chacun rentre chez chacun sans frapper. Mais ça s’aime et ça s’entraide, le sens de l’honneur passe avant tout le reste, quitte à sortir les poings. Bref, la vie dans la violence chevillée au corps.
Malgré tout cette génération était persuadée que leurs enfants seraient des cols blancs, que les mains dans le cambouis à l’usine ne serait pas leur avenir. Bien peu ont compris l’importance des études et poussé leurs gamins à aller au lycée et encore moins à l’université. « A Middletown, 20% de ceux qui entrent au lycée n’obtiendront pas leur diplôme. La plupart des 80% restants n’auront aucun diplôme universitaire. Et quasiment personne n’ira dans une université située hors de l’Ohio. Les élèves n’attendent pas grand chose d’eux mêmes car autour d’eux les gens ne font rien ou presque. »
Effectivement, le problème c’est que dans les années 80, l’industrie sidérurgique a commencé à pérécliter, pour finir par délocaliser sa production, laissant sur le carreau et sans état d’âme tous les descendants de la génération d’ouvriers qu’elle avait fait venir. « Dans des endroits comme Middletown, les gens parlent tout le temps de travail. Vous pouvez traverser un ville où 30% des hommes jeunes bossent moins de 20 heures par semaine sans trouver personne qui ait conscience de sa propre fainéantise ». Pourtant J. D. Vance ne leur jette pas la pierre mais porte cela sur le compte d’une forme de machisme (dans la culture appalachienne, les hommes n’acceptent pas des boulots qu’ils considèrent comme des boulots de femmes !), l’ignorance sur la façon de procéder pour trouver un emploi de bureau ; et la plupart n’ont accès qu’à des emplois à temps partiel.
J. D. Vance explique et réexplique que ce qui l’a sauvé de la misère et d’une destinée tout tracée, il le doit à ses grands–parents. Malgré leur vie tumultueuse et pas du tout exemplaire (Papaw fut un temps alcoolique avant de se reprendre, Mamaw fut violente), ils avaient compris que l’importance était l’instruction : ils ont poussé leur petit fils à prendre le chemin de l’université. Pourtant le gamin était promis à l’échec, avec une mère maniaco-dépressive quand elle n’était pas accro aux stupéfiants, passant de surcroît d’homme en homme, s’en séparant aussi vite qu’ils avaient surgit dans sa vie, se souciant bien peu des conséquences de cette instabilité familiale sur son fils, qu’elle aime pourtant. Destituée de ses droits sur son enfant, J. D. Vance est quasiment élevé par ses grands-parents qui lui offrent un foyer stable et aimant.
L’auteur dresse un portait sans concessions de cette Amérique profonde et blanche. Malgré tout, il aime de tout coeur ces hillbillies dont il se revendique haut et fort, malgré sa réussite sociale – après un engagement chez les Marines pour aller combattre en Irak, il poursuit ses études à la très cotée université de Yale et devient avocat, après un parcours semé d’embûches.
Ce livre est un cri du coeur mais aussi une déclaration d’amour. J’ai apprécié la sincérité de l’auteur. Cependant ses idées, dans le registre « aide-toi et le Ciel t’aidera », sont un peu simplistes, même si pas totalement fausses. Bien sûr, on ne peut pas tout attendre des politiques et de l’aide sociale, bien sûr l’instruction est une nécessité absolue, bien sûr un foyer stable et aimant ça aide (mais avoir des parents divorcés n’empêche pas de réussir !). Mais comment s’y prendre pour persuader les plus en difficulté qu’ils doivent devenir acteurs de leur vie au lieu d’en rester spectateurs ? Comment chacun peut apporter sa pierre à l’édifice dans la construction d’une société meilleure ?
« Sommes-nous assez durs pour nous [les hillbillies] regarder dans le miroir et admettre que nos comportements font du mal à nos enfants ?
Les politiques publiques peuvent aider, mais aucun gouvernement ne peut résoudre ces problèmes à notre place. »
Finalement, ce livre a tendance parfois à enfoncer des portes ouvertes sans donner de vraies réponses ou suggestions aux questions soulevées.
Une chose est sûre : mon horizon d’attente a été biaisé par la quatrième de couverture qui annonce : « Il [J. D. Vance] décrit avec humanité et bienveillance la rude de vie de ces « petits blancs » du Midwest que l’on dit xénophobes et qui ont voté pour Donald Trump. Roman autobiographique, roman d’un transfuge, Hillbilly Elégie nous fait entendre la voix d’une classe désillusionnée et pose des questions essentielles. Comment peut-on ne pas manger à sa faim dans le pays le plus riche du monde ? Comment l’Amérique démocrate, ouvrière et digne est-elle devenue républicaine, pauvre et pleine de rancune ? »
Il n’est pas du tout question du vote Trump ni de racisme, mais bien d’un portrait ethnique et d’une photographie familiale sur plusieurs décennies. L’Amérique blanche qui a faim est évoquée seulement à la toute fin de l’ouvrage, quand l’auteur rencontre un gamin et s’aperçoit que ce gamin, blanc, a faim. Ca tient en quelques lignes. Il n’est pas question de rancune non plus. Il n’y a pas d’explication sur le vote Trump, même si on le devine entre les lignes sans trop de difficulté…
Malgré tout, J. D. Vance est doté d’un bel humanisme. Derrière ces lignes on devine quelqu’un d’attachant, qui croit en ses idées. J’ai regretté les nombreuses répétitions dans l’ouvrage, qui finissent par alourdir la lecture au fil des pages. Cependant cette autobiographie a le mérite d’être très documentée et donc instructive.
Une impression mitigée pour un livre dont j’attendais beaucoup.
Lu dans le cadre des Matchs de la Rentrée Littéraire organisés par PriceMinister
(merci à Dimitri pour l’organisation !)
#MRL17
#rentreelittéraire2017
J’en avais entendu du bien, mais le côté simpliste que tu décris risque de ne pas me plaire.
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Effectivement ca gâche tout et ca agace un peu. Beaucoup de répétitions aussi sur le thème de « ce qui m’a sauvé ce sont mes grands-parents qui m’ont aimé plus que tout et poussé à faire des études, donné le goût du travail et de l’effort ». A la longue, ca « use » le lecteur! 😉
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