Avant tout, se poser les bonnes questions – Ginevra Lamberti

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Traduit par Irene Rondanini et Pierre Bisiou

Gaïa habite la belle région de la Vénitie, dans une vallée où les grand-mères de son village persécutent les limaces. La jeune femme termine ses études supérieures en langue rare, doit soutenir son mémoire, raison pour laquelle elle se met en stand by sur internet, où elle gère un blog (mais aussi son Facebook et son Twitter, bref, vous voyez le genre ! 😉 ) . En attendant de travailler, elle vit chez sa génitrice, elle voit son géniteur de temps en temps, elle a une grand-mère d’en-haut et une autre d’en-bas. Un de ses passe-temps favoris est d’admirer la fissure dans le plafond de sa chambre. Quand elle n’a rien d’autre à faire. Puis, son diplôme en poche, Gaïa va chercher du travail. Quand on a un master, on doit pouvoir trouver un taf sympa. Enfin, du moins au pays des Bisounours. Parce qu’ici, dans la vraie vie, dans cette région d’Italie, toute sublime soit-elle, on prend ce qu’on trouve. Comme les copains. Même à Venise.

J’ai découvert ce roman par hasard en furetant chez Gibert Joseph. Il était là, posé au milieu des « wagons » éléphantesques de la rentrée littéraire. Une couverture bleue sur orange un peu flashy, un drôle de titre et un nom italien. (J’aime bien l’Italie, dont je trimballe quelques gènes en moi et dont la langue a le dessus sur l’espagnol, en moi aussi 🙂 ). La quatrième de couverture m’a fait penser que ce livre avait l’air fun. Puis je lis que Ginevra Lamberti est blogueuse. Une « copine » de la blogosphère, traduite, ce n’est pas tous les jours. Et c’est pas de la romance.  Pour qu’il ait traversé la frontière transalpine c’est que ça doit être du bon. Le Serpent à Plumes, en plus ! L’affaire était dans le sac :

Gaïa pose un regard décalé sur l’univers qui l’entoure. Ici on oublie l’image des gondoles vénitiennes à touristes pour voir l’envers du décor.
« Pour se rendre à Venise depuis mon village, il faut prendre un petit train, deux autorails en tôle qui carburent au gazole et qui atteignent en toutes saisons une température d’environ l’enfer sur terre. Une voix mécanique invite les passagers (au nombre de deux) à traverser les quais en utilisant le passage souterrain prévu à cet effet (lequel passage n’a jamais existé). »

Gaïa n’est pas un personnage de révoltée contre la société, mais elle note l’absurdité des choses, d’un monde de fous où les gens sont payés, et pas cher, pour faire un boulot débile, sous l’ordre d’une troupe de petits chefs qui les prennent pour des andouilles. La jeune femme trouve un premier emploi à temps partiel dans un centre d’appel. « Deux mois que je travaille au centre d’appel. A Mestre-tout-court, la canicule chauffe au rouge la gare qui à son tour chauffe à blanc le monde alentour et le monde alentour c’est nous. Même immobile, impossible de respirer. Je ne sors plus, je ne vois plus personne, je ne rentre plus guère dans ma vallée. (…). Le mois dernier, je suis allée toucher mon premier chèque, trois cent vingt-quatre euros, soit vingt-quatre euros de plus que mon loyer. J’ai un contrat de vingt heures par semaine et malgré cela les contours de mon existence me semblent de plus en plus flous. »
Tout ça quand on a fait des études de langue rare en tadjik, une langue « née de la rencontre du persan et du russe ».
Ce roman est parcouru d’un humour corrosif, on se surprend souvent à sourire. Ginevra Lamberti joue avec les mots, les mots qui sont des balles qui rebondissent sous sa plume pour faire ressortir l’absurdité des choses. « Ma mission à l’hypermarché consiste à sourire aux passants et à les convaincre que prendre notre carte de fidélité est ce que la vie peut leur offrir de mieux, d’autant qu’ils peuvent recevoir un carnet en cadeau. L’idée générale veut que les gens souhaitent plus que tout avoir un cadeau. »
« Aujourd’hui, je me suis levée, j’ai ouvert la porte et je pense qu’il est clair maintenant pour vous que dehors ce n’est pas Manathan mais la vallée où je vis. »

Gaïa est hypocondriaque et fait des crises de panique.  On peut comprendre pourquoi. Elle se cherche une place dans le monde entre grand-mère d’en haut, d’en bas, géniteur et génitrice sa vallée et Venise. Elle semble dire : « Et moi, où suis-je? »

Il est clair en tout cas que Ginevra Lamberti est une plume à suivre, un vrai talent qui offre un premier roman original et vraiment différent pour raconter une jeunesse italienne qui tente de s’adapter à un monde du travail (et un monde tout court) devenu absurde, mais n’en pense pas moins. Une pépite de la rentrée littéraire.

#rentreelittéraire2017

 

 

 

 

A propos Maeve

Blogueuse littéraire depuis 2009, lectrice compulsive depuis l'âge de 6 ans ^_^ .
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2 commentaires pour Avant tout, se poser les bonnes questions – Ginevra Lamberti

  1. alexmotamots dit :

    Merci pour cette belle découverte. Ton instinct t’a bien guidé.

    J’aime

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