Traduit par Lucien d’Azay
Présentation et préface de Georgia de Chamberet
Qui est Lesley Blanch ? A vrai dire, avant d’ouvrir ce livre je ne le savais pas. Elle est pourtant l’auteure de onze livres traduits en français : des récits de voyages et un texte autobiographique. Lesley Blanch est une Anglaise qui a traversé le XXe siècle (elle est née en 1904) et le début du XXIe (elle est décédée en 2007 à l’âge de 103 ans à Roquebrune !). Selon sa filleule, Georgia de Chamberet, qui est à l’initiative de ce livre, elle fut « écrivain et voyageuse, romantique, pleine de verve, mais érudite », « (…) elle fut d’abord la femme dont tout le monde connaissait le nom avant de devenir une légende vivante, à la fois mystérieuse et délaissée »; « autodidacte formée par ses voyages et ses lectures elle devint un paradoxe incarné : fascinée par des univers d’époques révolues en même temps que pionnière et avant-gardiste ». Le dossier de presse indiquait qu’elle a été mariée à Romain Gary, décoratrice de théâtre, rédactrice pour l’édition britannique de Vogue, illustratrice. Il ne m’en a pas fallu davantage pour avoir envie de me plonger dans cette lecture !
Quand j’ai reçu le livre, j’ai été épatée par la beauté de l’ouvrage. Un petit aperçu, mais tout petit, car il y a vraiment de jolies surprises à l’intérieur !
L’ouvrage est organisé par thématiques, « Scènes de l’enfance »; « Scènes du front intérieur (qui regroupe l’époque Vogue et une série d’articles) ; « Scènes d’un mariage » (la vie avec Romain Gary ; « Horizons lointains » ; « L’oeil oriental ».
Croquis d’une vie de bohème se lit comme un roman, bien qu’il soit composé de récits, de quelques articles, de dessins, de photos, de carnets de voyage qui vous emportent loin ! L’histoire d’une vie du commun, vous l’aurez compris. Une organisation thématique plutôt que purement chronologique qui permet de découvrir non seulement l’artiste Lesley Blanch, mais bien entendu Romain Gary, mais encore plus : tout un univers, un monde révolu. Qu’elle ne fut pas ma surprise de croiser à l’école pour filles de St Paul’s une tout jeune Irlandaise en larmes et déracinée : Molly Keane ! En vrac, je peux vous annoncer qu’on croise André Malraux, Marlène Dietrich, Carson McCullers, Georges Simenon (à New-York !). Ce Georges Simenon en prend pour son grade sous la plume de Lesley Blanch (j’avoue qu’il m’a dégoûtée!) :
« A un certain moment, nous voyions assez souvent Georges Simenon dont la série Maigret et d’autres romans assez sinistres à l’atmosphère pesante captivaient un vaste lectorat. »
« Simenon était irrésistible aux yeux des femmes, il les faisait tomber à volonté. Je le trouvais pourtant loin d’être séduisant ; il m’inspirait même une franche aversion. Je me rappelle qu’un jour, lors d’un déjeuner, ni lui ni sa femme ne jugeaient le plat principal satisfaisant. « Je ne comprends pas quel est son problème, s’est plainte Mme Simenon en parlant de la cuisinière. – Eh bien, moi, je sais, a-t-il répliqué. Je vais aller lui donner ce dont elle a besoin. Et de quitter aussitôt la table. » Croquignolet comme portrait ! Ca en fiche un coup dans l’aura de l’écrivain de polars… 🙂
Au contraire, elle trouve Carson McCullers a « une personnalité fascinante ». « C’était un des personnages des plus extraordinaires. Originaire de l’extrême sud des Etats-Unis, elle a écrit ses meilleures pages sur cette partie du monde américain. »
Et puis, bien évidemment, une bonne partie du livre est consacrée à Romain Gary (et il hante l’ouvrage, même après le divorce). Si je vous dis qu’on découvre un homme torturé, vous me direz que ce n’est pas un scoop. En tout cas, d’après Lesley Blanch, un homme difficile à vivre, voire par moments insupportable, et en mal de reconnaissance… Quelqu’un à part dans l’univers diplomatique, car, forcément, il ne rentrait pas dans le moule, beaucoup trop intelligent pour cela et trop sensible. Il se révoltait contre l’état du monde.
« Il ne parvenait pas à résister à la publicité. Accorder des interviews, se faire photographier ou bien participer à des émissions télévisées, cela l’enivrait. Il ne se lassait jamais de ce péché mignon, car c’en était devenu un. La qualité de son travail et sa stature personnelle n’avaient nullement besoin de ces artifices de bas étage. »
J’ai aimé le côté « périple littéraire » de ce livre. Mais vous pouvez également préparer votre sac à dos pour partir en Afghanistan dans des coins reculés, au Mexique à la rencontre des Indiens Chamulas, experts en « sortilèges secrets » et autres « breuvages à base de plantes maléfiques ». Sans parler d’une étrange « groupe d’indiens Zinacothèques » (et bien aller lire l’appel de notes !) . Si cela ne vous suffit pas, vous pourrez poursuivre en Perse, pour, entre autres, un petit aperçu culinaire où les sonorités de mots inconnus intriguent :
« Le riz, d’innombrables légumes, les fruits et le yaourt, ou mast, constituent la nourriture de base du pays. Dans de nombreux foyers, le plat principe, ou même le plat unique, était immanquablement du riz, mais un riz que l’on rendait appétissant grâce à une série de sauces complexes (khorech), aigres ou douces. Ces préparations subtiles mais audacieuses sont le secret et la gloire de la cuisine persane traditionnelle, et elles sont aussi contradictoires et compliquées que le peuple lui-même. Quand je dégustais des délices telles que du riz au khoresh fesendjan, je m’interrogeais sur sa composition (…) ». D’autres pays sont aussi au rendez-vous, d’autant que Lesley Blanch voue un culte à la culture russe !
Il y a certainement encore beaucoup de choses à dire sur Croquis d’une vie de bohème, qui est, pour le moins que l’on puisse dire, un livre comme en n’en croise pas tous les jours dans sa vie de lecteur ! Il y a également toute une page d’Histoire au rendez-vous. En tout cas, si vous avez tendance à rapporter des objets ou vêtements de vos voyages (non made in China), avec Lesley Blanch, vous vous sentirez moins seul par rapport à cette étrange manie ! – car c’était aussi une sacrée collectionneuse.
Une lecture qui plaira à ceux qui veulent en savoir davantage sur Romain Gary, mais aussi à ceux qui aiment élargir leurs horizons par les voyages et les livres. !
J’ai beaucoup aimé.
Merci aux éditions de La Table Ronde.
Un livre qui a l’air très beau et très riche.
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Oui, magnifique, vraiment. Et instructif. Je n’ai pas boudé mon plaisir, comme tu peux le lire ! 😉
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