Traduit par Anouk Neuhoff
Edith et Oliver font connaissance de manière peu commune : lui « en sous-vêtements : son caleçon dessine une tache de coton blanc dans la pénombre » ; elle, avec une dent en moins et quelques chouchis de pronchiachions, du sang séché autour de la bouche, une moustache de bière maquille sa lèvre supérieure. Oliver ramasse la molaire de cette femme qu’il ne connaît pas et avec qui il se trouve en drôle de situation, dans la cuisine de l’Empire Theatre de Belfast. Elle se présente : « Che m’appelle Edith » . Elle le reconnaît : « Vous êtes Oliver Fleck… l’illuchionniste ». Nous sommes en 1906. Nous allons suivre le couple jusqu’aux années 20.
Michèle Forbes nous emmène en tournée, avec des artistes de théâtre d’un genre aujourd’hui disparu, de ceux qui enchantaient les spectateurs du début du XXe siècle avec des numéros de prestidigitations de tous genres. Oliver est un illusionniste passionné qui ne cesse de vouloir inventer de nouveaux tours, toujours plus forts, toujours plus impressionnants. Il veut devenir connu et reconnu. Edith est une pianiste virtuose, qui l’accompagne dans ses numéros. Un couple fait pour la scène : « Elle a le sens du rythme. Elle comprend du premier coup et sait exactement ce qu’il faut faire. Cette précision si essentielle, il est évident qu’elle l’a dans le sang. » Dans la vie, ils tombent amoureux après cette drôle de rencontre lors d’une soirée trop arrosée. Edith donne naissance à deux jumeaux, Archie et Agna. C’est au tour d’Oliver d’être épaté : « Il n’en croit pas ses yeux. Deux ! Pas un, mais deux ! Pas juste un enfant, mais soudain ses enfants. » Lui qui était un peu inquiet sur son avenir se sent requinqué ! Il faut dire que les temps sont durs pour les artistes comme lui : petit à petit, le cinéma qui fait son apparition détourne l’intérêt des spectateurs. Les directeurs de théâtre sont de plus en plus frileux, méfiants et paient de moins en moins. Les tournées se font de plus en plus longues et le public de plus en plus difficile à satisfaire. Même le numéro du Gâteau Cuit dans un Chapeau qui faisait fureur, ne le satisfait plus !
L’histoire se déroule jusqu’en 1922, on s’attache à cette famille d’artistes, on voit grandir les enfants, on finit par les connaître, on a envie d’aider Oliver à trouver de nouvelles idées, mais aussi de lui dire de se réconcilier avec son frère. Le personnage cache une enfance difficile. Michèle Forbes fouille les âmes, livre des personnages forts et courageux, passionnés, mais fragiles aussi.
L’auteure possède un réel sens du drame et des émotions. Je vous le dis tout de suite, cette histoire est une tragédie ! Les rebondissements successifs m’ont laissée assommée pendant quelques jours (c’est le seul reproche que j’ai à faire, mais c’est une histoire magnifique et tout à fait réaliste).
L’écriture ciselée, portée par un grand sens du détail permet de visualiser et ressentir tout l’univers artistique d’une époque, mais aussi l’ambiance des villes que parcourt Oliver.
J’ai adoré traîner dans ce Belfast disparu de l’Empire Theatre, du Royal Theatre. D’aller aux Bains turcs, de découvrir le City Hall (l’hôtel de ville) comme je ne l’ai jamais vu, de me faufiler avec Oliver dans le jardin botanique de l’époque, Jardin d’Eden, sur la piste d’Edith : « Il suit sa voix dans la Fougeraie du Ravin tropical où la chaleur étouffe les sens et où l’humidité emplit sa tête et sa gorge. » Je sais qu’il suffira que je rouvre le livre pour m’y plonger de nouveau car l’écriture de Michèle Forbes a ce don magique de vous emporter dès que vous lisez ses lignes.
Un roman riche en émotions qui s’achève sur des « mots de neige ». Je vous laisse les découvrir.
L’année 2019 commence en force car voici mon deuxième coup de coeur en quelques semaines et c’est mon premier coup de coeur irlandais de l’année !
Cerise sur le gâteau : Michèle Forbes sera au Centre culturel irlandais le 19 février pour parler de son roman (pour en savoir plus, c’est ici).
Pour ceux qui souhaitent découvrir son premier roman, Phalène fantôme, bonne nouvelle puisqu’il est sorti en poche, collection La Petite Vermillon. Vous trouverez la chronique sur le blog.
Merci aux éditions de la Table Ronde, j’ai passé un vrai bon moment !
J’ai grande envie de découvrir cette auteure, son écriture semble aussi attirante que les histoires qu’elle concocte.
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Celui-ci est génial. Je l’ai préféré au 1er que j’avais beaucoup aimé mais où je trouvais les personnages excessifs. Ici, ca se tient parfaitement.
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Déjà un second coup de coeur, tu exagères !
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L’année s’annonce insupportable !😂
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