Confinement intérieur

Chronique spéciale. Parce que l’actualité rattrape la Science Fiction.

La semaine dernière c’était il y a mille ans. La semaine dernière je travaillais normalement, je préparais mon séjour dublinois, je lisais un roman irlandais dans le cadre de l’Irish Readathon, je soutenais avec enthousiasme aussi une liste pour les municipales. Le COVID 19 faisait déjà des dégâts, les gros salons littéraires étaient annulés, mais la vie continuait normalement avec des gestes barrières simples, on pouvait toujours aller au théâtre ou au cinéma. J’avais rencontré le réalisateur de Rosie Davis, le film écrit par Roddy Doyle, venu parler de son film au Trois Luxembourg.

Tout a commencé à partir en vrille jeudi 12 mars après-midi. Je regarde vite fait en travaillant l’actualité irlandaise et lis de travers un article annonçant la décision du 1er Ministre irlandais de fermer les écoles. Je me dis ok. Je reçois quelques heures plus tard un message du National Concert Hall de Dublin annonçant l’annulation de la rencontre avec Roddy Doyle. Coup au coeur et mille morceaux ! Je suis assommée. J’avais vu un post sur le mur de l’auteur quelques heures avant évoquant cette future rencontre. Je relis l’article irlandais et comprend l’ampleur de la décision du 1er Ministre : tous les établissements publics, d’éducation, culturels ferment. Je regarde vite fait l’appli Aer Lingus qui annonce que les vols sont maintenus. J’encaisse ma déception et me dis que ce n’est pas grave, Dublin et ses environs sont suffisamment riches pour partir quand même.

Ce jour-là, le Premier ministre irlandais fait son annonce fracassante depuis les Etats-Unis, le jour même où Donald Trump annonce la fermeture du territoire aux Européens hormis les Britanniques. Je trouve ça bizarre.
Le soir même à 20h, Emmanuel Macron annonce qu’il ferme toutes les écoles, collèges, lycées pour lutter contre l’épidémie du virus COVID-19, que les rassemblement de plus de 1000 personnes sont interdits, que les personnes âgées de 70 ans et plus doivent rester confinées chez elle et exhorte les proches à éviter les contacts avec elles. Il annonce également que toutes les dispositions sont prises pour que les gens qui ont des enfants de moins de 16 ans puissent garder leurs enfants à domicile et que les personnes à la santé fragiles doivent rester chez elles, que les déplacements doivent être limités au strict nécessaire, que les transports continueront à fonctionner. Je suis sidérée. Je suis agacée. Je ne comprends pas. Je trouve ça incohérent. J’ai l’impression qu’on me prive de ma liberté. Que j’ai juste le droit d’aller travailler car je ne suis pas fragile ni mère d’enfant de moins de 16 ans. Je trouve ça injuste. Je me demande comment je vais faire sans mettre ma santé en danger puisque c’est apparemment dangereux, ce virus. Je me demande aussi comment on va pouvoir assurer le travail de 99% du personnel absent pour cause de garde d’enfants etc.

Le vendredi 13 mars (sic !) c’est le grand désordre. Les directives étant comme inachevées. La journée est très spéciale. J’ai toujours espoir de pouvoir partir à Dublin. Je m’y accroche comme une moule à son rocher. A 13h Edouard Philippe annonce que les rassemblements de plus de 100 personnes sont interdits (je me demande s’il va passer au rassemblement à 2 personnes). Journée de Martienne.

Le samedi 14 mars, je fais quelques courses : les rayons sont vides. Plus de pâtes (j’ai jamais compris pourquoi les pâtes ?), presque plus de riz, plus de papier toilette (LOL), presque plus de chocolat (ah ben merde !), plus de farine, plus de savon liquide, plus de pommes de terre. Le supermarché est quasi désert. Je me dis que les gens sont idiots et égoïstes.
J’annonce que je refais mon programme dublinois. Je vois une grimace. J’entends des reproches irlandais : tu vas contaminer les gens. Je dis que je ne suis pas malade et que je pratique les gestes barrière depuis le début. Que si quelqu’un tousse (pratique du métro parisien), je me retourne. Que les avions sont nettoyés. Que je ne suis coupable de rien. Les informations irlandaises tombent comme un couperet : les Irlandais s’en prennent aux étrangers, aux touristes, à tous ceux qui ne sont pas confinés chez eux. Je vois défiler sur FB des messages de morale. Aer Lingus invite à reporter son voyage. Mais les vols sont toujours assurés. J’apprends que Dublin est une ville morte. Que les commerces censés être ouverts comme les pubs ou les commerces sont fermés parce que les Irlandais appliquent à la lettre les consignes sanitaires de leur gouvernement. Je me dispute parce que je trouve ça très moralisateur et raciste de s’en prendre aux étrangers et aux touristes. Je leur balance dans la tête que l’Irish Welcome c’est bien de la merde, juste un truc marketing, qu’ils me dégoûtent, qu’ils pourront toujours pleurer quand cet été il n’y aura plus du tout de touristes qui voudront venir chez eux. J’oscille entre la tentation du report et l’annulation. Mais j’ai plutôt envie de vomir. Je rumine.
Le soir, c’est chez des amis qu’on apprend qu’ Edouard Philippe a fait une nouvelle déclaration : tous les commerces non indispensables doivent fermier à minuit, on passe en phase 3 de la lutte contre le COVID 19. On se regarde tous. On n’est pas dans un restau, mais dans une maison, on prend du bon temps. On était déjà stressés, mais là on se sent coupables, alors qu’on n’a rien fait de mal, pourtant. Qu’on n’est pas des inconscients. Que de la journée, on n’a rien fait à part essayer de faire nos courses et s’occuper de nos enfants, excités et inquiets avec l’arrêt de l’école, les cours à distance etc.

Dimanche 15 mars : élections municipales dans une ambiance surréaliste. Assesseurs et personnels gantés, cartes d’identité et d’électeurs montrés de loin, l’ennemi c’est l’Autre, désert du bureau de vote ou 18% seulement se sont déplacés. Il fait beau. Les arbres sont en fleurs. Je me dis purée, c’est vrai, c’est le printemps ! Ma seule sortie fut les élections. Je consulte mes mails professionnels pour savoir si des consignes ont été données pour l’organisation du travail. Rien. Je suis fatiguée. Dublin, je n’ai plus du tout envie d’y aller. L’Irish Times montre du doigt l’inconscience des Français. Ca me saoule. Je réponds à deux ou trois commentaires sur internet en leur disant de balayer devant leur porte, qu’ils ont 2 morts pour presque 5 millions d’habitants, que nous en sommes à 149 pour 67 millions, qu’au lieu de nous conspuer et nous critiquer, ils feraient mieux de nous aider.. Que notre gouvernement n’a pas pris suffisamment tôt au sérieux l’ampleur de l’épidémie, – que l’OMS appelle maintenant pandémie – du COVID 19. Que certes, les gens sont inconscients ou insouciants mais qu’en Irlande, pas tous les Irlandais ne sont planqués chez eux non plus. Que je regrette le manque de solidarité entre les peuples. Que j’admire ces pauvres Italiens. Que je les plains. Que les Irlandais se prennent pour les perfect people of the world ! Je leur demande pourquoi l’Irlande ne ferme pas ses frontières ? Pourquoi l’Irlande n’annule pas ses vols ? Est-ce que l’Irlande n’est pas un peu hypocrite ? C’est à ce moment-là que je prends aussi conscience que l’Irlande était en avance sur la France pour la prévention de l’épidémie. Que le gouvernement a beaucoup plus insisté sur le fait que rester chez soi contribue à lutter contre la propagation du virus et à sauver des vies. Que c’est pour ça que j’ai vu fleurir des bannières #stayhome chez de nombreuses personnes sur FB. Nous, notre gouvernement prend des mesures au coup par coup et dans l’urgence. Dimanche soir, je ne sais d’ailleurs toujours pas que faire par rapport à mon travail. Que c’est la confusion. Des échanges tardifs un jour férié me font comprendre que le personnel serait autorisé à rester confiné chez lui. Je pense aux personnel des hôpitaux, aux employés des supermarchés qui doivent aller travailler.

Lundi, je reste chez moi. Je ne suis pas sortie de la journée. Une rumeur monte. La France passerait en confinement total, un décret serait en préparation au JO de mardi pour une mise en vigueur mercredi. Des hélicoptères ont survolé ma ville. Etrange. Les gens se sont encore rués dans les supermarchés où l’on ne peut rentrer que par petits groupes si j’en crois ce qu’on m’a dit, tout en respectant un mètre de distance entre chaque personne (ne me demandez pas comment c’est possible dans un supermarché). On m’a envoyé un photo de chars d’assaut sur un camion en Ile de France. La Poste est fermée. Je prends des nouvelles des miens pour savoir s’ils sont en bonne santé. On touche du bois, on est tous épargnés pour l’instant. Emmanuel Macron doit faire une nouvelle annonce dans quelques minutes.

Je n’ai pas beaucoup lu. Demain je travaillerai à distance. Du moins, c’est ce qui est prévu. Mais de quoi sera fait demain ? Hier c’était il y a un million d’années lumière. On nous a confinés de l’intérieur.

Je vous parle bientôt de l’excellent D’os et de lumière de Mick McCormack, qui évoque aussi une épidémie (je ne l’ai pas fait exprès). Ma colère envers les Irlandais s’éteint peu à peu. L’Irish Readathon continue. A bientôt. Take care. Stay Home.

A propos Maeve

Blogueuse littéraire depuis 2009, lectrice compulsive depuis l'âge de 6 ans ^_^ .
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