
1er jour du mois thématique Nature Writing Ecologie. Une petite modification : j’ai laissé tomber l’idée absolue de Grand Ouest pour ne pas laisser de côté des auteurs remarquables du genre dont les livres (fiction ou pas) n’évoquent pas forcément l’Ouest américain (étatsunien ou canadien). Je pense, comme je l’avais déjà écrit, à Ron Rash, mais aussi à Jim Harrison, entre autres. Comme j’ai déjà bien bouquiné pour ce mois, en lisant Wallace Steiner, qui lui même reprend le concept de Henry David Thoreau, l’idée d’Ouest américain n’est pas forcément géographique, puisqu’elle comprend aussi le Texas. J’y reviendrai…
C’est avec Ron Rash que je commence, auteur né en Caroline du Sud, dont j’ai dévoré il y a quelques années Un pied au Paradis, dont je vous conseille fortement la lecture. Ses romans se passent dans les Appalaches, vaste région montagneuse, rurale, défavorisée située à l’Est des Etats-Unis. Le chant de la Tamassee est donc ma deuxième rencontre avec l’auteur.

Ruth 12 ans échappe à l’attention de ses parents lors d’un pique-nique. Elle a décidé de mettre les pieds dans la Tamassee, cette rivière qui marque la frontière entre la Caroline du Sud et la Géorgie. Ainsi, à son retour chez elle dans le Minesota, elle pourra dire à ses copines qu’elle s’est trouvée dans deux Etats à la fois. Ruth ignore ce qu’est un ressaut hydraulique. Le drame survient : la Tamassee, l’une des rares rivières encore sauvages des Etats-Unis, avale la fillette.
L’accident arrive aux oreilles des medias. Maggie, photographe pour un journal à Colombia, originaire de Tamassee est envoyé en reportage sur les lieux de l’accident avec un collègue journaliste d’envergure, qui a reçu le Pulitzer pour son livre sur le Rwanda. Le père de Ruth, assez influent et argenté, veut récupérer la dépouille de sa fille que la rivière n’a pas rendue. Elle est coincée sous un rocher, à cause du ressaut hydraulique. Pour ce faire, il s’attache les compétences d’une entreprise qui construit et pose des barrages amovibles. Mais la Tamassee est une rivière quasiment sacrée. Une loi fédérale la protège de toute intervention de l’Homme, même temporaire. Le père de famille va se trouver confronter aux écologistes du coin, mené par Luke (qui justement n’est pas né dans le comté d’Oconee), un personnage haut en couleurs et au caractère bien trempé, voire un peu fêlé.
Maggie, quant à elle, n’est pas retournée à Tamassee depuis de longues années, en froid avec son père pour de multiples raisons. Comme toujours, le passé ressurgit, notamment celui de sa relation avec Luke, ancien amant. Des années après, les petites trahisons idéologiques pourraient être au rendez-vous. Elle va également apprendre à connaître un peu mieux Allen, son collègue journaliste qui l’impressionne et l’attire à la fois.
Ron Rash met en balance la douleur d’une famille et la nécessité de protéger la nature. Les conséquences même minimes, a priori, d’une intervention de l’Homme sur une rivière au regard de la loi, c’est-à-dire le risque de précédent qui mettrait en péril tout l’arsenal juridique mis en place pour protéger les rivières sauvages. Luke évoque une autre rivière dont les rives ont été bétonné.
« Il y a vingt ans, la Chattahoochee était aussi cristalline que la Tamassee. Aujourd’hui son bassin n’est pas beaucoup plus qu’une banlieue pavillonnaire au milieu de laquelle coule un égoût à ciel ouvert. » « (…)la Tamassee est la dernière rivière de cet Etat qui coule librement. Une rivière sauvage, ça nje peut ni se renouveler ni se reconstituer une fois qu’elle a disparu ».
J’ai aimé le fait qu’aucun des deux camps ne détiennent la vérité absolue parce qu’ils sont aveuglés. Luke est un personnage prisonnier de son idéologie, il n’a aucune empathie. Les parents, quant à eux, sont prisonniers de leur douleur, d’un deuil à faire qui est impossible s’ils ne peuvent récupérer la dépouille de leur fille. Tout au long de la lecture, l’opinion du lecteur vacille d’un point à un autre, comme une girouette. Ron Rash n’émet pas de jugements mais ne fait pas de cadeaux non plus. Une photographie prise par Maggie et publiée dans la presse peut faire basculer l’opinion et sacrifier la rivière. A quoi tiennent nos opinions ? Quel est le pouvoir d’une simple photo ?
La rivière est le personnage qui va résoudre le problème. C’est très fort. J’ai adoré ce moment, riche en émotion et en surprises.
J’ai adoré être immergée dans l’univers de cette petite ville (village ?) perdue des Appalaches, passer du temps dans la salle communale avec des hommes forts en gueule que tout oppose mais qui n’ont pas compris, en vérité, qu’ils sont tout petits face à la force de la nature. J’ai aimé mange les spécialités du coin chez Mama Tilson : du thé forcément glacé (on ne le boit pas autrement), des beignets de maïs… Un endroit un peu hors du temps où l’on respire, où les fantômes du passé font leur réapparition assez facilement. La puissance lyrique de Ron Rash allié à un bon sens du suspense m’ont emportée très loin. On ne s’ennuie pas 5 minutes et je suis convaincue de lire tout l’oeuvre de Ron Rash publiée à ce jour. Un auteur à lire absolument pour toute personne qui s’intéresse un minimum aux problèmes de préservation de l’environnement.
« La Tamassee n’est pas profonde. Les rochers, immergés en mai, affleurent aujourd’hui à la surface. L’eau vive d’alors coule maintenant en un flot clair et lent. Deux truites ondulent dans les hauts-fonds sablonneux. Leurs nageoires fendent la surface tandis qu’elles se laissent un peu dériver vers l’aval avant de revenir en trombe à l’endroit où la femelle a usé sa caudale à creuser un nid. »

Quelle belle couverture
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En plus ! Mais surtout quel beau roman !💕
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Ce n’est pas mon préféré de Ron Rash, je me suis demandé à un moment s’il n’aurait pas mieux fait d’en faire une longue nouvelle… mais ça reste un bon roman tout de même.
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Un pied au Paradis est sans doute un cran au-dessus. Mais effectivement c’est quand même un très bon roman.😁
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J’ai beaucoup aimé ses premiers romans, alors ton billet fait envie.
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