Ce que Majella n’aimait pas – Michelle Gallen

Traduit par Carine Chichereau

« C’étaient les autres qui disaient de la merde. C’étaient les autres qui inventaient les règles selon lesquelles on était cool ou pas en fonction des vêtements qu’on portait. C’étaient les autres qui jugeaient une moitié de l’humanité parce qu’elle se maquillait,  et l’autre parce quelle ne se maquillait pas. C’étaient les autres qui allumaient la lumière, faisaient du bruit, transpiraient, se battaient, pleuraient,  criaient. A bien y réfléchir,  en fait, Majella n’aimait pas trop les autres. »

Décidément j’aurais passé beaucoup de temps en Irlande du Nord ces premiers mois de 2023. Et voici mon troisième coup de coeur irlandais… du mois d’avril !!! 🤗 J’ai bouffé pendant 6 jours au fish and chips d’Aghybogey, petite ville d’Irlande du Nord, quelques années après les accords de paix. C’est là que travaille 6 soirs sur 7 Majella, la vingtaine bien entamée, beaucoup de kilos que les autres diraient en trop et des idées bien arrêtées sur ce qu’elle aime ou pas. Ça se résume en deux listes données au début de l’histoire et heureusement,  je vous rassure,  on ne va pas vous tanner le cerveau avec ça pendant 341 pages !

Pendant 7 jours, du lundi au dimanche,  vous allez suivre la vie monotone et morne de Majella. Sans que ce soit triste pour vous. Elle vit avec sa mère alcoolo, dépressive, addict aux cachetons. surtout depuis que le papa a disparu. On peut dire qu’elle est chiante et égoïste,  sa mère.  Toujours à se plaindre et à rouscailler sur son sort alors qu’elle passe ses journées vautrée comme une loutre dans son canapé à rien glander, si ce n’est se bourrer la gueule et parfois à vomir tout autour. Il n’est pas rare que Majella la retrouve dans son gerbos quand elle rentre de bosser ou qu’elle se réveille le matin. Un bonheur,  vraiment,  cette bonne femme ! 😂 Majella fait avec parce que c’est sa daronne, elle veille sur elle et se tape toutes les corvées. Elle a peur de la retrouver clamsée un de ces quatre. C’est presque un bonheur d’aller bosser au fish and chips tout graillon.

Au moins, au fish and chips, à part Madame Connasse, il y a son collègue Marty avec qui elle s’entend bien. Elle adore faire cuire les frites et la bouffe, de toute façon. Ça se passe bien au fish and chips, c’est presque sa deuxième maison, avec toujours les mêmes personnes qui viennent commander le même plat, font les mêmes remarques. La routine, quoi ! Majella aime bien la routine. Ou du moins compose avec. Il n’y a rien d’autre à faire à Aghybogey, de toute façon. Traîner dans les rues, aller au pub picoler, se prendre le chou avec les reformés quand tout le monde est bien alcoolisé, entendre toujours les mêmes conneries et regarder Dallas. Majella kiffe Dallas !

Au moment où commence le récit, il vient pourtant de se passer quelque chose de grave dans la vie de Majella : sa mémé adorée, qui vivait dans une caravane à quelques encablures, vient d’être sauvagement assassinée. La seule personne qui comptait pour Majella, avec son papa. La ville fait ses pronostics sur qui, quoi, pourquoi, comment… Les flics vont prendre des empreintes digitales, alors ça gamberge.

Voici donc le premier roman de Michelle Gallen publié en France. VO : Big Girl, Small Town, pour ceux qui voudraient lire le livre en VO et je pense jeter un oeil à la VO, par curiosité parce que le style d’écriture est très particulier, très langage parlé et bourré d’argot (j’ai beaucoup pensé au style de Robert McLiam Wilson dans Eurêka Street ; il y a une scène de beuverie pleine d’expressions : je veux voir la vérité sur « j’ai les dents du fond qui baignent »😂, c’est plutôt quand on a trop mangé, non ?) J’ai aussi trouvé un truc bizarre qui est comme une erreur géographique et terminologique : « loch Con ». Quoi ? Des lochs en Irlande ?🤨 Des loughs, vous voulez dire. Et le loch Con n’est pas dans le Mayo mais en Ecosse. Le lough Conn est bien dans le Mayo. Bref un lac…

Michelle Gallen raconte avec beaucoup de précision la vie routinière de son héroïne. Mais elle incise cette routine avec un élément perturbateur : le décès de sa grand-mère. Ce n’est pas décoratif. Majella est une jeune femme intelligente et mûre, certains essaient de profiter d’elle de diverses façons (elle n’est pas contre le sexe mais j’ai trouvé que les mecs en profitaient un max voire sont carrément crados). Elle n’a pas pleuré depuis des années, ses sentiments sont anesthésiés. Du moins le croit-elle.

Certes on devine en filigrane que Majella a un handicap. Mais finalement j’ai trouvé qu’à peu près tous les autres sont comme elle, dans cette petite ville d’Irlande du Nord où l’ambiance peut vriller assez rapidement. Le sectarisme est toujours présent, on balance des clichés, les habitants font les choses selon un rituel précis. Aller au fish and chips commander le même plat, à la même heure, avec les mêmes mots… Majella a un petit TOC quand elle sort de sa zone de confort : elle claque des doigts et se balance d’avant en arrière. On devine une forme d’autisme (absolument jamais nommé comme tel) mais pour ma part, il m’a fallu beaucoup de pages avant de me rendre compte de son petit problème. Tout simplement parce que ce n’est pas très visible. C’est elle qui mène la barque chez elle et que finalement, sa mère est bien plus handicapée qu’elle, avec son addiction à l’alcool etc. Finalement, c’est elle qui s’en sort le mieux. A ce titre, j’ai adoré la fin !

Un roman plein de vie, de réparties, d’humour, souvent noir, sans tabous. Si en filigrane il y a un drame familial bouleversant, Michelle Gallen suggère au lecteur un bel avenir pour Majella.

A vous de découvrir ce roman et de me faire un retour sur le sujet ! Attention, crises de fou rire à prévoir… Normal, c’est de la littérature irlandaise et c’est ce mélange de drame et d’humour qu’on aime en elle.

A propos Maeve

Blogueuse littéraire depuis 2009, lectrice compulsive depuis l'âge de 6 ans ^_^ .
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2 commentaires pour Ce que Majella n’aimait pas – Michelle Gallen

  1. alexmotamots dit :

    Elle n’a pas l’air triste cette vie routinière, à te lire.

    Aimé par 1 personne

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