Traduit par Bruno Boudard
4e de couverture : « Au gré de leurs pérégrinations dans Berlin, Liam et Una se retrouvent. Una est atteinte d’un cancer. Ce sera son dernier voyage. Chacun fait don à l’autre de sa propre histoire et de ses secrets avec pudeur, franchise, humour et tendresse. Una rêve d’assister à une représentation de Dom Carlos de Verdi, dont le personnage principal lui rappelle son frère aujourd’hui disparu. Liam, quant à lui, est obnubilé par le mariage de sa fille auquel, par égoïsme, il s’oppose.
On ne peut, en lisant ce texte ne pas penser à l’infini tendresse qui liait Hugo Hamilton à la grande romancière irlandaise Nuala O’Faolain, qui s’est éteinte en 2008. »
Un livre sorti il y a un mois et dont personne ne parle en France : pas un article dans la presse « traditionnelle », pas une interview. Silence total. Ca me choque parce que Hugo Hamilton n’est pas un inconnu, ni ici, ni en Irlande où il est l’un des plus grands auteurs de son pays. Et puis, comme le dit la quatrième de couverture, on ne peut pas ne pas penser à Nuala O’Faolain qui se cache derrière les traits de Una et ce n’est pas une inconnue non plus en Irlande Nuala !! C’est « juste » une journaliste connue, qui, un jour, a décidé de prendre sa plume pour raconter son enfance, sa vie personnelle et intime, à la première personne, dans laquelle beaucoup d’Irlandaises se sont reconnues. Si vous n’avez jamais lu On s’est déjà vu quelque part – journal d’une femme de Dublin et J’y suis presque, je ne peux que vous inciter à le faire.
Le narrateur ici, c’est Liam qui accepte d’accompagner Una à Berlin, une ville qu’elle veut absolument découvrir avant de mourir du cancer qui la ronge. Vêtue de Converse rouges et d’une casquette qui la fait ressembler à Steven Spielberg, Una se laisse pousser par Liam, dans son fauteuil roulant à travers Berlin, sous l’oeil professionnel et bienveillant d’un chauffeur, que tous les deux ont décidé de surnommer Manfred. Una ne se sépare jamais d’un sac à main un peu particulier qui se résume à un grand sachet en plastique transparent fermé par une glissière, où elle fourre toutes ses affaires et ses médicaments.
Pourtant ne vous attendez pas à faire une visite touristique de la capitale allemande en compagnie de ce couple détonnant. En effet, nos deux Irlandais n’ont pas vraiment la tête à Berlin mais bien ailleurs. Una précise que ses « poumons sont en Roumanie [sa] tête à New York, [ses] pieds à Berlin et le reste à Dublin ». A chaque fois qu’Una fixe son regard sur un monument ou un tableau, le texte rebondit, s’échappe ailleurs, se joue de la géographie et du temps pour permettre aux personnages d’évoquer leurs blessures intimes.
Una est obsédée par son frère mort, persuadée jusqu’à la fin de ses jours qu’il a été tué par son père et sa mère. Elle raconte son enfance difficile, entre une mère alcoolique et un père journaliste violent. Elle raconte comment ils ont fait d’elle, malgré eux, ce qu’elle est : une femme libre (au caractère sacrément bien trempé et jusqueboutiste), une femme qui « voulait voir les femmes gagner la liberté d’être elle-même, sans avoir à porter des bébés si elles ne le désiraient pas, de devenir artistes, écrivains ou musiciennes au lieu de sacrifier leur existence entière à élever des enfants, ainsi que l’avait fait sa mère ».
Liam raconte son père très sévère : pas de fish & chips parce que le fish & chips n’est pas fait à la maison mais cuisiné ailleurs, alors hors de question ! Un oncle jésuite qui a « fauté ». Une enfance douloureuse qui faisait qu’il se sentait étranger en Irlande. On devine forcément un trait autobiographique de l’écrivain car Hugo Hamilton est de père irlandais (ultra-nationaliste) et de mère allemande. Ce qui lui a valu bien des déboires en Irlande quand il était enfant (il faut lire Sang mêlé et Le marin de Dublin). Liam est aussi obsédé par Maeve, sa fille, du moins l’a-t-il cru pendant longtemps, parce qu’il dira à Una quelque chose que personne ne sait, mais qui a fait basculer sa vie d’adulte.
Si vous vous attendez à un roman sur la maladie, ce n’en est pas un. Ce n’est pas non plus une histoire de couple. C’est avant tout une histoire d’amitié sincère et fidèle jusqu’à la mort :
« Nous n’étions pas liés l’un à l’autre, ni ne vivions sous le même toit, tels des amoureux, nous n’étions pas mariés ni apparentés d’une quelconque manière, comme avec sa famille. Nous étions bon amis, c’est tout. Nous nous sommes rencontrés à un moment où notre vie était un peu en vrac. Elle était mon aînée en livres, en tout. » « Nous nous sommes trouvés des atomes crochus simplement en échangeant, en riant ensemble, je suppose. »
Un roman où l’humour est loin d’être absent, superbement écrit, fidèle à l’image que l’on garde de Nuala O’Faolain, qui transpire à travers les traits de Una pour chaque lecteur qui a lu ses livres et ses articles (réunis dans Ce regard en arrière) . Le roman d’une grande lectrice, « qui avait la faculté de lire comme si rien ni personne n’existait au monde, en dehors de son livre », d’une journaliste à l’oeil aguerri sur son époque et finalement d’un grand écrivain.
Un magnifique hommage par le très discret Hugo Hamilton qui écrit ici un roman à la fois très intimiste et très pudique. Un livre dont on savoure Every Single Minute (titre original).