Traduit par Cécile Arnaud
2016 met les voiles. Je vous propose d’entrer avant tout le monde dans 2017 avec le nouveau et premier roman de l’Irlandaise Paula McGrath qui sera dans toutes les bonnes librairies le 12 janvier.
Les pages s’ouvrent sur l’année 1958. Le narrateur tutoie un personnage, un Irlandais planté devant l’entrée d’une mine d’uranium. Celle d’Elliot Lake, Canada. Les Russes ont mis en orbite Spoutnik. Les Américains voient rouge. L’Irlandais, dont on ignore le nom, est un immigré comme un autre qui répond au besoin de main d’oeuvre des Canadiens dont « Les mineurs (…) n’arrivent pas à tenir la cadence. » :
« C’est pourquoi tu es là, loin de chez toi. Tu as vingt-cinq ans. Tu ne sais rien de ton avenir, de la femme que tu épouseras, de vos futurs enfants : l’inconstante, le sérieux, et celui qui défera tout ce que tu t’apprêtes à commencer. »
Mais c’est l’année 2010 qui va occuper le coeur du roman, où chaque chapitre va porter le nom des personnages qui vont construire l’intrigue sous nos yeux. Le temps d’un printemps et d’un été. Joe est un fermier bio de l’Illinois. Célibataire et mal léché. C’est ainsi qu’on le découvre. Il surfe sur le web et sur Skype pour harponner une femme qui s’occuperait de sa ferme. La dernière a foutu le camp, c’était une Chinoise, dit-il. Il embauche des wwoofeurs pour la récolte de fruits et légumes. Mais qu’est-ce que c’est que le wwoofing ? Une sorte d’économie du partage : des personnes proposent leurs services bénévolement et temporairement en échange de logis et nourriture. Une manière de servir la cause écolo de l’agriculture bio et d’apprendre un autre métier. Avec son pendant d’exploitation… Pour Joe, ça permet un renfort de main d’oeuvre gratis aux Mexicains qu’il emploie.
« C’est la fin de la journée, les laitues sont en promo. Je fais aussi un prix sur les coeurs de boeuf. Elles sont extra avec de la mozzarella, du basilic et un filet d’huile d’olive. Sentez-mois ça. » Allez, ça le fait, un fermier bio, ça séduit la clientèle, surtout féminine. C’est l’image qu’il donne au grand jour.
De l’autre côté de l’océan, en Irlande, Áine, jeune femme divorcée, mère d’une petite Daisy, entend parler par sa collègue du wwoofing. Parce qu’elle a besoin de s’aérer et d’élargir son horizon, elle lance dans l’aventure. Elle envoie un mail @joelefermierhotmail.com ! 🙂
Le début d’un thriller qui ne dit pas son nom. Dès les premiers instants, nous savons, nous lecteurs, que Joe n’est pas un type totalement clair. Sans pour autant savoir pourquoi. Au début, on pense juste que c’est une caricature du fermier célibataire qui profite de la technologie moderne pour trouver des femmes. Il est grincheux, méprisant, sarcastique et sale – il vit dans une ferme qui rivalise avec une porcherie.
Áine est une femme intelligente qui s’aperçoit, mais pas tout de suite, qu’il y a un souci… Elle est curieuse, courageuse et ne va pas hésiter à mener sa propre enquête. Jusqu’à la fuite nécessaire pour protéger sa fille.
Pourtant, peut-on maîtriser la destinée des siens ? Quels impacts ont nos décisions sur la génération suivante ? Un des leitmotivs du roman, qui évoque aussi les familles éclatées, recomposées et pourtant liées à travers les continents et le temps. Quels souvenirs garde-t-on en mémoire ? Et de quelle manière la mémoire réécrit-elle ce qui s’est passé ?
J’ai aimé l’écriture originale de Paula McGrath, magnifiquement traduite, la diversité des tons et styles qui émaillent les histoires de ce récit aux multiples personnages, tous reliés par un fil d’Ariane ténu, sur plusieurs continents et plusieurs générations.
L’écrivain joue magnifiquement avec l’ombre et la lumière : de Spoutnik qui tutoie les étoiles aux mines d’uranium que creusent des immigrés; de l’habitation crasseuse de Joe, (qui a tout de la scène de la cuvette des chiottes toilettes de Trainspotting), à ses plantations « bio » bien proprettes .
Un joli coup de griffe aussi sur l’exploitation humaine. Sous toutes ses formes..
Un roman court mais dense, tout en mystères et non dits. Paula McGrath tient le lecteur en haleine par une écriture kaléidoscopique où pourtant tout se tient dans une logique implacable. Impressionnant. Palpitant. Et effrayant par moments. On n’a pas le temps de s’ennuyer !
Une fiction très moderne, contemporaine et aussi inter-générationnelle, émaillée de références cinématographiques, dont on ressent une ambiance parfois digne de Hitchcock (je pense en particulier à la scène du champ de maïs…).
Une plume irlandaise à suivre, c’est certain.
Extraits :
« Quand nous sommes rentrées de nos voyages, je me suis enfuie. Je suis sortie de la maison alors que j’étais censée être au lit et j’ai marché. Ce n’était pas planifié ni rien. La puberté, ça a été comme se réveiller pour découvrir que j’ai été en prison toute ma vie, mais que le gardien avait laissé la porte ouverte. Quand on m’a retrouvée, ma mère est devenue tellement parano que si elle avait pu me mettre un bracelet électronique, elle l’aurait fait. Et plus elle flippait, plus je déconnais. »
« Ca vous fera dix-huit dollars. Régalez-vous. Oui monsieur, goûtez et vous verrez la différence. Ils sont extra-frais. Tout est bio. Pas de pesticides, pas d’engrais chimiques. Rien que du naturel. »
« Jusqu’ici, elle a toujours été du genre voyage organisé, mais maintenant, elle est une pionnière, un personnage des Raisins de la colère, une Thelma. Ou une Louise. »
« Elle escalade le talus et se retrouve au bord du champ de maïs. C’est assez facile, une fois qu’on va dans la bonne direction. Il suffit de suivre une rangée. Et même si on se trompe de sens, on finit toujours par arriver à une route ou une limite quelconque. Voilà ce qu’elle se dit résolument, mais son coeur tambourine. Elle a l’impression de nager dans une mer de feuilles, très loin au large, sans rivage en vue. Contente-te toi d’avancer, de suivre la rangée. Respire. Mais elle sent la panique monter en elle, de cet endroit coupé de la raison. La sueur qui perle sur sa peau ne vient pas de la chaleur du soleil, encore haut dans le ciel, mais du plus profond d’elle-même, et elle a l’odeur de la peur. »
Quelques mots sur Paula McGrath : Elle enseigne l’écriture à l’université de Dublin et à la Big Smoke Factory. Génération est son premier roman. Mais elle a écrit des fictions et non fictions paru dans The Irish Times, Necessary Fiction, ROPES Galway et Surge. (anthologie des nouveaux écrivains irlandais). Ecrivain à suivre, ça c’est certain ! Elle possède un blog où vous pouvez suivre son actualité : https://paulamcgrath.com/
Un immense merci aux Editions de la Table Ronde pour cette belle découverte
en avant-première.
Voir aussi la chronique de Lettres d’Irlande et d’ailleurs qui a beaucoup aimé aussi ! 🙂
J’ai un peu de mal, je l’avoue, avec la littérature irlandaise. Mais qui sait, ce roman pourrait me plaire.
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Comment ça tu as « un peu de mal avec la littérature irlandaise » ? Est-ce possible ? Je te souhaite de vraiment la découvrir en 2017 ! 😉
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Oui, malheureusement….
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Très bel article. Du coup j’ai vu des choses que je n’ai pas dites sur le travail d’écriture par exemple. Et d’autres auxquelles je n’ai pas pensé. C’est ce qui est bien d’un blog à l’autre on se complète tous. A bientôt on aura peut-être d’autres lectures en commun.
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Merci!
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