Déborah rentre en classe de terminale. Nous allons la suivre du début à la fin de l’année. Une adolescente ordinaire, parisienne, fille unique, avec un père, une mère et un chien… « clochard » : un labrador obèse ramassé sur le trottoir par sa mère, Isidore, comme, le comte de Lautréamont, dixit la maman ! Il est hideux, il pue, pour Déborah, c’est « le chien de l’angoisse », « un mélange improbable de Droopy en fin de vie, Beethoven (le chien, pas le compositeur) atteint de psoriasis et Milou passé entre les mains d’une esthéticienne sous acide ». Un Destroy Dog qu’elle déteste, comme vous l’aurez remarqué au regard de la description délicate qu’elle en fait, d’autant qu’il a le chic de chier déféquer là où il ne faut pas et toujours quand il y a une vieille peau de voisine pour lui rappeler qu’il faut ramasser les cacas de chien… Pourtant Déborah ignore qu’elle aura besoin de ce chien pourri dans les mois qui suivent.
Bon, mais on est au début de l’année, Déborah fait sa rentrée scolaire au Clapier, avec sa copine de toujours, Eloïse. Celle-ci s’amourache d’un Erwann et se met à ne plus vivre et respirer uniquement pour lui. Pendant ce temps, Déborah sympathise avec Jamal, le « mygale-man » (il a une charmante bestiole chez lui) et Victor pour qui elle se met à en pincer, en secret, sachant que celui-ci est déjà avec une autre. Bon, vous vous attendez à un livre guimauve sur les amours adolescentes. Eh bien bien non !! Oubliez les romances ados, mièvres à souhait avec un trop plein de coeurs sucrés roses et de filles en pâmoison. Marie Pavlenko raconte ici la vie d’une adolescente de nos jours, sans clichés réducteurs, avec la vie telle qu’elle est : des hauts et des bas, des éclats de rire et des larmes, et l’amour dans tous ses états (et pas seulement les étoiles et les coeurs roses).
La famille de Déborah se met à partir à vaux-l’eau pendant cette année de terminale : elle surprend son père dans les bras d’une « Brésilienne » pendant que sa mère passe une bonne partie de son temps à découper des formes dans des magazines tout en montant une forteresse entre elle et le monde. Colle des post-it avec un mystérieux numéro en 06. Devient une Enigme. Puis l’Enigme décide de disparaître le dernier jour de l’année. Perturbée, Déborah rejette son amie de toujours, Elo. Déteste son père. Se réfugie dans l’amitié de Jamal et Victor. Découvre le jeu des cadavres exquis.
Une vie bouleversée qui va lui apprendre à se connaître, à découvrir ses parents et aller au-delà des apparences.
Le premier roman que je lis de Marie Pavlenko. Je suis ton soleil, un roman qui porte formidablement bien son titre (dont on découvre le sens à la fin). Un roman qui éblouit par son style : une écriture vivante comme un feu d’artifice, qui vous fait passer par un panel d’émotions : le rire, la stupeur, l’angoisse. Mais finalement c’est le soleil riant qui l’emporte. La couverture couleur or se marie tout à fait avec le contenu.
Une fiction qui retire les filtres pour donner à voir la vie telle qu’elle est. Et oui, parfois, l’amour c’est aussi la capote qui craque et ce qui s’ensuit, avec les décisions à prendre mais qui vous marqueront à jamais… (Un roman à offrir à ceux qui voudraient décider à votre place ce que vous devez faire de votre corps, en ces temps de recul du droit des femmes à disposer d’elles-même !) 🙂
Et puis Jamal aime Victor : allez, zou, un exemplaire à envoyer à ceux qui veulent décider aussi de qui vous devez aimer. 🙂
C’est aussi l’amour filial. Dans toute sa complexité. Bref, l’amour tout court dans toute sa complexité.
Une autre thématique, celle de l’habit qui ne fait pas le moine. Si Déborah est confrontée à une vraie « pétasse larve » en voie de devenir « une pétasse adulte » qui lui pourrit la vie au lycée, elle-même se fera prendre au piège des apparences avec cette mamie en tenue de jogging flashy qui l’engueule dès qu’elle sort Isidore : une sacrée surprise l’attend au bout du chemin. Même Isidore le chien « périnée » qui pue en sortira grandi ! 🙂
Un roman qui laisse une grande place au rôle de l’art et de la littérature dans la vie : le bol d’oxygène qui permet de prendre de la hauteur quand ça part de traviole, de trouver des solutions, parfois. L’art thérapie. Déborah découvre grâce à sa libraire Les Misérables de Victor Hugo (Victor dont elle est amoureuse, elle, pauvre Cosette !). La grande surprise concerne sa mère, cette énigme ! L’auteure explique à la fin de l’ouvrage que « la plupart des titres de chapitres (…) sont en réalité des citations de chansons, de livres, de poèmes, souvent coupés, réagencés ». Il y a également des citations « éparpillées dans le texte, à vous de les trouver ! (Verlaine, Rowling, Hugo encore, Brel, la Bible, Tolkien et d’autres…).
Un chouette roman d’apprentissage, porté par une écriture dynamique et inventive. Une héroïne forte, drôle, attachante, émouvante et libre. Un lingot d’or de plus de 400 pages terriblement addictif. J’ai vraiment beaucoup ri, j’avoue. 🙂
Extraits :
« – Mon babouin en sucre, lâche Carrie en se retournant, fouettant l’air de sa toison volante, j’ai ce qu’il te faut !
Elle pose dans ma main une brique.
Les Misérables.
Quand je l’aurai terminé, Eloïse aura sûrement oublié Erwann et je pourrai reprendre ma vie d’avant. Vu l’épaisseur du tome 1, j’aurai aussi ma ménopause. »
« Je reprends Victor Hugo dans une sorte de bouillabaisse personnelle. Je suis transportée mieux que sur un tapis volant, mais je lui en veux. Hugo abuse grave. Il se fout de moi, il m’assassine, il me torture. Il est mort depuis longtemps et par un miracle un peu timbré, il est entré dans ma tête. Quand Marius fait les cent pas devant Cosette sur son banc, je me vois ignorant superbement Victor mais tremblant qu’il ne me remarque pas. »
« Je voudrais fermer les yeux. Ca m’éviterait de supporter les mirettes psychédéliques (ces pupilles! Que dis-je, ces frisbees, ces siphons de baignoire, ces trous noirs !) de Lady Leg… d’Anastasia Verdegris. »
« Mon cabri croquignole. »
« Parfois je rêve de lui. Il avoue qu’il m’aime, il n’aime que moi. Adèle, à côté de ma beauté naturelle, c’est Elephant Man qui s’est pris un poteau dans l’oeil. Mon sourire niaiseux m’étire si fort les zygomatiques qu’il finit par me sortir du sommeil. Dans mes cauchemars, lui et sa chérie se roulent des galoches qui font un bruit de syphon bouché et je n’existe plus. »
J’arrête là parce que je pourrais citer tout le livre tant j’adore le style ! ♥
Merci à Flammarion Jeunesse, pour tout !
Un titre très gai, et ton avis sur cette lecture est réjouissant.
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Merci. 😉
Seul bémol dont je n’ai pas parlé : livre très épais et volumineux, assez difficile de le prendre avec soi dans les transports en commun. Ce fut donc ma lecture du soir.
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