Traduit par Eric Boury
Eté 1941, à Reykjavik, un homme est retrouvé mort d’une balle dans la tête dans un appartement. Sur son front, une croix gammée sanglante.
Flovent, de la police criminelle de Reykjavik est chargé de l’enquête sur le meurtre de cet homme d’une trentaine d’années. Une chose qui n’est pas aisée car les meurtres sont plutôt rares en Islande. Il va donc être épaulé par la police militaire d’occupation, en la personne de Thorson. Thorson a été envoyé sur l’enquête parce qu’il est volontaire et bilingue anglais-islandais. Il est ce qu’on appelle un « Islandais de l’Ouest » : autrement dit ses parents islandais ont migré sur le nouveau continent. Thorson vit au Canada mais le fait qu’il soit bilingue est bien pratique pour les troupes d’occupation : ça permet d’être plus « près » des autochtones, de mieux communiquer…
Le récit commence par le débarquement d’un représentant de commerce dans le port de Reykjavik : Eyvindur. L’homme est dépité car il n’arrive pas à vendre sa camelote et qui plus est, son couple, avec Vera, bat de l’aile. Il se dit qu’il n’a pas les talents de « cette ordure de Felix », un camarde d’enfance, qui sait vendre tout et n’importe quoi à n’importe qui. En arrivant chez lui, les affaires de Vera ont disparu, avec leur propriétaire qui est introuvable. Flovent rentre en scène dès le deuxième chapitre avec la découverte d’un cadavre dans l’appartement de Felix. C’est la propriétaire venue réclamer son loyer qui l’a découvert…
Vous l’aurez compris, Dans l’ombre ne met pas en scène Erlendur, l’inspecteur que j’adore, mais je le savais. C’est peut-être ce qui me retenait pour me jeter dès sa sortie sur le premier volume de ce qui est en fait une trilogie. J’avais été déçue par Opération Napoléon, donc je le boudais un peu ! 🙂 La sortie en poche de Dans l’ombre et mon départ pour l’Islande a néanmoins fini par me convaincre que je ne risquais rien à essayer, ce serait quand même un bon compagnon de voyage !
L’écrivain nous plonge dans la période dite de « situation » (ástandið) qui « désigne la période où l’Islande était occupée par les troupes britanniques puis américaines (entre 1940 et 1945). Le mot renvoie également aux liaisons entre les soldats et les femmes islandaises » (note du traducteur).
Il y a des histoires de coeur, de la trahison, de la manipulation, du contre espionnage, des rebondissements, et une dimensions sociale et historique.
Un docteur influencé par son frère sur la doctrine nazie de la race pure. « Hans Lunden s’intéressait aux sagas des Islandais qui mettaient en scène la combativité, le courage et de grandes prouesses. (…) Selon lui, si les ancêtres des Islandais avaient vécu aujourd’hui, ils auraient été des surhommes doublés de génies militaires et il rêvait de les ressusciter. Il menait des études anthropologiques sur la race nordique dans un institut fondé par Himmler à Berlin (…). Il était persuadé que, quand la guerre se propagerait, les Allemands occuperaient l’Islande. Il serait possible d’engager des recherches en génétique et en anthropologie sur les Islandais et leur lien avec l’héritage ancestral germanique et les prouesses des Vikings ». Des théories totalement délirantes et effrayantes. Ce dont Rudolf, s’apercevra trop tard : « Rudolf avait découvert au cours de son étude que les théories de Hans et des autres nazis concernant l’Islande se fondaient sur un malentendu. (…) Le sang des Islandais avait toujours été mêlé, et ce, depuis l’époque où l’île avait été colonisée ». Le problème est que les deux frères ont été auparavant totalement d’accord et pensant que l’Allemagne nazie allait envahir l’Islande, Rudolf a proposé ses services à la croix gammée. Avec la complicité d’un directeur d’école, il sélectionnait quelques élèves et procédait à des questionnaires avec l’aide d’une infirmière scolaire. Leur but était de prolonger les théories de Lombroso sur le rapport entre apparence physique et tendances criminelles. Bref, ce genre de conneries ! (J’en dit presque trop mais tout de même pas tout 🙂 ).
Il y a de la manipulation mentale à gogo. Et les femmes ne sont pas en reste. Arnaldur n’y va pas de main morte avec les femmes qu’il met en scène. En particulier Vera, un coeur d’artichaut reine de la manigance qui ferait tout pour ne pas passer le reste de sa vie à plumer des eiders (oui, ces canards dont les plumes font d’excellents édredons !) ou cuire des kleinur (beignets islandais), traire les vaches, vivre comme une paysanne et une esclave domestique. (l’avenir n’était pas glorieux pour les femmes, certes !) Les soldats, qu’ils soient britanniques ou américains, c’est bien pratique pour tenter de s’offrir un avenir meilleur. Bien plus qu’un représentant de commerce désargenté… J’ai trouvé que le personnage était assez caricatural, un peu trop. Elle n’est vraiment pas sympathique et ça ne sert pas sa cause.
Il faut dire que la pauvreté n’épargne pas l’Islande. Le quartier des Polarnir, à la lisière de Reykjavik, c’est là qu’a vécu Eyvindur enfant. Un quartier né pendant la Première Guerre mondiale, destiné aux familles en difficulté : des hébergements d’urgence qui avaient perduré, où des personnes y vivaient dans des conditions misérables, où bagarres, disputes dues à des consommations excessives d’alcool y éclataient régulièrement…
Alors, qui a tué cet homme dans l’appartement ? Ces femmes et hommes de l’ombre, dans cette Islande de la « situation », vont donner du fil à retordre à Flovent et Thorson.
J’avoue que l’on retrouve du grand Arnaldur Indriðason !
Un polar bien documenté, comme toujours dans les livres Arnaldur Indriðason, mais aussi bien construit, qui vous plonge dans l’ambiance de l’Islande des années 40. Une bonne dose de suspense jusqu’à la dernière page, qui laisse présager une suite… Il me reste donc à découvrir les deux autres volumes de la trilogie.
En tout cas, Erlendur revient pour la rentrée littéraire, avec Les fils de la poussière, et ça c’est une rudement bonne nouvelle aussi ! C’est le premier roman écrit par Arnaldur. ♥
Affaire à suivre !
NB : pourquoi les éditeurs ne respectent pas la lettre de l’alphabet islandais :ð (Ð pour la majuscule) (qui se prononce comme le « z » dans « the » et non [d] comme n’importe quel D. ? Si j’arrive à le mettre sur un blog, on doit pouvoir le mettre sur un livre imprimé, non ? J’ignorais cette différence phonétique auparavant. Mais c’est aussi à que servent les voyages : apprendre quelques rudiments linguistiques (je dis bien rudiments car je ne parle toujours pas islandais à part « bonjour », « merci », « au revoir », et « salut tout le monde » : les mots magiques qui ne paraissent rien mais qui font souvent plaisir à vos interlocuteurs. C’est pas compliqué ! 🙂 Et j’ai été surprise de croiser des Islandais parlant français, pas des wagons mais sans doute plus que n’importe quel pays plus proche de nous.
La petite explication pour la lettre (que je n’ai pas depuis mon portable mais peut-être depuis l’ordi, à voir) vient probablement du fait que, lorsque tu achètes une typo, toutes les lettres du monde entier n’existent pas forcément. C’est parfois compliqué de trouver des typos avec les accents, les symboles, etc., alors si ça vient de l’islandais, je n’ose imaginer la difficulté à trouver une typo qui convienne !
Et pour en revenir au livre, il pourrait bien me plaire. Je me le note pour le jour où ma PAL aura considérablement baissé 😉
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Pourtant il suffit d’aller dans caractère spéciaux sur WordPress. Et ca doit être pareil sur un traitement de texte. De ma tablette, je peux même télécharger directement un clavier islandais. Quant à la police de caractères en elle-même, je ne sais pas trop. En tout cas, le nom est finalement assez estropié. Je ne suis pas allée voir dans les éditions des pays anglophones etc.
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Nb : en tout cas, le Guide du Routard respecte bien l’orthographe spécifique dans un caractère qui doit être de l’Arial. Celui du roman est du Times et après vérification dans un autre polar islandais (L’énigme de Flatey) paru en poche aussi chez Point Seuil et en Times, l’alphabet est respecté. Peut-être donc plutôt un choix d’éditeur (pas les mêmes éditeurs pour le grand format).
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Une trilogie intéressante, mais il m’a manqué un petit quelque chose.
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C’est sur que ce n’est pas de la trempe de la série Erlendur mais c’est du bon quand même. ☺
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