En juillet 2012, lors d’un séjour chez sa grand-mère, Lucie Tesnière trouve les lettres envoyées depuis les tranchées par son arrière-grand-père, Paul, médecin pendant la Grande Guerre. Elle en connaissait l’existence mais ne s’y était jamais vraiment intéressée. L’approche du centenaire de la 1er Guerre mondiale lui a donné au départ l’idée de rassembler toutes ces lettres dans un livre qui serait préfacé par un historien. Mais en fouillant ces archives familiales, Lucie s’aperçoit que son arrière-grand-père, Paul Cabouat, a aussi été médecin dans la Résistance, responsable des services illégaux de santé dans le département du Gard. Intriguée, elle décide de prendre un congé sabbatique de sept mois et se lance dans une enquête sur son aïeul, qu’elle n’a jamais connu. « L’étincelle dont [elle] avait besoin (…) pour écouter [sa] voix et suivre ce qui [lui] donnait de l’énergie ». Elle « avai[t] envie de mener [sa] vie et pas la vie d’une autre ». Ainsi naît, Madame, vous allez m’émouvoir, Une famille française à travers deux guerres mondiales
Lucie Tesnière a accompli ce que beaucoup d’entre-nous aimerions pouvoir faire. Une généalogie historique familiale. Elle termine ainsi son ouvrage :
« Ici s’achève notre histoire.
Ici commence la vôtre.
Je vous la souhaite aussi belle. »
C’est bien le paradoxe de ce livre qui est une enquête familiale et donc personnelle. Les témoignages et archives recueillis sont intéressants mais je suis restée extérieure à cette histoire, parce que justement, je ne fais pas partie de cette famille. Je n’ai rien appris de nouveau de ce que je sais déjà sur ces deux périodes de guerre mondiale.
J’ai donc un avis paradoxal sur ce livre. L’auteure a fait un sacré beau travail pour reconstituer la vie de ses aïeux (finalement il s’agit davantage de la vie des frères et sœurs de Paul, que de Paul lui-même) ; elle a une chance infinie d’avoir tant de photos et d’écrits, d’avoir un préfet, un médecin, un diplomate parmi eux, ce qui a rendu possible une reconstitution de leur vie pendant les périodes concernées. Ce n’est pas donné à tout le monde. C’est intéressant aussi du point de vue des aspects négatifs que l’on peut trouver dans une enquête familiale (Jean, préfet, a-t-il contribué à la première déportation des juifs en France?) et comment on gère ce qui est tabou ou tout simplement ignoré. Quelles conséquences cela peut-il avoir sur les descendants encore en vie et sur soi-même ?
Cependant, ce livre est finalement une enquête qui relève du domaine privé, du cercle familial. Je suis restée de marbre devant les photos très nombreuses qui parsèment le livre, parce que je ne connais pas ces gens. Les mots de Lucie Tesnière n’ont pas eu sur moi « la puissance émotionnelle rare » vantée par la quatrième de couverture. Il manque une dimension universelle à ce livre. Un point de vue objectif d’historien. On a tous, en général, des histoires à raconter sur nos aïeux pendant les deux guerres mondiales, des choses que l’on sait, sans avoir d’écrits. Mais peut-on en faire un livre qui touche le public ? Je suis petite-fille de résistants, moi aussi. Je pense que cela n’intéresse que ma famille mais pas le grand public. Je ne pourrai jamais mener d’enquête car je n’ai aucun carnet, écrits, ni même photos de cette période ; mes grands-parents n’ont croisé aucune personnalité connue, ils ne sont pas dans les archives publiques de la bibliothèque historique de la défense, ils n’ont jamais rédigé de décrets, ils n’ont jamais voulu écrire quoi que ce soit sur cette période. On a tous des « histoires de la guerre ». Mais elles sont toutes différentes. Madame, vous allez m’émouvoir aurait dû être sous-titré « Ma famille française à travers deux guerres mondiales » . Je ne comprends d’ailleurs pas le titre choisi par l’éditeur, qui n’a pas grand chose à voir avec le contenu du livre, si ce n’est ces mots prononcés par une personne à qui Lucie Tesnière a téléphoné, qui connaissait l’un de ses aïeux.
Mener une enquête sur sa famille est louable, c’est une démarche émouvante pour l’intéressée. C’est finalement savoir d’où l’on vient. Mais c’est de la généalogique « historique » qui n’est pas forcément susceptible d’émouvoir la sphère publique.
Je suis passée à côté de l’intérêt de ce livre.
Comme toi, je me demande l’intérêt de publier de tel livre trop personnel.
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Oui. Il s’agit d’un « devoir de mémoire familial », si je puis dire. Et comme je le dis, ce n’est pas non plus tout le monde qui peut avoir des traces de ce qu’ont fait leurs aïeux.
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