Pirate N° 7 – Elise Arfi

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Elise Arfi est avocate commise d’office, un métier qu’elle a choisi, plutôt que de passer l’agrégation et devenir enseignante, ou encore médecin. Elle a choisi de défendre les plus démunis. Pourtant, c’est une affaire hors norme qui lui tombe dessus, une affaire qui va bouleverser tant sa vie que l’idée qu’elle se faisait de la justice en France. En 2011, un couple de Français partis en catamaran faire le tour du monde, est attaqué par des pirates somaliens dans le golfe d’Aden. Lourdement armés de kalachnikovs et d’un lance-roquette, 9 individus pillent le bateau et une fusillade éclate à bord où il semble que le plaisancier ait essayé d’utiliser un pistolet d’alarme pour se défendre. L’homme est tué, la femme est prise en otage avant que la marne espagnole n’intervienne. Le skiff se renverse, le corps des chefs de l’expédition ne sont pas retrouvés, certains autres pirates sont repêchés et faits prisonniers. L’otage est lourdement traumatisée mais physiquement indemne. Les sept Somaliens sont transférés en France pour 96 heures de garde à vue. « Une loi édictée unilatéralement par la France permet et autorise ces arrestations et ces transferts sur son sol, sans recourir à une procédure d’extradition. » C’est ainsi qu’Elise Arfi se voit en charge du dossier du 7e pirate, déshumanisé sous le nom de « X SD », 3 lettre qui seront sa dénomination dans la procédure pénale. Il s’appelle Fahran Abchir Mohamoud. Il a 16 ans. Il va vivre une descente aux Enfers, non pas en Somalie, mais en France, pays qui se veut celui des droits de l’Homme. Lorsque son calvaire s’achève, il a 20 ans. Pour son avocate, c’est aussi « quatre années et 7 mois de douleur ».

Un récit saisissant et sidérant qui démontre que sur le territoire français, la vie d’un Somalien ne vaut rien, le traitement qu’on lui réserve en tant qu’être humain est au-delà du soutenable. J’ai été effarée par ce que j’ai lu. Elise Arfi ne se dédouane jamais de la gravité des faits qui sont reprochés à Fahran. Mais elle rappelle aussi le contexte somalien et le désespoir de sa population : « En 2011n la sécheresse s’abat sur la corne de l’Afrique, provoquant une famine qui tuera (…) 260 000 personnes(…) ». « (…) la misère du peuple somalien est telle après des années de guerre civile, qu’il est incroyablement aisé d’enrôler de pauvres diables (…) en leur promettant la moindre part d’un butin aléatoire ».

Une histoire effroyable que l’on penserait tirer d’une fiction, mais le réel rattrape ici l’imaginaire potentiel de tout écrivain en mal de roman noir ! On suit Fahran, transbahuté de la maison d’arrêt de Fresnes, à la prison de la Santé, qui est comme un cinq étoile du milieu carcéral, doté d’une » unité de soin psychiatrique, encadrée par des médecins engagés ». Ce ne sera pas de trop pour Farhan qui succombe doucement à la folie et la dépression, dans ce pays qu’il ne connaît pas, dont il ne parle pas la langue, et pour qui ne lui rend que coups et blessures, avec la belle hypocrisie de vouloir le soigner : un poumon en moins, un bras cassé. Elise Arfi ne cache pas que Farhan au fil du temps n’est pas un « client » facile : paranoïaque, obsessionnel, colérique, état psychique qui sont les conséquences de la violence qu’il subit en milieu carcéral.

Quant à l’auteure, elle dévoile ses moments de fatigue, de découragement, son impression d’être comme une OVNI dans ses plaidoiries, l’avocate qu’on montre du doigt. La fin laisse la porte ouverte à l’espoir.

La plume d’Elise Arfi est vive et efficace : on dévore ce récit de moins de deux cents pages, on oublie tout ce qui nous entoure. Puis on pose le livre mais on se surprend à scruter les rues de Paris, pour tenter de deviner si l’un des piétons que l’on croise ne pourrait pas être son « pirate N°7 ».

Un témoignage instructif et nécessaire qui donne une voix à ceux qui ne peuvent pas s’exprimer. Un livre doté d’un bel humanisme.

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A propos Maeve

Blogueuse littéraire depuis 2009, lectrice compulsive depuis l'âge de 6 ans ^_^ .
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2 commentaires pour Pirate N° 7 – Elise Arfi

  1. alexmotamots dit :

    Un roman presque salutaire, qui donne à voir les invisibles.

    Aimé par 1 personne

    • Maeve dit :

      Et qui explique aussi les circonstances bien particulières qui ont amené un gamin de 16 ans à s’engager comme pirate : l’extrême misère en Somalie, où des centaines d’enfants meurent de faim.

      J’aime

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