Girl – Edna O’Brien

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Traduit par Aude de Saint Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat

Après nous avoir menés dans l’ex-Yougoslavie avec Les petites chaises rouges, Edna O’Brien nous plonge dans l’Afrique des djihadistes. Ou plutôt de leurs victimes féminines. La quatrième de couverture signale que ce roman s’inspire « de l’histoire des lycéennes enlevées par boko haram en 2014 » au Nigeria. Pourtant, jamais l’auteure ne cite un pays ou le nom d’une secte djihadiste en particulier. C’est seulement dans les remerciements à la fin de l’ouvrage qu’elle explique qu’elle s’est rendue au Nigeria pour aller au plus près du problème, rencontrer des ONG et des victimes, mener son enquête.

Edna O’Brien à travers la voix de Maryam, donne la parole aux femmes victimes des exactions commises par les terroristes djihadistes, cette plaie du XXIe siècle, qu’ils s’appellent daesch, boko haram ou al quaïda (je ne mets volontairement aucune majuscule aux noms de leurs sectes). J’aurais presque envie de dire que si Edna O’Brien ne les cite par aucun nom, si ce n’est « djihadistes », c’est aussi pour ne pas leur faire cet honneur. D’ailleurs, ils n’ont pas de visages, pas de nom, rien. Tout se recentre ailleurs.

Le roman se focalise sur une jeune fille courage, enlevée par ces terroristes alors qu’elle était à l’école, et tout ce que vous imaginez qu’ils peuvent faire aux femmes, mais sans s’attarder non plus pendant 250 pages sur des détails sordides. L’essentiel est dit, en quelques chapitres, d’une plume acéré de mots qui sont comme des balles de plomb. Histoire de faire comprendre le calvaire.

C’est que l’espoir qui est le filigrane du roman. Maryam réussit à se sauver du camp de rétention, avec son bébé lors d’une attaque. « Un chuintement, un sifflement, puis un grondement comme si la terre se retournait. Notre armée était venue nous sauver. (…. ) J’ai saisi mon enfant, l’ai mise sur mon dose et j’ai pris le pagne avec l’argent de la fuite. » Si Maryam est mariée de force dans le camp, par chance, elle est tombe sur un homme bon, lui-même victime de la secte, embrigadé parce que sa mère est sans argent. S’engager, c’était subvenir à ses besoins. « Il m’a fait cadeau d’un voile, qu’ils ont dû voler dans une boutique en ville, avant de l’incendier. Il ne sentait pas le brûlé. (…) Il hésitait, pas comme les brutes, et j’ai su qu’il me faudrait l’encourager. Il a retiré mes vêtements, puis les siens, promenant ses mains sur mon corps, comme le ferait un aveugle, et c’était sa façon à lui de me prendre pour femme. Maryam Mahmoud. (…) Au matin, il a effleuré mes lèvres, délicatement, de son index, et il m’a dit le nom de sa mère. Onome. La personne qu’il aimait le plus. Il s’était engagé pour qu’elle ne meure pas de faim. La Secte écumait toujours les villages pour recruter des jeunes hommes en âge de combattre, leur promettant de grosses sommes d’argent. »
Bien évidemment, les choses tourneront mal pour Mahamoud, qui sera l’une des victimes de la secte qui l’a embrigadé... Si Maryam n’aimera jamais d’amour cet homme, elle ne souhaitait pas sa mort. Il va lui donner de l’argent qui pourra l’aider.

Maryam se sauve donc. Si son chemin de croix va croiser des gens qui vont essayer lui porter secours, comme des femmes peules et des nomades, cependant avoir été enlevée dans par des djihadistes, c’est devenir une« femme du bush », une paria. Plus jamais rien ne sera comme avant : rejetée par ses proches, les gens de son village, tous ceux qui apprendront de quoi elle a réchappé. Ils mettront de la distance avec elle. Lui demanderont de partir. Parce que la peur des représailles est là. Fréquenter ou héberger Maryam c’est risquer sa peau.

Ce roman m’a scotchée. Je connais la plume d’Edna O’Brien et j’ai lu plusieurs de ses livres. Celui-ci est sans doute son meilleur ! J’avais peur d’une fin dans un bain de sang et autre malheur supplémentaire. L’auteure évite cet écueil. Sa jeune héroïne, vraie femme courage ne s’est pas battue pour rien. L’espoir d’un futur meilleur est là.

« On était en sécurité. On avait trouvé un nouveau foyer, au moins pour l’instant. J’étais comblée d’une extase que je n’avais encore jamais connue. Des volutes de lumière emplissaient la chambre et éclairaient l’univers au-dehors. Tout était calme. En cet instant d’espoir et de bonheur sans mélange, il m’a semblé que ces rayons inondaient les dimensions les plus noires du pays lui-même. »

Girl est en lice pour des prix littéraires. J’espère vivement que ce roman sera récompensé et qu’il donnera l’envie aux lectueurs de l’Hexagone de lire l’oeuvre d’Edna O’Brien. Elle le mérite depuis bien longtemps et reste pourtant encore assez inconnue en France.
(Il n’y a pas que Maggie O’Farrell dans la vie ! 🙂 )

C’est ma 5e lecture pour la rentrée littéraire et ma 3e chronique irlandaise sur le sujet. 🙂

A propos Maeve

Blogueuse littéraire depuis 2009, lectrice compulsive depuis l'âge de 6 ans ^_^ .
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3 commentaires pour Girl – Edna O’Brien

  1. alexmotamots dit :

    J’avais beaucoup aimé Les petites chaises rouges (ça remonte à quelques années, il me semble ?).

    Aimé par 1 personne

  2. Ping : Girl, Edna O’Brien – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries

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