Traduit par Carine Chichereau
Une petite sortie hors de ma zone de confort avec un roman nigerian ! J’avoue que je ne connais quasiment pas la littérature africaine (hors Maghreb), hormis un peu celle d’Afrique du Sud. Dans la boîte à livres de mon lieu de travail, j’ai eu la chance de trouver le désormais célèbre Americanah de la non moins célèbre Chimanda Ngozi Adichie, autrice nigerianne également. Chinelo Okparanta, comme Chimanda Ngozi Adichie, vit aux Etats-Unis. Sous les branches de l’udala est son premier roman, lauréat du Lambda Literary Award for Lesbian Ficition. Tout ça pour dire, que la littérature nigerianne, féminine (et féministe) semble avoir un bel avenir.
Sous les branches de l’udala nous plonge de 1968 aux années 80 au nigeria. Ijeoma vit avec ses parents, commerçants au Biafra. La guerre civile éclate entre le Nigeria et la jeune république du Biafra. D’abord lointaine, la guerre de rapproche et fait de plus en plus de morts. C’est l’escalade de la violence. Le père d’Ijeoma y laisse sa vie. Des restrictions alimentaires sont mises en place. La jeune fille est envoyée par sa mère chez un ancien ami de son père, un professeur. Ijeoma y rencontre Amina, de l’ethnie des Haoussas, ennemie de celle des Igbos à laquelle appartient Ijeoma. Cette dernière est chrétienne, tandis qu’Amina est musulmane. « C’était la première fois que je me liais d’amitié avec une Haoussa. Jusque-là, je les avais seulement vus de loin, quand ils passaient sur la route, et au marché où ils venaient faire du commerce. C’était la première fois que j’avais un contact aussi intime avec une personne de cette ethnie.
C’était normal que le professeur et sa femme s’inquiètent. Les Haoussas massacraient les Igbos à tour de bras, alors héberger une petite Haoussa représentait un vrai danger. »
Peu importe, elles vont transgresser (et même doublement) les règles morales fixées par la société, sans même le savoir. Surprise en « mauvaise posture » par le professeur, Ijeoma est renvoyée chez elle. Sa mère va lui faire étudier la Bible de A à Z pour tenter de la remettre dans ce qu’elle estime être le droit chemin. Le temps passe, Ijeoma ne peut oublier Amina. Pourtant, un jour, elle lui annonce qu’elle va se marier. Evidemment Ijeoma en est mortifiée. Elle se réfugie dans le travail à la boutique de sa mère. Elle y rencontre Ndidi, institutrice.
Ijeoma raconte son histoire, tente d’analyser à la fois sa vie, ses sentiments et la société nigerianne verouillée par le patriarcat et le poids de la religion qui pèse comme une enclume sur la tête des gens. L’endoctrinement religieux régente la vie de tous, et avec son pendant : l’intolérance.
Ijeoma finit par suivre le chemin que sa mère a tracé pour elle : se marier, et avec un homme, pour rentrer dans le rang, pour ne pas être montrer du doigt, pour sauver sa vie, en pensant se libérer. Car par de pitié pour les gays et lesbiennes au Nigeria. Ijeoma va pourtant déouvrir qu’elle n’est pas seule. Ndidi va l’entraîner dans le monde de la nuit, dans une église où il se passe des choses très différentes du jour, faute de mieux. Gare à vous si vous êtes découverte ! Il y a une scène terrible qui vous glace de la tête au pied ! Etre brûlée vive ou lapidée, qu’est-ce que vous préférez ? C’est juste inommable… On a beau le savoir, lire certaines scènes du roman vous font dresser les cheveux sur la tête et surtout hurler de révolte devant tant d’intolérance.
Pourtant, les gens ne sont pas foncièrement mauvais. La mère d’Ijeoma fait ce qu’elle pense être le mieux pour sa fille en la poussant dans les bras de Chibundu, un ami d’enfance transi d’amour. Chibundu est un romantique, il met les petits plats dans les grands, il est attendrissant. Il n’est pas méchant homme. Seulement, la religion et les superstitions dictent les conduites à tenir. Il est victime de son éducation qui valorise le sexe dit « fort ». Etre une femme c’est être une rien, surtout si on n’a pas d’enfant. La mère d’Ijeoma répète à sa fille qu’« une femme sans enfant n’est pas vraiment une femme ». (sic !) Ben alors, c’est quoi ?!
Bref, si vous n’entez pas dans les cases, vous êtes bannis. Si vous avez fait une fausse couche, rendez-vous sous les udalas : « D’après la légende, les enfants devenus esprits, las de flotter sans but entre le monde des vivants et celui des morts, aiment se rassembler au-dessus des udalas, ces arbres qui portent des pommes étoiles blanches. En échange de cet asile, ils accordent une fertilité exceptionnelle à toute femme ou fille qui passe un moment sous l’un de de ces udalas. »
Seulement, combien de temps peut-on tenir dans un simulacre ?
Sous les branches de l’udala est un roman d’apprentissage féministe, où une jeune femme arrive à briser ses chaînes, mais le prix à payer est fort.
« Il y a plusieurs années – en 2008 – un article a rapporté qu’un groupe de voyous fous de Dieu avait lapidé et battu plusieurs membres d’une église de Lagos qui affichait son soutien aux gays et aux lesbiennes : les victimes étaient défigurées, boursouflées comme des ballons d’un bleu violacée.
Maman a posé le journal en s’exclamant : « Tufiakwa ! » Dieu nous préserve ! « Même entre chrétiens, ce n’est pas possible que nous adorions le même Dieu ! » « .
Les mentalités évoluent mais le chemin est encore long puisque « le 7 janvier 2014, le président du Nigeria, Goodluck Jonathan, a signé une loi qui criminalise les relations entre personnes de même sexe, ainsi que le soutien apporté à ce genre de relations, rendant de tels actes passibles de peine de prison pouvant aller jusqu’à quantorze ans. Dans les Etat du Nord, la mort par lapidation est prévue. Ce roman est une tentative pour donner à la communauté LGBT marginalisée du Nigeria une voix plus puissante, et une place dans l’histoire de notre nation », écrit Chinelo Okparanta en note à la fin de l’ouvrage. Puisse-t-elle être lue !
Un beau roman, fin, à découvrir absolument ! Une fois en main, on a du mal à le lâcher, emporté par le souffle de l’harmattan et l’histoire d’Ijeoma.
Je vais me pencher d’un peu plus près sur cette littérature féminine nigeriane !
Une littérature féministe, même, on dirait.
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Oui, exactement !
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