
Bill Furlong vit à New Ross depuis toujours. Nous sommes en 1985 en Irlande où les fermetures d’usines et autres licenciements vont bon train. Cependant Bill a beaucoup de chance : il vend des produits de chauffage, du charbon au bois, en passant par la tourbe et les affaires fonctionnent bien ! Bill a la quarantaine, il est marié et heureux avec Eileen dont il a 5 filles. Bill a de la chance, c’est un peu comme s’il avait une bonne étoile qui le suit depuis sa naissance : son sort aurait pu être tout autre. Sa mère, enceinte à 16 ans, a été bannie par ses parents mais accueillie par son employeur, une veuve protestante propriétaire d’une « big house ». Sans enfant, elle s’occupera de Bill comme s’il était son fils. Une âme généreuse qui évitera donc le pire à la mère et au fils dans cette Irlande étriquée des années 40. Mais 40 ans plus tard, rien n’a changé…
Claire Keegan s’attache à décrire soigneusement un environnement d’habitudes. Les gens vaquent à leurs occupations sans réfléchir, de manière mécanique. Il en est de même dans le foyer de Bill : nous sommes en pleine période de Noël, ça ronronne. Eileen prépare le traditionnel gâteau irlandais de Noël, puis demande à ses filles d’écrire leurs lettres au Père Noël… Le jour d’après elle s’occupera des tartelettes. Bill est très occupé à l’extérieur, le froid arrive et les commandes vont bon train. Un jour où il livre au couvent, il surprend des jeunes filles à genou en train de cirer le sol. Elles semblent en piteux état, des gueuses en uniforme d’un autre temps. Troublé par cette scène, Bill se remémore son passé chez Mrs Wilson. Noël le renvoie aussi au Noël où il avait reçu en cadeau Un chant de Noël de Dickens…
Bill essaie de parler de cette scène à sa femme, assez peu encline à l’écouter sur ce genre de petites choses… Comme pour la pauvreté galopante que Bill observe autour de lui (les clients lui demandent des crédits ou lui font des cadeaux en nature faute de pouvoir payer), la réponse est qu’il y a des gens qui ont le chic pour se mettre tout seul dans des situations difficiles.
Bill continue son train-train, hanté par la scène qu’il a vu, jusqu’au jour où un deuxième événement va déclencher quelque chose en lui, le grain de sable bénéfique qui va perturber la routine et le pousser à agir en sachant pertinemment que dorénavant rien ne sera comme avant : il risque de perdre des clients, de se faire des ennemis, de se mettre le clergé sur le dos, de se faire jeter par sa femme, mais il s’en fout : il le fait. Et ramène le soir de Noël un cadeau pas comme les autres. L’imagination vous appartient puisque le récit se termine là-dessus. (J’extrapole un peu sur ce qui risque de se passer, d’ailleurs…).
Les personnages de Claire Keegan ne sont pas des gens méchants ou mal intentionnés. Ce sont juste des Irlandais ordinaires coincés dans les carcans qu’on leur a inculqués, d’une société corsetée par l’Eglise et l’emprise qu’elle s’est permise sur la vie privée des gens. A tel point qu’ils sont gênés à l’évocation de certains sujets jugés tabous. Par la peur aussi. Bill finit par mettre sa morale catholique en phase avec ses actions pour en finir avec l’hypocrisie, se sentir en phase avec sa conscience profonde. Il a eu la chance de ne pas être un enfant bâtard maltraité ou vendu à l’étranger à des personnes fortunées en mal d’enfant. L’autrice montre comment finalement cela va l’aider à franchir le pas et à écouter ce que lui dicte son coeur en dépit de ce que la société pourra en penser.
« Était-ce possible de continuer durant toutes les années, les décennies, durant une vie entière, sans avoir une seule fois le courage de s’opposer aux usages établis et pourtant se qualifier de chrétien, et se regarder en face dans le miroir ?«
« Cette histoire est dédiée aux femmes et aux enfants qui ont subi la claustration dans les blanchisseries de Magdalen en Irlande ». Certains vont dire que c’est du déjà-vu, un topos de la littérature irlandaise contemporaine. Je ne suis absolument pas d’accord avec cette vision des choses. Certes d’autres écrivains ou cinéastes irlandais ont déjà évoqué le sujet. Néanmoins, la plupart des archives sur le sujet ont disparu. Donc il n’y aura jamais trop d’écrits. Le héros ordinaire de cette histoire est un homme, ce qui me plaît aussi. Claire Keegan rappelle en note qu' »on ignore combien de filles et de femmes ont été cachées, incarcérées et forcées de travailler dans ces établissements : 10 000 est l’estimation la plus basse. (…) On ne sait pas combien de milliers de nourrissons sont morts dans les foyers pour mères et bébés (…) Il a fallu attendre 2013 pour que le gouvernement irlandais, en la personne d’Enda Kenny, présente des excuses. » Ah oui, au fait, il y a un clin d’oeil à Enda dans l’histoire qui m’a fait sourire ! 😁
La force de ce récit est d’aborder les choses avec du recul, de manière dé-passionnée, tout en dénonçant les faits mais avec subtilité. Il y a aussi un clin d’oeil à Dickens dans cette histoire.
Bref, j’ai adoré et je vous le recommande.
Une autrice que j’apprécie et que je n’ai pas lu depuis longtemps. Ton coup de coeur m’incite à lire son dernier roman.
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Je crois qu’elle n’avait pas écrit depuis 2012.
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