
Je continue ma lancée de lectures sur l’Irlande du Nord avec un livre de « journalisme narratif », selon les termes de son auteur, l’Américain Patrick Radden Keefe. Celui-ci a mis 4 ans pour écrire ce petit pavé de plus de 500 pages en édition de poche qu’est Ne dis rien.
Décembre 1972. Jean McConville est kidnappée chez elle, sous les yeux de ses 10 enfants, dans le sordide quartier de Divid, où ont été relogés les catholiques expulsés des quartiers où ils vivaient jusque-là avec une majorité protestante. Qu’est devenue Jean, jeune veuve de 38 ans ?
1er janvier 1969, la jeune Dolorous Price rejoint la manif pour les droits civiques, avec sa soeur Marian. Elle est l’une des plus jeunes manifestantes, d’une beauté remarquable, un fort caractère et une tendance marquée pour l’irrévérence et le cynisme. Ce n’est pas un personnage de roman, mais bien une personne ayant réellement existée, dont nous allons suivre la trajectoire de vie hors normes : une vie dédiée à l’IRA Provisoire, pour ne pas dire sacrifiée à la « Cause » . Dolours, qui porte bien son prénom (« Douleur ») s’engage toute jeune dans les rangs de la nouvelle Irish Republic Army (la vieille IRA dite « officielle » a du plomb dans l’aile depuis que l’Irlande du Nord a été laissée aux Britanniques ; l’IRA renaît sous une nouvelle forme à la fin des années 1960 quand les catholiques républicains réclament des droits égaux à ceux des Protestants, les activistes de cette nouvelle IRA sont surnommés les « Provos »). Dolours pose la seule bombe qui va exploser à Londres, détruisant seulement la voiture de celui qui deviendra son avocat. Inculpée avec sa soeur cadette Marian, pour terrorisme, elles sont incarcérées dans une prison en Angleterre. Elles vont entamer une grève de la faim pour réclamer leur transfert en Irlande du Nord, ce qui leur sera refusé, du moins au début. Le gouvernement britannique ayant peur du scandale et des conséquences du décès de ces femmes devenues des figures emblématiques de l’IRA, décide de les obliger à manger. Il fait procéder au gavage des détenues !!😤🤬 Les scènes sont bien restituées et difficilement supportables. Cependant, elles ne lâchent rien, finissent par être transférées à Armanagh, en Irlande du Nord. L’auteur brosse un portrait détaillé de Dolours sur près de 50 ans. Sa trajectoire de vie est incroyable. Cependant, elle souffrira tout le temps des actes commis dans sa jeunesse. Sujette à dépression et alcoolisme, renoncement et rancunes, on ne peut pas l’envier, ça c’est clair.
Grâce à Patrick Radden Keefe, nous suivons le parcours de figures emblématiques de l’IRA. Les soeurs Price à qui il consacre une grande partie car il a pu les interroger, mais aussi Bendan Hugues, Bobby Sands, et un certain Gerry Adams….
Ah Gerry ! Le genre de mec charismatique qui a le don d’arriver à faire faire le sale boulot aux autres…. Le type très fort pour le blabla, le stratège aux mains propres, et on sait jusqu’où cela a pu aller aujourd’hui. Il fut l’un des instigateurs des Accords de Paix du Vendredi Saint de 1998, puis vice-premier ministre d’Irlande du Nord aux côtés de son pire ennemi du passé, l’effroyable Ian Paisley !! Il a créé le Sinn Féin pour accéder au pouvoir mais a nié tout le reste : son appartenance à l’IRA alors que c’est lui qui donnait les ordres), le rapport entre l’IRA et le Sinn Féin, qui pourtant ne dupe personne. Les disparitions de centaines de personnes, dont celle de Jean McConville, soupçonnée d’être une informatrice des Brits…
Le livre révèle en partie la clé de l’énigme McConville. C’est pas franchement glorieux. A un moment donné, je me suis demandée comment Patrick Radden Keefe pouvait encore être en vie avec toutes les révélations, après 4 ans d’enquête, qu’il fait dans son livre. Il vit aux États-unis, il est américain, mais, bon… Je me suis également posé des questions sur la mort de Dolours Price en 2013.
Ne dis rien soulève beaucoup de questions, suggère que la réalité n’est pas ce qui s’affiche au niveau du gouvernement nord-irlandais, que Belfast n’est pas une ville paisible, et qu’aujourd’hui elle est même encore plus ségrégationniste que par le passé. Il y a encore plus de murs séparant les deux communautés, il n’y a quasiment toujours pas d’écoles mixtes. On retrouve, grâce à certaines indications divulguées, des cadavres enterrés il y a 50, 40, 30, ou 10 ans. Même sur une plage qui a l’air la plus tranquille du monde. On sait aujourd’hui ce qu’est devenue Jean McConville.
Gerry Adams en prend pour son grade. L’IRA a déposé les armes, officiellement. Mais… Mais croyez-vous que l’IRA a disparu ? (Je ne parle pas des mafiosi de l’IRA dite « véritable » dont on voyait des tags au début des années 2000). Je parle des Provos. Je ne vais même pas parler du Brexit…🤭 Pour ma part, je suis quasi-certaine qu’elle existe toujours. Pas forcément les mêmes personnes que celles des années 70 toujours en vie, (Gerry Adams a 75 ans ), mais… rien n’est si limpide en Irlande du Nord…
« A l’automne 2015, Teresa Villiers, la secrétaire d’Etat pour l’Irlande du Nord, publia un rapport sur les organisations paramilitaires établi par la police d’Irlande du Nord et les services secrets britanniques. « Tous les principaux groupes paramilitaires en opération à l’époque des Troubles existent encore », annonçait le document, précisant que cela incluait l’IRA Provisoire. Les Provos demeuraient actifs, bien que dans une capacité très réduite « , et disposaient encore d’un arsenal. Big Storey avait raison : ils étaient toujours là. Gerry Adams qualifia le rapport d' »absurde ».
Quand on sait que Gerry Adams a tout d’un mythomane, quel crédit peut-on accorder à sa parole ?
Un livre qui se lit un peu comme un thriller. On apprend pas mal de choses. J’aurais voulu en savoir davantage sur les groupes paramilitaires du camp adverse. En tout cas, l’auteur ne fait aucun cadeau aux gouvernements britanniques successifs et encore moins au leader du Sinn Féin, qui a cédé aujourd’hui sa place à une femme, mais cela ne veut pas dire grand chose quand on connaît un peu olus le personnage après cette lecture accaparante!
Quelques redites alourdissent un peu la lecture et donnent des longueurs inutiles. Cependant, c’est un livre que j’ai beaucoup aimé.
Que de guerres assoupies en Europe, finalement. Tout ceci n’est pas réjouissant.
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Comme tu dis.
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