Traduit par Carine Chichereau
Fran Mulvey et Robbie Goulding se rencontrent dans une université de la banlieue de Londres dans les années 80. Tous les deux sont irlandais. Fran est un orphelin viêtnamien, il a connu la maltraitance. Fran et Robbie vivent à Luton, une ville où « quand tu branch[es] ta bouilloire, ça diminu[e] l’éclairage des lampadaires, dans la rue ». Ambiance ! Robbie, bien que né Dublin, « enfant du milieu d’une fratrie de trois » considère que sa ville d’origine est Luton, depuis que ses parents en 1972, sont « partis vivre en Angleterre à la suite d’une tragédie familiale ». Tout de suite, Robbie est fasciné par l’énergumène excentrique qu’est Fran, avec ses fringues flashy et abracadabrantes, son maquillage, sa contestation permanente de tout, des artistes et écrivains connus et reconnus, son rejet de l’ordre établi, quel qu’il soit, sans parler de ses frasques sexuelles. Après s’être fait viré de la fac pour outrage, entraînant dans son sillage Robbie, les deux larrons décident de monter un groupe, The Ships in the Night. Ils auditionnent plusieurs musiciens amateurs et ce sont les jumeaux Trez et Sean qui les rejoignent dans le groupe. Robbie est immédiatement attirée par la belle Trez, violoniste de talent doublée d’une tête bien pleine aussi.
Le livre que nous tenons entre nos mains, ce sont les mémoires écrites par Robbie en 2012, où il tente de raconter ces cinq ans qui ont fait prendre un virage inattendu à sa vie et l’ont changé à tout jamais. Ces cinq ans où il a été le guitariste des Ships, groupe amateur sorti de l’ombre comme un éclair après un acte manqué qui a failli le faire mourir, adulé du jour au lendemain, ayant connu un succès aussi inattendu que phénoménal, avant de se désintégrer comme une météorite. L’histoire d’un drame aussi.
Robbie est aujourd’hui un cinquantenaire, père de Molly, divorcé de Michelle, son ex-femme américaine, avec qui il reste malgré tout en bons termes. Il n’a jamais revu Fran depuis le drame. Un jour il reçoit un message de Trez qui lui avoue qu’elle va remonter sur scène à Londres et qu’il faut qu’il se joigne à elle. Ils se revoient à Paris. Trez use de tout son charme pour convaincre celui qui est encore, toutes ses années après son amoureux transi n’ayant jamais avoué ses sentiments (mais elle sait tout, évidemment!)… Le groupe se reforme, mais sans Fran. Mais… (je ne vais pas en dire plus parce que la fin de ce roman est aussi ce qui en fait sa force).
J’ai tenté de lire ce livre dans les transports mais j’ai vite arrêté. Ce Joseph O’Connor là a besoin de toute votre attention : le récit est dense. Robbie intègre dans ses mémoires de bribes de la dernière interview de Fran, le point de vue de sa fille Molly, des extraits de son journal intime à lui dans les années 80.Il donne aussi la parole à Trez et à Sean. Des parenthèses s’invitent aussi dans le texte pour donner des précisions.
Ce roman est aussi à lui seul un vrai jukebox : on a de la musique en fond sonore tout le temps de la lecture. Le titre original est d’ailleurs The Thrill of it All, titre à succès de Roxy Music. J’aurais bien aimé qu’il y ait un glossaire de tous les groupes et chanteurs cités parce que c’est tout simplement phénoménal ! Je n’en connais pas un tiers mais ils existent ou ont tous existé. Il y a même un clin d’oeil à Sinead O’Connor (qui est la petite soeur de Joseph).Bref, il y a le son ! 🙂
Pourtant, qu’on ne s’y trompe pas : ce n’est pas un roman sur la musique ou sur l’histoire de la musique. J’ai lu ça dans un article des Frères James des Inrockuptibles. Ce n’est pas mon ressenti et d’ailleurs, puisque j’ai assisté à la présentation du roman par Joseph O’Connor himself, je me souviens qu’il l’avait dit.
C’est un roman sur l’amitié, sur la trahison, sur la rivalité, sur l’insouciance, sur le tourbillon de la vie. Mais aussi sur les blessures d’enfance et les drames familiaux (Fran a été un enfant abandonné doublé d’un enfant maltraité, Robbie a perdu sa soeur) et la manière dont tout cela ressurgit dans la vie adulte. Et sur la création artistique.
Je me suis beaucoup attaché au personnage de Robbie, celui qui a le plus souffert du drame qui verra la disparition du groupe. J’ai eu plus de mal avec Fran que j’ai trouvé arrogant, sans gêne, dominateur, le type qui se la raconte en écrasant les autres. Je lui en ai voulu pour son égoïsme. Mais la fin est un coup de théâtre…
Trez est un femme libre qui mène sa vie comme elle l’entend, avec talent.
C’est un roman qui abolit les frontières, baladant le lecteur de l’Angleterre à l’Irlande, de l’Amérique à la France en passant par le Vietnam. Fran et Robbie sont chez eux partout. Joseph O’Connor dit qu’il se considère avant tout comme un écrivain de langue anglaise plutôt que comme un écrivain irlandais. Pourtant ce roman est terriblement et irrésistiblement irlandais par son humour :
« (…) en Angleterre, quand on a de la dignité, il faut se montrer très prudent, car les gens peuvent croire que vous vous prenez au sérieux ».
« J’ai déjà remarqué ce curieux entêtement chez beaucoup de personnes de culture irlandaise. Nous aimons conserver la preuve de ce que nous avons raté : des photos de mariage, une médaille miraculeuse, un passeport. »
« Quand une personne refuse de chanter, c’est qu’elle se dissimule. »
« Le contraire de non, ce n’est pas oui, c’est peut-être. »
« Chanter, ça change les choses. Ca permet d’effacer les frontières. »
« Je ne sais pas si vous avez jamais tenté de fumer une substance destinée à préparer des sauces et des bouillons mais je vous le déconseille. Non seulement vous en retirerez une honte éternelle, mais en plus votre urine sentira la cuisine pendant une semaine. »
« Une petite info : faut jamais emmerder un Irlandais. Il est patient, c’est un Paddy. Il va te niquer la tronche. Faut pas oublier son histoire. «
« Parce que moi, mon père, je l’aime, c’est vraiment un mec admirable. C’est le genre Irlandais hypersensible, avec une imagination débordante, qui se sent insulté de partout. »
J’ai refermé ce livre en me disant que j’allais sûrement m’ennuyer dans mes prochaines lectures. Je ne l’ai pas lu, je l’ai dégusté ! Un roman drôle et émouvant à la fois qui vous tire une petite larme à la fin. Aussi sympathique que son auteur, qui nous a offert un bel après-midi au Centre culturel irlandais de Paris, en toute simplicité !

Joseph O’Connor au Centre culturel irlandais le 19 février 2016
Super bien, ta chronique 🙂
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Merci. ☺ Dejà « aimée » 7 fois sur Facebook.
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Ca a l’air plutôt sympa comme bouquin. Si je ne me trompe pas, c’est aussi l’auteur de L’étoile des mers qui est dans ma PAL et que mon homme me conseille depuis des années. Le sujet est complètement différent ici mais ça me donne bien envie d’enfin découvrir cet auteur.
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Oui c’est bien le même auteur que « L’étoile des mers » et le sujet n’a rien à voir. Mais Joseph O’Connor a cette faculté de varier ses sujets de roman. Ce n’est pas donné à tout le monde. Il y a de la tendresse dans celui-ci (et dans beaucoup d’autres aussi d’ailleurs).
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Une lecture qui demande de la concentration mais qui devrait me plaire.
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Je ne conçois pas que Joseph O’Connor ne puisse pas plaire ^^ :p
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Je viens de voir que c’était lui qui avait écrit « Sang impur ». Je te le conseille.
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Non, pas du tout ! Je ne sais pas où tu as lu ça mais celui qui a écrit « Sang impur » est Hugo Hamilton. Et si tu veux lire la suite de « Sang impur », il faut lire « Le marin de Dublin ». J’adore Hugo Hamilton aussi et j’ai lu tous ses livres sauf un. 😉
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Je vois que tu as relevé beaucoup de citations : effectivement, j’ai trouvé plein de choses à noter, mais pour moi, le lien ne s’est pas fait, et entre les petites phrases que j’aimais bien, j’ai trouvé un certain ennui. Bref, comme je le disais chez Hélène, j’ai terminé en diagonale après 15 jours à traîner sur le livre. Je préfère ses nouvelles, je crois.
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C’est un roman de la teneur de « L’ étoile des mers » ou « Redemption Fall » : très travaillé. Je te conseille quand même « Inishowen », qui est plus « léger » dans sa construction et qui m’avait faire rire à cause du personnage masculin principal. ☺
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Oh, mais j’ai lu Inishowen et adoré ! Ainsi que L’étoile des mers, A l’irlandaise, Desperados… et des recueils de nouvelles. 😉
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