Festival Livres & Musiques de Deauville

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Ce week-end l’Irlande était à Deauville pour le festival Livres & Musiques. J’ignorais totalement l’existence de ce festival créé en 2003 et entièrement gratuit. Le principe est de mettre à l’honneur les liens qui unissent musique et littérature. Cette année ce fut donc une ballade littéraire irlandaise.

J’ai cru rêver en voyant le nom de Roddy Doyle parmi les écrivains invités ! RODDY DOYLE ! C’est tellement rare de le voir en France ! Et ce n’est pas tout. Il y aurait aussi Lisa Harding, Michèle Forbes, Conor O’Callaghan, Lisa McInerney, Dermot Bolger, Robert McLiam Wilson et Paul Lynch ! Il y a quelques semaines, j’ai dévoré Abattage de Lisa Harding ; Smile de Roddy Doyle et Rien d’autre sur terre de Conor O’Callaghan en septembre ; Edith & Oliver de Michèle Forbes en janvier ; Grace de Paul Lynch il y a quelques jours, Ensemble Séparés de Dermot Bolger l’an dernier ; Glorieuses Hérésies de Lisa McInerney – dont le 2e roman, Miracles du sang, est en ordre rangé sur mes étagères et ne va pas tarder à me sauter dessus si je ne lis pas !). Dès que j’ai su, j’ai réservé une place dans le premier train en partance de Paris Saint-Lazare pour le samedi 4 mai.

A 10 heures, je déambulais donc dans les rues de Deauville endormie, à la recherche de la Villa du Cercle où se déroulait une bonne partie du festival.

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La Villa du Cercle, coeur du festival. Même le parasol est à la couleur de l’Irlande, non ?

Une fois la porte passée, ce fut d’abord comme Alice au Pays des Merveilles en version fun. Une librairie purement « irlandaise » en France, je n’en ai jamais vue. Pour l’occasion, la librairie de la ville s’est transformée en librairie de littérature irlandaise.

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Je n’ai jamais vu autant de livres de l’île d’Emeraude, ou l’évoquant, réunis dans un même lieu – à part à la médiathèque du Centre culturel irlandais à Paris.

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Affection particulière pour ces 3 livres 🙂

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Texte de Robert McLiam Wilson 🙂

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Un Roddy Doyle qui est à l’origine d’une rencontre et un Dermot Bolger qui peut être un jeu de devinettes 🙂

Bon, j’avais la tête plongée dans tous ces trésors. Et puis je l’ai relevée (ma tête). Et là, j’ai pas tout de suite compris qui j’ai vu devant moi.Purée, c’était le papa de The Committments, de 3 Femmes et un fantôme, de La légende d’Henry Smart, de La femme qui se cognait dans les portes. Il y avait un truc magique là-dedans, je suis sûre ! Pourtant je n’avais qu’un parapluie trempé laissé à l’entrée, qui n’a aucun pouvoir, si ce n’est celui de ressembler à une asperge quand on le ferme. 🙂 . Et puis, Dermot Bolger. Et tous les autres, au fur et à mesure.

La première table ronde ronde avait pour thème « Editer : une passion exigeante », avec Joëlle Losfeld et Lisa Harding (animée par Héralde Feist et traduit par Chloé Billon).

Le roman de Lisa Harding parle du trafic sexuel en Irlande. Lisa Harding avait quelques scrupules en tant qu’écrivain à écrire sur ce sujet. Elle a pris conseil auprès des ONG qui luttent contre ce fléau mondial (et pas spécifiquement irlandais) avant de ce décider. Elle s’est aussi servi de son expérience au sein de la campagne Stop Sex Trafficking of Children and Young People. Elle a lu pendant cette campagne des témoignages horribles, elle ignorait l’ampleur du phénomène. Peu à peu les personnages de son roman ont grandi dans son esprit jusqu’à la réveiller la nuit. Ainsi est né Abattage, qui donne la parole à des filles et femmes qui ne l’ont pas. Le roman montre la façon dont ces jeunes filles mettent en place des stratégies de survie,

comment l’amitié qui se développe entre Sammy et Nico va les aider. Elle explique aussi que la plupart des traffics sexuels sont d’origine mafieuss. Quand le client paie, en fait, non seulement il fait du mal, mais il enrichit une mafia. Lisa Harding a aussi voulu faire sentir la distance qu’il y a entre l’amour et cet acte, la façon dont les clients, des hommes de tous les âges et toutes les conditions, se déconnectent de la réalité (sans pour autant leur donner raison, évidemment !). Elle dénonce aussi la défaillance du monde adulte qui ferme les yeux.
Lisa Harding est en train d’écrire un deuxième livre. Pour elle, la littérature irlandaise c’est la réunion de l’alcool et de la mélancolie. Les Irlandais aiment la poésie.

C’est la qualité de l’écriture, les échappées lumineuses malgré la noirceur du sujet, l’absence de voyeurisme qui ont décidé Joëlle Losfeld à éditer ce roman.
Elle revient sur 30 ans d’édition, explique que sa maison d’édition évolue en même temps qu’elle. Au début, c’était des publications avec une dimension fantastique, un peu léger. Mais qu’il n’y a rien de vraiment rationnel dans ses choix. Au début, elle rêvait de reconstituer la bibliothèque de son enfance qui se caractérisait par de l’humour, du non-sens, etc., un peu comme dans Les aventures du Capitain Corcoran, d’Alfred Assolant. Elle a toujours aimé la littérature irlandaise. Au début, ce qui l’intéressait chez les écrivains irlandais, c’était l’humour et le non-sens. Puis le noir, mais drôle. Elle explique que les pays qui ont des histoires compliquées sont intéressants en littérature car il y a une dynamique liée à la difficulté de cette Histoire. Son catalogue ne contient pas que de la littérature irlandaise, mais elle occupe une grande place (ce n’est pas compliqué quand je regarde la place qu’occupent les livres des éditions Joëlle Losfeld sur mes étagères pour m’en rendre compte !).

L’après-midi, j’ai assisté à la rencontre entre Michèle Forbes (Irlande du Nord) et Lisa McInerney (originaire de Cork) sur la thématique « Sexe, drogue et Rock’n roll versus illusion et music-hall » (animée par Bernard Martin, avec Marguerite Capelle et Chloé Billon en interprètes incroyables).
[Bon, vous allez excuser mon résumé plus succin, la faute à une délicieuse marmite d’un restau de bord de plage dont j’ai oublié de noter le nom ! J’ai commencé à écrire à l’envers sur mon carnet et les gribouillis dans le noir, c’est des hiéroglyphes difficiles à décrypter quelques jours plus tard ! 🙂 ]
Michèle Forbes nous a parlé de son dernier roman, Edith & Oliver (éd. de La Table Ronde). Son roman se passe en Irlande du Nord, en partie à Belfast, au début du XXe siècle. Elle a choisi d’écrire sur un moment où le music-hall commence à décliner, sur ces arts qui déclinent puis renaissent.

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Elle a écrit ce livre en partie pour son grand-père. Le music-hall est le monde de l’illusion et de la transformation où l’on peut se permettre des choses qu’on ne pourrait pas faire dans la vie. Elle a lu LA terrible scène du roman et on voit que Michèle Forbes est aussi actrice, je me suis fait la remarque.

Lisa McInerney nous a rappelé que Cork est LA capitale de l’Irlande ! Que là-bas, l’anglais est particulier, l’accent est particulier, l’humour est particulier, bref, tout est particulier ! (Je connais quelqu’un qui va être content ! 🙂 ). Lisa était (est peut-être toujours?) blogueuse. Elle a voulu écrire un triptyque. Son premier roman, Hérésies glorieuses, met en scène 5 personnages ; le deuxième, Miracle du sang, est centré sur l’un des personnages du roman précédent, celui de Ryan. Le troisième élargira de nouveau la focale.

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Lisa McInerney nous lit un passage de son dernier roman

Ryan est un personnage complexe, aux multiples facettes. Sa mère est napolitaine et lui a appris le dialecte. Qui dit Naples, dit mafia. Vous voyez, alors pourquoi il y a une histoire de deal dans sa vie (enfin, ça c’est moi qui me suit fait la réflexion). C’est un jeune homme très mélancolique, mais parce qu’il a 20 ans.
Michèle Forbes explique que s’il y a quelque chose qui unit l’Irlande, c’est bien l’humour noir. Elle a voulu situer son premier roman, Phalène Fantôme, pendant la période des Troubles, car il y a encore beaucoup de choses à dire sur cette époque, beaucoup de choses qui sont tues.
Il est délicat de faire un tableau de la littérature dans son ensemble, d’autant qu’il y a une « nouvelle vague » de jeunes auteurs. D’ailleurs, une anthologie sur la littérature irlandaise va bientôt être publiée, comprenant des écrivains issus de l’immigration. Ce qui est tout de même bien normal, car l’Irlande n’est plus un pays fermé sur lui-même, le Tigre celtique en a fait une terre d’immigration.

La troisième table ronde a été consacrée aux « subtiles angoisses » . Avec Roddy Doyle et Conor O’Callaghan (animée par Héralde Feist ; interprétariat : Marguerite Capelle et Chloé Billon)

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Roddy Doyle et Conor O’Callaghan

On a posé la question à Roddy Doyle : « Comment les romans diffusent l’angoisse ? » Roddy Doyle a évoqué Smile, son dernier roman où il montre comme un enfant est devenu l’homme qu’il est en étant passé par l’école des Frères Chrétiens. Réussir à le raconter de manière originale était son angoisse ! Conor O’Callaghan explique qu’il a aussi subi une éducation chez les catholiques (il est originaire de Newry, en Irlande du Nord) et que ce fut un traumatisme. Il y a un lien de compagnionage qui se crée entre les élèves pour survivre. Une stratégie du refus. A son époque, contrairement à celle de Roddy Doyle, les châtiments corporels ont été interdits. L’angoisse était de savoir comment les hommes d’église allaient nous punir sans les châtiments corporels. C’était aussi l’angoisse qu’il lisait dans les yeux des prêtres. (j’espère que j’ai bien compris !) Dans son roman, Rien d’autre sur terre, il y a des disparitions inexplicables et inexpliquées. En Irlande, ça n’a pas trop plu au lectorat que la fin soit ouverte, laissant place à l’imagination du lecteur, contrairement à la France, d’après ce qu’il a lu. L’angoisse, c’est la folie d’un système éducatif très violent. Roddy Doyle a eu la volonté d’induire le lecteur en erreur dans Smile, qui a une part autobiographique (même s’il n’a subi aucun attouchement). Mais son idée de roman pour dénoncer ce système est parti de ce qui lui est arrivé quand il avait 13 ans. Le souvenir de cet instant a été comme une caméra braquée. Un souvenir qui s’est modifié au fil du temps.
Conor O’Callaghan a choisi comme personnage principal un prêtre, qui se dit innocent, mais au fur et à mesure de la lecture, on n’en est plus sûr.

En Irlande, les prêtres sont aussi devenus des coupables par défaut aujourd’hui. C’est aussi ce qu’il a voulu montrer. Il connaît des religieux qui sont aussi des gens très bien.
Conor O’Callaghan explique qu’on devient écrivain parce qu’on manque d’éloquence et non l’inverse (il est poète, aussi).

Ensuite, il a fallu reprendre le train dans l’autre sens, après cette excellente journée. Un vraiment chouette festival ! Juste le regret de ne pas pouvoir assister à l’entretien avec Dermot Bolger à 18h, c’était trop tard. Le dimanche après-midi, les chanceux ont pu rencontrer Paul Lynch et Robert McLiam Wilson qui sont pour moi les plus parisiens des Irlandais (oui, oui, même Paul Lynch que j’ai dû voir au moins 3 fois en deux ans).

En plus des tables rondes, il y avait une exposition sur l’Irlande des poètes20190504_145815

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Les locaux étaient magnifiques. Bref, ça avait vraiment tout pour plaire !

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Les étudiants en lettres de l’université de Caen ont réalisé une petite gazette dédiée à l’Irlande.

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On n’a pas pu assister aux concerts et à toute la partie jeunesse du festival. Mais l’ambiance était très cordiale, les lieux propices aux échanges. Un événement littéraire à taille humaine. J’ai pu bafouiller 3 mots à Roddy Doyle. Je remercie Marie, la meilleure traductrice littéraire spécialiste de l’Irlande, dont je partage cette passion commune et dont Roddy Doyle est à l’origine de notre rencontre, il y a quelques années. Comme quoi, le monde est petit !
Cette manifestation a été conçue et organisée par la médiathèque de Deauville. Sylvie Ballul en est la conseillère littéraire pour l’édition 2019.

Les chroniques sur Smile, Hérésies Glorieuses, Rien d’autre sur terre, Edith & Oliver, Abattage, Phalène fantôme, Ensemble séparés et Grace sont sur le blog. Bien avant que je sache qu’un festival réunissant tous ces romans était organisé.

Le prochain rendez-vous irlandais dans mon agenda sera le 14 juin à 19h30 au Centre culturel irlandais, pour écouter Donal Ryan. Looking forward !

A propos Maeve

Blogueuse littéraire depuis 2009, lectrice compulsive depuis l'âge de 6 ans ^_^ .
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2 commentaires pour Festival Livres & Musiques de Deauville

  1. lewerentz dit :

    Quel programme alléchant ! Et quelle chance tu as !

    Aimé par 1 personne

    • Maeve dit :

      Je ne sais pas si j’ai de la chance, je dirai que j’ai fait l’effort de me déplacer jusqu’à Deauville. Je me suis levée tôt etc. mais quelle récompense avec la belle journée que j’ai passé ! Mémorable.

      J’aime

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