Traduit par Bernard Hoepffner avec la collaboration de Catherine Goffaux
4e de couverture : « Irlande, 1915. La famille Goold Verschoyle vit au rythme de l’aristocratie protestante irlandaise : le manoir familial qu’elle possède dans le comté de Donegal est le théâtre de jours heureux et paisibles. Mais l’Europe gronde et ne tardera pas à disperser les uns et les autres sur les routes du chaos. Montée des conflits sociaux et guerre fratricide en Irlande pour certains, idéologie communiste ou Espagne franquiste pour d’autres : tous devront affronter l’enfer de ce siècle dans l’espoir de retrouver le paradis perdu de leur enfance. En s’inspirant d’une histoire réelle, Dermot Bolger dresse le portrait d’hommes et de femmes unis par une mémoire commune : les souvenirs d’une époque disparue. Avec la virtuosité d’un grand conteur, il nous livre le récit d’une famille prise dans la tourmente de l’Histoire. »
Un roman envoûtant, un roman fascinant : ce sont les premiers mots qui me sont venus après l’avoir refermé. J’ai découvert Dermot Bolger, écrivain irlandais, par ce gros pavé de plus de 650 pages écrit serré. Quel régal !
Eva, Brendan, Maud, Thomas et Art sont les cinq enfants de la famille Goold Verschoyle qui vit à Manor House, grande propriété ancestrale. Les Goold Verschoyle sont protestants et cette maison représente la fortune amassée par leurs aïeux, qui ont spolié les terres aux Irlandais de « souche », les catholiques. Seulement, cette famille, à commencer par « Père » et « Mère » ne sont pas comme tous les autres protestants d’Irlande : ils ont un complexe par rapport au passé. Ils cherchent donc à réhabiliter leur nom par la générosité et l’ouverture d’esprit. Tout de suite, on les aime, mais on les trouve aussi un peu naïfs…
Leurs meilleurs amis s’appellent les Ffrench (avec 2 F) et ils sont communistes. Mr French décide un jour d’aller faire un séjour en Union soviétique, vivre dans un kolkhose. Seulement voilà, il est perçu là-bas comme un capitaliste pété de fric (ce qu’il est, pour le fric). Victime de préjugés de la part des communistes russes, la vie qui lui sera faite sera tout sauf idyllique. Il rentrera dans le Donegal sans toutefois révéler la vérité. Ce qui est bien dommage, car son idéal communiste va déteindre sur l’aîné des garçons Goold Verschoyle, Art, mais aussi sur le petit dernier de la famille, Brendan, qui n’a d’yeux que pour son frère. Eva, quant à elle, paraît bien plus conventionnelle, même si elle est artiste dans l’âme et surtout grande rêveuse. Quant à Maud et Thomas, si le lecteur sait qu’ils existent, ils sont quasiment absents du roman, retenus en Afrique du Sud à cause de leur nom.
Les Goold Verschoyle ont tout pour être heureux : leur magnifique demeure mais surtout un environnement digne du Paradis avec la jetée sur la mer qui se trouve à Dunkineely, où il fait bon plonger dans les vagues. La forêt, qui entoure la propriété, qui est le meilleur des refuges pour artiste en herbe. Seulement, cette famille a un souci d’identité : en Irlande, parce que protestant et donc non irlandais de « souche » de par l’histoire du pays, ils sont considérés comme des étrangers et surtout des intrus par les catholiques qui sont pauvres. C’est donc, en quelque sorte pour se faire une place respectable dans la société irlandaise que Art et Brendan vont se convertir au communisme, suite aux éloges faites par Mr Ffrench. La redistribution des richesses et la solidarité envers les plus pauvres sera leur cheval de bataille. Un programme ambitieux et utopique ! Mais nos héros sont des romantiques jusqu’au bout des ongles et c’est ce qui va les détruire, surtout lorsqu’en plus l’Histoire s’en mêle pour les transformer en pantins…
Le lecteur suit la vie de cette famille de 1915 à 1946 et va traverser avec eux l’Enfer de l’Histoire, en espérant retrouver le Paradis du début du livre !
Les personnages sont à la fois attachants et agaçants, surtout Art ! Il veut tellement arriver à son idéal sociétal qu’il oublie de penser par lui-même, bien trop endoctriné par le stalinisme qu’il a appris par son séjour en Union soviétique. On a même envie de lui coller des claques, parce que nous, lecteur, nous savons ce qui est arrivé à son petit frère Brendan (je ne peux le révéler sous peine de « spoiler » mais c’est vraiment terrible !). Il va se retrouver pieds et poings liés.
J’ai beaucoup plus apprécié le personnage d’Eva : aussi romantique que ses frères, mais dans un autre genre: c’est l’éternelle jeune fille, qui, même mariée et mère de famille, se retourne sans arrêt sur son enfance et son premier amour qu’elle a laissé filer… Mariée à Freddie Fitzerald (nom d’origine anglo-normande), un protestant caricatural, elle parviendra tout de même à se concocter un petit paradis, fragile comme une bulle de savon.
Ensuite, Eva est celle qui délivre les fantômes. Parce que oui, ce roman a un côté gothique ! Et ça ce fut une vraie bonne grosse surprise littéraire ! Les grandes demeures de Manor House et Glanmire House se transforment en ruines, au fur et à mesure que l’on avance dans l’intrigue. Mais surtout, l’ancienne cave à vins transformé en chambre de Manor House est habité par un fantôme qui demande qu’on le délivre ! Dermot Bolger m’a soufflé par cette touche d’originalité !
Reste un style magistral, à la fois simple et poétique, qui vous fait voyager loin ! On ne s’ennuie pas un seul instant, les rebondissements vont bon train. Dermot Bolger règle son compte à toutes les doctrines et comportements extrêmes, que ce soient ceux de l’IRA, des fascistes ou des soviets – même si je l’ai trouvé dur avec l’IRA !!
Dermot Bolger a rejoint mon panthéon des meilleurs écrivains irlandais contemporains, avec Joseph O’Connor, Sebastian Barry, Nuala O’Faolain et Roddy Doyle !
Ce roman est tiré d’une histoire vraie…
Ta dernière phrase a fini de me convaincre : je le note.
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