Retour à Killybegs

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4e de couverture : « Maintenant que tout est découvert, ils vont parler à ma place. L’IRA, les Britanniques, ma famille, mes proches, des journalistes que je n’ai même jamais rencontrés. Certains oseront vous expliquer pourquoi et comment j’en suis venu à trahir. Des livres seront peut-être écrits sur moi, et j’enrage. N’écoutez rien de ce qu’ils prétendront. Ne vous fiez pas à mes ennemis, encore moins à mes amis. Détournez-vous de ceux qui diront m’avoir connu. Personne n’a jamais été dans mon ventre, personne. Si je parle aujourd’hui, c’est parce que je suis le seul à pouvoir dire la vérité. Parce qu’après moi, j’espère le silence.

Killybegs, le 24 décembre 2006
Tyrone Meehan »

Autant dire que je n’en suis pas sortie tout à fait indemne de ce roman. La fin de la fin (c’est-à-dire l’épilogue) m’a fait l’effet d’un coup de poing, parce que même si on pouvait se douter (un tout petit peu) de l’identité des assassins, le voir écrit et révélé, ça m’a effrayée.

Ce roman est l’histoire d’une désespérance, d’un secret, d’une solitude. Si Mon traitre adoptait le point de vue du Français trahi par son ami irlandais, ici Sorj Chalandon s’est glissé dans la peau du traitre irlandais, Tyrone Meehan.

Cet homme est né au début du siècle. Il a vu son père, un homme du Donegal,  perdre ce qui était sa guerre, celle contre les Britanniques : en 1921, l’Irlande est partagée en deux, suite à un compromis signé par Michaël Collins, membre de l’IRA. L’Irlande sombre alors dans la guerre civile, entre partisans de la partition de l’Irlande et ceux qui la refusent. L’Irlande unie, c’est fini, au grand désespoir de Patraig Mehan dont le cri de guerre restera « Eirinn go Brach ! » (« Irlande pour toujours! »).
A sa mort, chassée par la misère, la famille passe la frontière et va s’installer à Belfast, en Irlande du Nord chez un oncle. L’Irlande du Nord, territoire britannique est en guerre contre l’Allemagne nazie. L’Irlande « libre » est neutre. En Irlande du Nord, parce que l’Irlande n’est pas en guerre contre l’Allemagne, on caillasse alors les Irlandais, on peint sur leurs portes « dehors, les traitres papistes », et on brûle leurs maisons. « Chassé » de [son] village par la misère, banni de [son] quartier par l »ennemi », Tyrone, 16 ans, en vient rapidement à la conclusion « L’IRA, moi ». Son engagement est une évidence. Parce que « c’était un espoir, une promesse. C’était la chair de [son] père, sa vie entière, sa mémoire, sa légende. C’était sa douleur, sa défaite, l’armée vaincue de [son]pays ».

Alors, comment Tyrone en viendra-t-il à trahir les siens pendant plus de vingt ans? Telle est la question qu’on se pose pendant toute une partie de ce roman aux émotions fortes.  Pourquoi est-il passé à l’ennemi, à ceux qu’il détestait tant ? C’était un pari risqué de répondre à cette question quand le romancier lui-même fait partie des personnes trahies, même en passant par un personnage de fiction.
C’est pourtant un pari réussi et un tour de force. Sorj Chalandon donne à voir le cheminement de cet homme, sans le juger. Tyrone est un désespéré, celui qui porte en lui un lourd secret qu’aucun des deux camps ne connaît. Du moins le croit-il. C’est un homme seul. Un homme pris dans la spirale infernale de cette guerre civile qui ne disait pas son nom (on parlait et on parle toujours en Irlande et en Grande-Bretagne, très pudiquement des « troubles »!!). C’est aussi un homme qui doute de lui-même et de ses actes, celui qui se juge en permanence, un homme qui souffre et qui culpabilise : « Avant même d’être un traitre, je devenais encombrant. » 

La narration se fait sur un aller-retour entre le présent du narrateur, celui de Tyrone retourné à Killybegs en décembre 2006, après s’être dénoncé à l’IRA et son passé. Le lecteur est aspiré dans le tourbillon de l’histoire irlandaise et en particulier le bourbier nord-irlandais. Il passera quelques mois en prison avec le narrateur. Parce que ce livre est aussi une page de l’histoire de l’Irlande tout à fait instructive pour le lecteur francophone qui l’ignorerait. Non, les grèves de l’hygiène ce n’est pas de la fiction !!! Oui, Thatcher a laissé mourir les grévistes de la faim (voir d’ailleurs l’excellent film Hungry).

On ne saura jamais la vérité sur la raison de cette traitrise. La fiction émet une hypothèse sans en faire pour autant une obsession. Parce qu’en fin de compte, l’essentiel n’est pas tout à fait là. La narration est celle d’une souffrance.

Un livre que l’on peut lire sans avoir lu Mon traitre, même si avoir lu les deux, c’est mieux ! J’avais été émue par le premier roman autobiographique, j’ai été bouleversée par Retour à Killybegs. Un excellent livre où l’écrivain a banni colère et rancune vis-à-vis de son traître. Il lui laisse la parole. Une plume qui va à l’essentiel, à la fois acérée et pudique mais douloureuse.

Difficile d’écrire un billet sur un tel roman !

A propos Maeve

Blogueuse littéraire depuis 2009, lectrice compulsive depuis l'âge de 6 ans ^_^ .
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2 commentaires pour Retour à Killybegs

  1. alexmotamots dit :

    Des deux, j’avais préféré Mon traître.

    J’aime

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