Un roman sur l’affaire Sunnefa Jonsdottir
Traduit par Céline Schwaller
4e de couverture : « En 1783 des éruptions volcaniques apocalyptiques recouvrent l’Islande de cendre, détruisent les récoltes et provoquent une famine. C’est dans ce pays dévasté que deux représentants de l’autorité coloniale danoise vont s’affronter dans un conflit qui sera jugé par l’assemblée populaire traditionnelle.
La rivalité des deux hommes se cristalise autour de deux orphelins, Sunnefa, considérée, à dix-huit ans, comme la plus belle femme de l’île, et son frère cadet Jon, coupables d’inceste et victimes de la société traditionnelle luthérienne. Les paysans qui observent les faits forment le choeur pluriel qui commente la tragédie et permet une grande diversité de points de vue, voix, lettres et journaux des protagonistes qui font lentement progresser le mystère autour du crime central.
La nature est un personnage à part entière, les glaciers, les déserts et les torrents intensifient les sentiments et les haines qui se développent. La présence du mal devient palpable dans cet impitoyable duel à mort. »
Autant le dire tout de suite : ici noir c’est noir ! Le roman ne comporte que 236 pages mais je ne suis parvenue à le lire qu’à petite dose tant l’atmosphère est pesante et étouffante. Dominic Cooper, qui est écossais, parvient à se saisir de ce fait divers islandais réel pour en restituer toute la tragédie supposée. L’écrivain a lu toutes les versions de l’histoire qui existait, certaines étant totalement différentes. Il constate cependant qu‘ »il manque, dans l’ensemble, les motifs éventuels ainsi que les conclusions définitives ». Ce qui est certain, cependant, c’est le contexte historique : « L’Islande était au XVIIIe siècle une colonie danoise – ce qu’elle fut d’ailleurs de 1380 à 1918. Et comme ce fut le cas dans toutes les colonies, il y régnait une certaine animosité entre colons et indigènes. Mais, dans ce cas particulier, je pense que les griefs des indigènes envers leurs maîtres étaient encore plus justifiés qu’en temps habituel.
La principale raison de ces griefs était un monopole commercial, qui perdura jusqu’en 1770, instituant que les Islandais pouvaient faire commerce uniquement avec des marchands danois. Se sachant sans concurrents, ces derniers étaient souvent coupables non seulement de proposer des cours de change ridiculement bas mais aussi de vendre à la population islandaise des produits avariés. »
Famine et épidémies se développent, amplifiées par des conditions météorologiques désastreuses et des éruptions volcaniques exceptionnelles. L’Islande, à cette époque, c’est le chaos. Si vous ne connaissez pas les symptômes de la variole (appelée aussi « petite vérole »), soyez bien accroché et ayez le coeur solide ! Avec Dominic Cooper, c’est un peu comme si c’était vous qui étiez contaminé !
On pourrait presque dire qu’à côté de cela, l’intrigue du fait divers, celui d’un inceste entre Jon et Sunnefa, frère et soeur orphelins, n’est rien, d’autant que ce n’était pas si exceptionnel que cela à l’époque. Il en naîtra un enfant. Puis un deuxième, dont le père n’est pourtant pas celui que l’on croit. Ce n’est d’ailleurs pas sur l’affaire d’inceste que focalise l’écrivain, mais plutôt sur la haine qu’entretiennent deux shérifs : Hans Wium (un Danois) et Pétur Thorsteinsson, le flou, l’incertitude des faits, mais où la folie de l’un (Pétur), parviendra à ternir la réputation de l’autre, durablement, l’affaire Sunnefa Jonsdottir étant une aubaine.
Reste que, le récit est édifié sur plusieurs strates temporelles. Le narrateur principal, le médecin Gunnar Thordarson, 74 ans raconte en juin 1804 ce qu’il sait sur l’affaire Sunnefa à Kjartan Hardarson, dix-sept ans, parce que ce dernier juge le shérif Hans Wium comme un parfait salaud. Gunnar commence son récit à l’époque des feux de la Skafta de l’été 1783, où une éruption volcanique exceptionnellement longue et intense plongea la région dans le chaos, ce dont elle n’avait déjà pas besoin… Puis nous passons à 1788, puis à l’histoire de Jens et Thorsteinn entre 1718 et 1740 ; à l’affaire Sunnefa entre 1739-1743 etc.
Les narrateurs se multiplient sans que le lecteur en soit averti, ce qui, dans mon cas, a un peu perturbé ma lecture, d’autant que les personnages de ce roman sont très nombreux, avec des noms qui semblent compliqués pour un francophone (pourtant, j’ai l’habitude mais là, je dois avouer que parfois, j’étais perdue !) : Sunnefa Jonsdottir, Jon (son frère), Hans Wium, Einar Eyjolfsson, Solrun Halfidadottir, Pétur Thorsteinsson, Jens, Gudny, Gudrun, Sigudur, Gunnar Thordarson etc…
Reste l’écriture magistrale de Dominic Cooper qui fait que ce livre vaut quand même le détour, même si sa lecture n’est pas toujours de tout repos. Et écrire un billet sur ce roman non plus, parce qu’il est foisonnant !
Avis aux amateurs de nature rude et sauvage, de coins perdus : ils ne seront pas déçus.