4e de couverture : « Pour Harriett et David, un couple modèle qui a fondé une famille heureuse, l’arrivée du cinquième enfant inaugure le temps des épreuves. Fruit d’une grossesse difficile, anormalement grand, vorace et agressif, Ben suscite bientôt le rejet des autres enfants, tandis que les parents plongent dans la spirale de l’impuissance et de la culpabilité.
La romancière du Carnet d’or, prix Nobel de littérature 2007, mêle ici de façon impressionnante réalisme et fantastique, dans une fable cruelle qui met à nu l’envers et le non-dit des relations familiales. »
Harriett et David ont dès le début envie de fonder une grande famille. Et pour pouvoir loger un grande famille, il faut une grande maison ! Pour cela il leur faut quitter Londres pour une ville assez proche, où ils tombent sous le charme d‘ »une grande maison victorienne au jardin mal entretenu ». « Une maison à deux étages, avec un grenier, pleine de chambres,, de corridors et de paliers »… Voici pour le décor, victorien et gothique à souhait. Et dans cette maison au jardin mal entretenu, il y a comme une chambre magique à faire des bébés ! Harriett enchaîne les grossesses en un temps record. La famille, les voisins, les amis débarquent dans la grande maison pour Noël et Pâques, pendant des années, à tel point que le couple devient réputé pour les fêtes qu’il organise.
Tout va bien dans le meilleur des mondes, jusqu’au jour où s’annonce la cinquième grossesse. A partir de ce moment-là, Doris Lessing se délecte à casser l’image de la femme enceinte heureuse et de son accomplissement à travers la maternité. Une ambiance à la Rose-Mary’s Baby s’installe (c’est du moins la très forte impression que j’ai eue !). Avant même d’être né, le bébé a décidé d’en faire voir de toutes les couleurs à sa mère, l’empêchant de dormir par son agitation intra-utérine. Une fois né, Ben (puisque c’est ainsi qu’il sera prénommé) est « une créature batailleuse », très costaud, qui a besoin de double ration de biberon prescrites pour un bébé de son âge : il lui en faut pas moins de dix par jour et même davantage… Et quand il tête sa mère, il la laisse meurtrie de bleus ! Ben n’est pas un beau bébé, d’ailleurs il ne ressemble pas un bébé :
« Il avait la tête rentrée dans les épaules, comme s’il avait été accroupi et non couché. Le front offrait une pente uniforme, et les cheveux poussaient curieusement en deux épis sur le devant, formant un genre de triangle qui descendait assez bas sur le front, jaunâtres et hirsutes, tandis que, derrière et sur les côtés, ils étaient aplatis. Il avait les mains épaisses et lourdes, avec les paumes noueuses. » Il a des « yeux vert-jaune » sans « aucune lueur de reconnaissance ». Harriett trouve qu’il ressemble à « un troll ou un lutin » ! Elle finit même par sincèrement croire qu’il n’est pas humain, qu’il vient du monde du Petit Peuple, etc. Cela revient souvent dans ses propos !
Une chose est certaine : cet enfant fait peur. La famille, les amis prennent leurs distances avec le couple. Ben est un être violent. Il lui prend de tuer des animaux en les étranglant. Harriett et David finissent par l’enfermer dans une des chambres de la maison, de peur qu’il ne fasse du mal à ses frères et soeurs, qui d’ailleurs, ne l’aiment pas. Puis David décide de le placer dans une institution pour inadaptés… (je ne raconte pas la suite mais ça ne s’arrête pas là).
Doris Lessing se fait sarcastique sur le sort réservé aux êtres différents, hors normes, sur le regard d’autrui et des proches en particulier. Cependant, elle fait de Ben un personnage effrayant, pas du tout sympathique. On n’a aucune empathie pour lui. Elle maintient donc une certaine ambiguité pour montrer également la difficulté à gérer un enfant différent, sans pour autant s’apitoyer sur le sort des parents. On trouve Harriett stupide quand elle pense sérieusement que son fils n’est pas humain !
Doris Lessing vous happe littéralement, maintient un suspense de tous les diables, jouant avec la frontière du fantastique et l’imagination du lecteur en experte ! On suit l’évolution de Ben jusqu’à l’âge adulte et on n’est pas trop surpris du chemin social qu’il emprunte. Il y a une suite à ce roman : Le monde de Ben. J’espère avoir le temps de le lire dans le cadre du challenge, parce que là, franchement, celui-ci est un coup de maître et j’ai découvert un roman de Doris Lessing très différent de ceux que j’avais lus par le passé.