Traduit du gaélique Jean Buhler et Una Murphy
C’est en fouinant sur le net que j’ai découvert l’existence de ce livre, celui écrit par un habitant du Grand Blasket, Tomas O’Crohan. Il s’agit d’une biographie, mais bien plus que cela. Les îles Blasket ont été évacuées le 17 novembre 1953 parce qu’on y a jugé la vie des îliens comme étant devenue trop difficile. Cela fait donc plus d’un demi-siècle qu’elles sont inhabitées, si ce n’est pas des moutons redevenus sauvages, que des hommes vont tondre une fois par an. Elles sont redevenues le royaume de la faune et de la flore.
Pour situer, ces îles sont dans le prolongement de la péninsule de Dingle dans le Kerry (sud-ouest de l’Irlande) – voir ma chronique sur Peig.
Ce livre est donc la mémoire du Grand Blasket (le plus grands des petits cailloux rudoyés par les vents et les pluies). Tomas O’Crohan n’a pas écrit ce livre de lui-même, mais à la demande de Brian O’Kelly, un homme de Killarney, sensible à la mémoire de ces îles où l’on parle irlandais et non pas anglais. Tomas O’ Crohan, né en 1856 a terminé ses écrits en 1926, et le livre est paru en 1929. Notre homme pose fièrement avec son ouvrage entre les mains sur la couverture !
Cet ouvrage a l’autre particularité d’être traduit directement du gaélique en français et non du gaélique en anglais puis en français. Les traducteurs (Jean Buhler et Una Murphy) l’ont souhaité pour coller au plus près de la version originale sans passer par une langue intermédiaire, bien qu’une édition anglaise existe depuis 1937. L’idée d’une version francophone date de 1949.
Au regard de ses cailloux posés sur l’Atlantique, on pourrait s’attendre à un récit relatant la difficile vie de ses habitants. Eh bien ce n’est pas le cas ! Il y a beaucoup de gaité et d’humour dans le récit de Tomas O’Crohan : jamais une plainte, jamais une lamentation, rien de tout cela. Au contraire, il y a de la joie de vivre dans ce livre, alors qu’on avalait à cette époque « des pommes de terre, du poisson une tombée de lait quand il y en avait », c’est tout. Pourtant ces îliens qui étaient à la fois des marins et des paysans ne ménagaeient pas leurs forces. La pêche était leur quotidien l’été. Le lecteur savoure les pêches aux homards, à la langouste mais aussi évidemment au poisson. Toutes ces bestioles marines vivent à profusion dans les eaux des Blaskets, ce qui finira par susciter la convoitise des « étrangers ». Quand ce n’est pas la pêche qui les monopolise, ce sont l’apparition de quelques phoques qui permettra de remplir le garde-manger. Quand ce n’est pas les phoques ou le poisson, ce sera les lapins bien gras qui pullulent dans le collines, sans oublier les oeufs de poules que l’on peut ramasser… sur les toits de chaume des maisons (eh oui, c’est que les poules du Grand Blasket sont assez dégourdies pour voler sur un toit de maison !). Parfois, les navires échoués sont des aubaines pour les îliens qui récupèrent leur chargement !
Parfois, une institutrice fait son apparition, mais jamais bien longtemps car elle trouve le moyen d’être demandée en mariage par quelqu’un de la « grande île » (comprendre « l’Irlande » ). Mais l’institution de l’éducation « nationale » trouve tout de même le moyen d’envoyer des inspecteurs, sous le regard étonné des gamins, surtout quand il s’agit d’un inspecteur à « quatre yeux » (avec des lunettes) !
Malgré cela, l’île n’échappe pas aux famines ni aux épidémies, ni aux accidents mortels. Tomas O’Crohan raconte comment il a eu 10 enfants qui lui ont tous été repris ou presque par la vie, tout comme sa femme. Passage très touchant où l’écrivain pourtant ne sombre pas dans le pathos.
Il explique également que tous les îliens, malgré la promiscuité du Grand Blasket (5 kms de long et 1 mile de large – et c’est la plus grande des îles!) s’entendaient bien. Ils se serrent les coudes pour chasser les autorités qui tentent de saisir leurs biens parce qu’ils ne paient pas le fermage en vigueur à l’époque : les pierres sont presque les meilleurs armes pour empêcher les intrus d’accoster, c’est bien connu !
« Je n’ai pas dit toutes les souffrances qui s’abattaient parfois sur nous », avoue Tomas O’ Crohan à la fin de son livre. Mais peu importe. Il a réussi son pari : rendre son écrit inoubliable et son île immortelle !
Autant vous le dire tout de suite : j’ai fini le livre les larmes aux yeux.
Je ne peux pas m’empêcher d’extrapoler sur ce qu’il aurait pensé aujourd’hui : il est mort en 1937 et il n’a donc pas connu l’évacuation des îles en 1957.
Je ne peux que vous recommander l’expérience de la lecture de L’homme des îles. Malgré quelques redites et petites longueurs parfois, c’est un magnifique témoignage !